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par La Redac - le 22/05/2019
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par La Redac - le 22/05/2019

Tropique de la Violence : Cruelle réalité dans un décor de carte postale

Nous sommes à Mayotte, cent-unième département français. Le décor est idyllique, la plage, les cocotiers, la douce brise et le bruit des vagues. Mais la réalité de la vie y est d'une dureté sans pareille. Une jeune comorienne vient d'arriver par kwassa sanitaire, c'est une embarcation entre les Comores et Mayotte pour ceux nécessitant des soins. Elle a seize ans, son bébé quelques jours. Elle s'enfuit de l'hôpital en laissant son fils aux bras de l'infirmière. Marie a trente-deux ans, blanche, en mal d'enfant. Elle adopte le bébé et le prénomme Moïse.

Tropique de la Violence est la troisième BD de Gaël Henry chez Sarbacane, et c'est son premier album en tant que scénariste et dessinateur. S'il travaille à l’atelier de la Malterie à Lille, il a aussi beaucoup voyagé à travers le monde, notamment à Mayotte dont on peut retrouver des extraits du carnet de croquis à la fin de la BD. Scénariste oui, mais surtout responsable de l'adaptation du livre du même nom de Nathacha Appanah, un roman émouvant, éprouvant et engagé, couronné de treize prix littéraires.

"J'ai quarante-sept ans et je lui raconte ce soir-là, ce jour béni où il est venu jusqu'à moi. La nuit, la pluie, sa mère arrivée par un kwassa sur la plage de Bandrakouni dans le sud, le bébé bandé... Il veut que je lui raconte. Encore. Encore. Encore. J'ai mal à la tête. Moïse ne va pas bien. Il est colérique. Il me traite de menteuse. De voleuse d'enfant."

Un dessin aussi brutal que son histoire

Le trait tremblant de Gaël Henry colle parfaitement au récit. Esquintés comme les personnages, les contours semblent dessinés à main levée, les visages à la limite de la caricature. Un épais crayon noir qu'imite à merveille le numérique, et un mélange d'aquarelle et de pastel gras pour la mise en couleurs. Les tons chauds de Bastien Quignon appuient la lourdeur de l'atmosphère, lui donnent un aspect étouffant, rehaussés par des notes plus froides, un ciel sans nuage, une nuit sans lune. La valeur ajoutée de l'illustrateur dans cette adaptation, ce sont les fantômes. Quand le livre restait terre à terre, la BD dépasse les frontières du réel pour parsemer l'histoire de magie et de folie. Le surnaturel est là pour appuyer la violence des événements, mais aussi permettre de prendre du recul sur ce qu'on nous raconte, comme une seconde lecture. Si vous avez lu mes précédentes critiques ou écouté les podcasts dans lesquels j'interviens, vous savez comme j'aime les délires visuels où le dessinateur ose sortir des sentiers battus. Alors forcément, j'ai pardonné les imperfections et adoré les prises de risque. Même l'organisation des cases est audacieuse. Tremblantes avec l'alcool, coupées en diagonale dans l'action, laissant la place au vide dans les scènes tragiques. Ces partis-pris graphiques n'arrêtent pas le lecteur mais l'accompagnent au contraire.

Cette BD n'est pas à mettre dans toutes les mains. La violence y est reine et ne revêt pas toujours le visage auquel on s'attend. Désespoir, viol, racisme, pauvreté, homophobie. C'est un voyage sans poudre aux yeux, au cœur des conflits, des magouilles politiques et de la misère. Une leçon de vie. Tropique de la Violence​ est disponible au prix de 23.50 euros chez Sarbacane.

Par RedFanny
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