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Édito
par Baptiste Gilbert - le 29/09/2023
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par Baptiste Gilbert - le 29/09/2023

Éternel Mucha : Au Grand Palais Immersif, (re)découvrez Mucha et son influence sur la bande dessinée

Jusqu’au 5 novembre 2023, le Grand Palais Immersif met en lumière l’œuvre d’Alfons Mucha, figure majeure de l’Art Nouveau. L’exposition offre une bonne place aux artistes plus récents qu’il a inspirés, auteurs de bande dessinée, manga et comics en tête. Roei Amit, le directeur général du Grand Palais Immersif, a accepté de nous guider.

Après Catherine Meurisse au musée Tomi Ungerer de Strasbourg commenté par Morgane Magnin puis
Ryōichi Ikegami, À corps perdus présenté par Xavier Guilbert, voici le 3e volet de notre série des expos commentées.

Le travail de Mucha est par essence très graphique, il a même inventé un nouveau langage graphique, et on connaît la ligne Mucha, la ligne de l’Art Nouveau, sans parfois connaître son nom. Ce n’est donc pas étonnant que les artistes de bande dessinée, mais aussi de street-art, de jeux vidéo ou de publicité, tous ceux qui mettent le graphisme au centre de leur travail, fassent appel à Mucha à un moment donné. Parfois même sans le connaître, tant son influence s’est diffusée.” commence Roei Amit.

L’exposition Éternel Mucha commence fort, avec sa première salle qui nous place devant une immense projection vidéo racontant l’histoire de Mucha à travers ses œuvres, de son travail sur les affiches à Paris (peut-être la partie de sa carrière la plus célèbre) à son implication dans l’Exposition universelle de 1900, jusqu’aux œuvres monumentales réalisées à la fin de sa vie (en particulier l’Épopée Slave).

Le film, fascinant, a été animé à partir des œuvres de Mucha par le studio marseillais Artisans d’Idées. Avec pour objectif de décortiquer les œuvres de l’artiste et de mettre en avant les différents éléments qui les constituent, ses nombreux motifs récurrents, ainsi que la manière dont il élabore ses compositions à partir de ces éléments.

Alfons Mucha, L’épopée slave, cycle 1 © Mucha Trust

La suite de l’exposition reprend le contenu du film mais le présente de manière interactive, “délinéarisée”, afin de permettre aux visiteurs de découvrir l’histoire de Mucha à leur rythme, en s’arrêtant plus longuement sur certains passages. L’adjectif “immersif” arboré par le lieu n’est pas là pour rien, comme nous le confirment les sections suivantes qui nous permettent en vrac : d’entendre Mucha (dans l’un des seuls enregistrements réalisés de sa voix) ; de nous imaginer dans son atelier grâce à des créations auditives et olfactives ; de plonger au cœur de son processus de création en partant des photos qui l’inspiraient et de ses croquis ; et même de créer notre propre œuvre “de Mucha” en réarrangeant à loisir divers éléments numérisés pour obtenir une œuvre inédite.

Un artiste omniprésent jusqu’en bande dessinée

Jusque là, vous vous demandez certainement où est la bande dessinée dans cette visite : elle arrive avec la vaste partie concernant l’héritage de Mucha, au sein de laquelle les organisateurs ont sélectionné plus de 30 artistes de diverses disciplines artistiques, du tatouage au street art, en passant par l’illustration, l’animation et, donc, la bande dessinée. 

Comme nous l’explique Roei Amit , “pendant la carrière de Mucha, la bande dessinée en était à ses prémices, et il est difficile de savoir s’ il a eu une influence directe sur les auteurs de l’époque.” En revanche, si on veut faire un rapprochement entre le travail de Mucha et la bande dessinée en tant qu’art narratif, on peut se tourner vers l’une de ses œuvres majeures, réalisée à la fin de sa vie : “l’Epopée Slave est une création de 20 tableaux gigantesques qui racontent une histoire, celle du peuple slave. On est pas dans la bande dessinée, mais on est totalement dans la narration visuelle et graphique. Chaque tableau comporte plusieurs histoires, qui s’enchaînent.

Toutefois, c’est véritablement au niveau de la composition des images que se révèle l’influence de Mucha sur certains artistes de bande dessinée, particulièrement sur les couvertures et illustrations annexes. “On a essayé de juxtaposer une œuvre précise de Mucha avec une œuvre d’un.e autre artiste, pour montrer à quel point parfois c’est proche”, précise Roei Amit. Cette mise en regard visuel s’accompagne d’interviews vidéos de certains artistes. L’occasion d’écouter Joe Quesada (Marvel Knights ; Miracleman ; Batman – La Lame d’Azrael ; Daredevil – Father ; Spider-Man – One More Day ; …), Yoshitaka Amano (illustrateur de nombreux romans et jeux vidéo japonais dont Final Fantasy), ou Akiko Hatsu (mangaka autrice notamment de Mourning of Autumn Rain et Devil in the Water, dont l’œuvre est malheureusement encore inédite en France) expliquer en détail l’influence de Mucha sur leur travail.

Parmi les artistes mis en avant dans l’exposition, on peut citer outre Joe Quesada et Akiko Hatsu : la mangaka multi-récompensée Ryoko Yamagishi (Arabesque ; Hi Izuru Tokoro no Tenshi ; Terpsichora), grande innovatrice du shojo dans les années 70, les auteurs de comics Alé Garza (Deadpool, Flash, Fathom ; The Cyber Specter ; America), Michael WIlliam Kaluta (Batman, Aquaman, The Shadow) et Terry Moore (Strangers in Paradise, Echo, Serial), l’illustrateur de couvertures John Tyler Christopher (Avengers, Nova, Star Wars, …), ou encore Yutaka Izubuchi, illustrateur des romans Chroniques de la guerre de Lodoss.

Arcane et la contemporanéité de Mucha

Côté animation, Julien Georgel, directeur artistique de la série Arcane, a également été sollicité : alors que le travail sur l’exposition avait déjà commencé, Roei Amit et d’autres membres de l’équipe ont regardé la série adaptée du jeu League of Legends sur Netflix et ont eu la surprise de découvrir à quel point les éléments de décors semblaient inspirés de Mucha.

Les équipes de Fortiche Studio ont donc été contactées par celles de l’exposition pour leur proposer d’y participer. Ils ont ainsi pu confirmer l’inspiration directe de Mucha sur leur travail, pour en faire un élément d’ambiance visuelle fort mais parfaitement fondu dans leurs décors. 

Si certaines œuvres, comme Arcane, ont été ajoutées en cours de route, l’idée de mettre en avant l’héritage de Mucha était présente dès la conception de l’exposition : “Au Grand Palais Immersif, notre ligne éditoriale cherche à mettre en avant la contemporanéité des artistes et œuvres au centre de chaque exposition, donc leurs liens avec la création contemporaine. Quand on fait l’expo sur La Joconde, on se demande comment elle est devenue aujourd’hui une icône pop. Quand on fait celle sur Mucha, on se demande comment des générations d’artistes de tous types se sont emparés de son travail. Avec tous les sujets qu’on aborde, on veut mettre en avant la manière dont ils sont vivants”.

Un travail de sélection

Pour trouver et sélectionner les œuvres à mettre en avant, les équipes de l’exposition ont pu se baser sur le travail de la commissaire de l’exposition, Tomoko Sato, conservatrice de la Fondation Mucha, et l’une des plus grandes spécialistes de l’artiste au niveau mondial : “au fil de sa carrière, Tomoko Sato a recensé de très nombreuses références inspirées par le travail de Mucha, et elle a pu sortir des exemples assez facilement”, nous explique le directeur du musée. 

Bien entendu, il a fallu faire des choix, comme nous le confirme Roei Amit : “l’exposition est un condensé, et il y a forcément des œuvres qu’on a pas pu inclure. Mais on a essayé d’être représentatifs avec les 32 artistes qu’on a sélectionnés.” 

Une influence mondiale ?

L’héritage de Mucha se retrouve un peu partout sur la planète, et on peut particulièrement constater son influence dans les pays phares de la bande dessinée. Roei Amit précise : “je ne peux pas dire si Mucha est influent partout dans le monde, dans tous les pays, mais il est clair qu’en Europe, aux Etats-Unis ou au Japon, son influence sur les arts visuels est majeure.” 

En Europe, où il a d’abord été connu et où il a marqué les arts graphiques pendant sa vie, il semble toutefois avoir été “oublié” pendant quelque temps : “Mucha meurt en 1939, et immédiatement après sa mort il y a les années noires de la guerre. C’est dans les années 60 qu’il fait un retour avec le flower power et les hippies. C’est eux, avec la mode psychédélique, qui se l’approprient et le remettent au goût du jour. On le ressent très clairement si on observe les pochettes d’albums musicaux et les couvertures de comics des années 70.

A la suite des hippies, l’influence de Mucha se répand, à nouveau, partout dans le monde et dans tous les arts visuels.” De manière intéressante, c’est donc par le biais du mouvement hippie américain que Mucha est revenu au goût du jour en Europe, son continent d’origine. L’exposition ne s’attarde pas vraiment sur la bande dessinée franco-belge, mais si vous êtes tout particulièrement intéressés par les liens entre Mucha et la BD européenne, vous trouverez votre bonheur avec l’exposition Art Nouveau et Bande Dessinée qui se tiendra au Musée de la BD de Bruxelles de décembre à mars prochain.

Le cas particulier du Japon

RG Veda © Clamp / Tonkam / Shinshokan

Comme nous l’explique Roei Amit, l’influence de Mucha sur les arts visuels est très visible au Japon, dans les domaines de l’illustration, de l’animation, du jeu vidéo, et tout particulièrement des mangas et de leurs couvertures. On peut citer le travail du collectif Clamp (Cardcaptor Sakura ; RG Veda ; Tsubasa Reservoir Chronicle), chez qui l’héritage de Mucha est assez frappant, mais aussi ceux d’Hideko Mizuno (Les aventures de Pollen ; Fire!), précurseuse du manga féminin, ou de Naoko Takeuchi (Sailor Moon).

Une exposition intitulée Timeless Mucha : Mucha to Mangas – The magic of line, avait d’ailleurs été organisée au Japon en 2020 (avec pour commissaire la même Tomoko Sato), et explorait spécifiquement ces liens entre l’artiste tchèque et la BD nippone.

Pour Roei Amit, c’est indéniable : “Je ne saurais pas dire exactement pourquoi, mais l’esthétique, les motifs, le trait de Mucha ont trouvé un écho et des ambassadeurs au Japon. Il y est devenu très connu, et la culture populaire japonaise de la seconde moitié du XXe siècle a largement adopté cette esthétique, en particulier les mangakas. La journée spéciale organisée en octobre devrait nous donner plus de clés de compréhension à ce sujet là.” En effet, un évènement spécial intitulé Mucha et le Japon, du japonisme aux mangas, aura lieu le mercredi 11 octobre 2023, et s’attardera plus particulièrement sur ce sujet.

À quand une exposition dédiée entièrement à la bande dessinée au Grand Palais Immersif ? “Ce n’est pas prévu pour l’instant”, nous informe le directeur général, mais il n’est pas pour autant fermé à l’idée : “c’est tout à fait envisageable, on a une conception large de ce qu’est l’art, et la bande dessinée en fait indéniablement partie”. On croise donc les doigts !

Eternel Mucha, exposition au Grand Palais Immersif jusqu’au 5 novembre 2023.


© Grand Palais Immersif / Mucha Trust

Photos : © Baptiste Gilbert

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