Illustration de l'article
Critiques
par Baptiste Gilbert - le 22/05/2023
Partager :
par Baptiste Gilbert - le 22/05/2023

Replay,  3 générations, 3 vies, 3 destins très différents

Jordan Mechner, le créateur du jeu Prince of Persia, raconte l’histoire de sa famille en entremêlant 3 générations et 3 vies : celle de son grand-père, celle de son père, et la sienne. 3 destins marqués par les déracinements, qu’ils soient souhaités ou subis. Une œuvre très réussie entre biographie et saga familiale.

Originellement développeur et pionnier du jeu vidéo, Jordan Mechner est également scénariste de bande dessinée depuis 2012. Avec Replay, mémoires d’une famille, il livre sa première œuvre en tant qu’auteur complet. Si il est connu comme le créateur du célèbre Prince of Persia, ne vous attendez pas à avoir un récit détaillé de la confection de ces jeux. Celle-ci sera bien présente, en filigrane tout au long de l’œuvre, mais le cœur du récit est ailleurs, dans les souvenirs mêlés de son grand-père, son père et lui-même.

Et on peut dire que ces souvenirs sont différents. Au sein de cette famille juive, le grand-père a grandi sous l’Empire Austro-Hongrois et a participé à la Première Guerre mondiale, le père était enfant lors de la Seconde et a dû échapper aux nazis, et le fils a eu une enfance typique des années 80 aux Etats-Unis, se passionnant pour les débuts du jeu vidéo.

Mais s’il y a bien un point commun aux membres de cette famille, c’est la place fondamentale qu’ont eu le déracinement et la migration dans leurs vies. De manière forcée ou volontaire, tous ou presques y seront confrontés : du déménagement à Vienne au début du XXe siècle pour faire des études, aux déplacement forcés au sein de l’armée lors de la Première guerre mondiale ; de la fuite face aux oppresseurs nazis à l’aube de la Seconde guerre mondiale, à l’arrivée aux Etats-Unis pour démarrer une nouvelle vie ; du déménagement à Los Angeles pour se rapprocher du monde du jeu vidéo, à l’expatriation en France pour travailler dans un studio montpelliérain. Un déracinement que l’on retrouve même, que cela ait été fait de manière consciente ou non, chez le personnage principal des jeux Prince of Persia, lui aussi forcé à s’exiler.

© Jordan Mechner / Delcourt

En racontant l’histoire de sa famille à travers les XXe et XXIe siècles, Jordan Mechner convoque aussi la question de l’héritage. De ce que nous transmettent les générations précédentes, de ce qui sera perdu une fois qu’elles auront disparues, et de la conservation des souvenirs et des expériences. 

Biographie innovante

Jordan Mechner ne tombe pas dans l’écueil de la biographie construite de manière linéaire et chronologique. Ici, les époques et les souvenirs se mêlent constamment. L’auteur a un véritable talent pour organiser et connecter cette myriade de petites histoires au sein de la Grande, issue des mémoires de 3 générations, et qui vient pourtant former un tout cohérent avec un rendu très graphique. 

En entremêlant ces souvenirs, il construit des ponts entre les époques. Les destins se répondent, chacun faisant face à ses propres épreuves (certaines plus dures que d’autres, évidemment), qui renvoient à celles des générations précédentes. Les histoires semblent parfois se faire échos, et parfois, au contraire, mettre en lumière le contraste entre les expériences de vie à seulement quelques décennies d’écart. Il en résulte une œuvre hybride, à mi-chemin entre le récit biographique et la saga familiale.

© Jordan Mechner / Delcourt

Cet entremêlement des histoires et des époques est mis en lumière par le biais de colorisations et de typographies différentes en fonction du narrateur et de l’époque. Les souvenirs de Jordan dans les années 2010 sont jaunes, ceux des années 80/90 sont bleus, les souvenir de sont père dans les années 30/40 sont en noir et blanc légèrement sépia, tout comme ceux de sont grand-père qui disposent en plus d’une typo “machine à écrire”.

On a un regret, c’est que les femmes de sa famille n’aient pas une plus grande place dans l’histoire, celles-ci étant souvent reléguées au second plan (avec la notable exception de la grande tante Lisa), et aucune n’étant narratrice. Cela s’explique par le fait qu’au sein de la famille, les hommes ont plus écrit et raconté leurs souvenirs que les femmes. Toutefois, on ne peut s’empêcher de se demander comment la mère, la grand-mère, ou la tante de l’auteur ont vécu ces évènements et ce qu’elles auraient eu à en dire pour complèter l’ensemble.

Dans le fond comme dans la forme, Jordan Mechner livre une œuvre innovante, qui évite les écueils habituels des récits biographiques. Une touchante histoire de famille qui s’intéresse à ce que nous transmettent les générations précédentes, et au déracinement sous toutes ses formes.

Replay, mémoires d’une famille, de Jordan Mechner, Delcourt


Illustrations : © Jordan Mechner / Delcourt

© Jordan Mechner / Delcourt
© Jordan Mechner / Delcourt
© Jordan Mechner / Delcourt
Actualités
Voir tout
Publications similaires
Abonnez-vous à la newsletter !
Le meilleur de l'actualité BD directement dans votre boîte mail