Ecolila de François Olislaeger, Actes Sud
En dessinant cet album, François Olislaeger n’aurait jamais pu imaginer comment il résonne avec l’actualité. Comment parler de la nature à un enfant qui vit en ville, comment lui transmettre des sensations ou des notions sans lui faire éprouver ? Comment dire à sa fille ou à son fils que le monde dans lequel on vit est magique mais malade, que les humains courent à la catastrophe ? Se réapproprier cette beauté, la mettre en scène, la décrire ou la fantasmer, voici quelques-unes des réponses que proposent François et Lila à travers leurs conversations. Les feuilles, les branches, les cailloux qu’ils ramassent deviennent prétexte d’anecdotes, de réflexions ou d’histoires.
Ne pouvant voir sa fille que quelques jours par mois, car vivant à l’autre bout du monde, le dessinateur profite de ces instants éphémères et précieux. Un livre très graphique, fin et poétique qui se referme sur une note d’espoir et de mélancolie. Un livre pointu dans sa forme, simple dans ses émotions qui est une très belle déclaration d’amour à la nature et au dessin sous couvert d’un après-midi père-fille.
Thoreau et Moi de Cédric Taling, Rue De L’échiquier
Le narrateur s’interroge sur sa vie et son rapport au monde, et se retrouve régulièrement en compagnie d’un ami imaginaire un peu spéciale en la personne d’Henry David Thoreau. Poète & philosophe américain qui sera célèbre pour son essai La Désobéissance civile et son carnet de route lors d’un isolement volontaire en forêt Walden ou la Vie dans les bois. Entre oeuvre littéraire et premier essai sur la décroissance, Walden a profondément marqué la littérature américaine et les politiques.
Si vous voulez en savoir plus sur ce personnage, sa pensée et ses oeuvres, lire la biographie en bande dessinée : Thoreau de Maximilien Le Roy & A. Dan, Le Lombard
Ici, dans la salle de bain ou dans les bois, la figure de Thoreau permet à l’auteur de repenser sa vie, de réfléchir au sens de celle-ci de nos jours. Entre ses réflexions sur la collapsologie ou le survivalisme, il choisit de construire une maison autosuffisante. Porté par un style graphique très pop et atypique pour une bande dessinée sur ce thème, Cédric Taling nous surprend.
Les racontars de Gwen de Bonneval & Hervé Tanquerelle d’après les livres de Jørn Riel, Sarbacane
Gwen de Bonneval & Hervé Tanquerelle sont allés piocher dans les racontars de Jørn Riel. Une série de livres, sortes de “brèves de comptoirs” de la banquise où se mêlent histoires vraies, vantardises et légendes presque urbaines du Grand Nord. La définition de l’auteur propose « une histoire vraie qui pourrait passer pour en mensonge. À moins que ce ne soit l’inverse. »
Des histoires courtes reliées par un même sujet, des récits mettent en scène les habitants du Groenland ou les visiteurs occasionnels qui s’y risquent.
Un monde assez différent du nôtre, où le confinement et l’isolement sont la norme. Sur la banquise, ce ne sont pas les ours, les tempêtes, les crevasses ou le froid le réel danger : votre pire ennemi, c’est la folie. Avec beaucoup d’humour, les auteurs adaptent ces contes contemporains dans une mise en scène joyeuse et délirante. Le trait d’Hervé Tanquerelle est parfait pour rendre cet univers à la fois exotique et proche de nous.
En cette époque de confinement, les personnages de ces albums ont des choses à nous apprendre sur la solitude. Bon, certains ne sont pas de bons exemples, on ne vous conseille pas de recongeler un ami décongelé ou de préféré la compagnie d’un cochon à celle des hommes, bref #restezchezvous mais loin de la banquise, sauf si vous voulez rêver & rire.
Construire un feu de Christophe Chabouté d’après le livre de Jack London, Vents d’Ouest
Adaptation littéraire d’un classique de la littérature américaine, une nouvelle que Jack London republia juste après son très grand succès Croc blanc. En maître du noir & blanc, Christophe Chabouté restitue, en image, cette fuite dans la neige. Cette course contre le froid où un homme et son chien n’ont qu’une chance de survivre : construire un feu.
Une nouvelle qui lui permet de prendre la mesure du temps, d’offrir un récit plus contemplatif qu’à l’accoutumée et l’auteur raconte l’histoire à la seconde personne du singulier. Le narrateur semble s’adresser au lecteur autant que le personnage et renforce l’immersion et l’empathie avec le trappeur. Quelques pages suffisent pour être captif de cet océan froid dont la beauté se dispute avec la cruauté.
De très belles scènes où les aplats de blanc & de noir se toisent, un duel de la neige & de la forêt dans un combat éternel qui dépassera toujours l’être humain. Un album qui donne envie de lire & relire les oeuvres de London.
🎁 BONUS : toutes les oeuvres de Jack London sont disponibles gratuitement en ebook ici. Des heures d’évasion garanties avec les textes (tombés dans le domaine public) de l’un des plus grands auteurs du XXe siècle.
Dans les Forêts de Sibérie de Virgile Dureuil d’après le livre de Sylvain Tesson, Casterman
Si le roman est un best-seller des libraires, l’adaptation en bande dessinée n’en est pas moins un grand succès. Une mise en image de ce carnet de voyage immobile, qui raconte 6 mois d’isolement de Sylvain Tesson en Sibérie, entre la fin de l’hiver et le début du printemps. Un journal de bord un peu particulier entre littérature et lettre ouverte sur nos habitudes déconnectées de la nature et sur notre société de (sur)consommation.
On y parle quand même beaucoup de vodka dans ce voyage hors du monde, mais aussi de rencontre et d’amitié. La bande dessinée, peut-être plus que le livre avec sa représentation physique des personnages, rappelle l’importance des relations humaines pour la santé mentale. Impossible de vivre seul, même avec les livres, même avec les idées, même avec l’alcool, découvre le personnage qui accueil 2 chiens pour combler le vide entre deux visites de ces “voisins” de la forêt.
Contemplatif, net et incarné, le trait de Virgile Dureuil propose une mise en image des passages clefs de l’oeuvre assortie de choix d’extraits de textes. Une adaptation non littérale travaillée de concert avec l’auteur du roman qui donne à voir quelques instantanés de cette retraite dans les bois.
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En guise de conclusion, deux séries bonus qui sont momentanément en rupture de stock mais qui auraient eu une place de choix dans cette sélection. Ma vie dans les bois de Shin Morimura (Akata), sorte de journal de bord d’un auteur qui part vivre en famille dans la forêt. Il raconte ses découvertes, ses déconvenues et donne des conseils pour bricoler, jardiner, survivre…
Autre piste : Moi, jardinier citadin de Min-ho Choi (Akata), un autre journal en bande dessinée d’un dessinateur qui se met à jardiner. Il découvre et partage le quotidien de ceux qui ont un potager en ville.
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Illustration principale : © Gwen de Bonneval / Hervé Tanquerelle / Sarbacane