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par Elsa - le 15/11/2013
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par Elsa - le 15/11/2013

Quai des bulles 2013 : l'interview de Florent Maudoux et Sourya (Freaks' Squeele)

Freaks' Squeele, l'une des séries phares de l'excellent Label 619 chez Ankama, fait partie de ces petites bombes dont on attend chaque nouvelle sortie avec impatience. Des personnages géniaux, un humour omniprésent, un univers un peu dingue blindé de références et de clins d'œil, un véritable déferlement d'action et de rebondissements en tout genre, le tout servi par un graphisme d'une beauté à couper le souffle qui allie mise en scène ultra efficace et sens du détail époustoufflant. Un cocktail addictif signé Florent Maudoux.

Petits chanceux que nous sommes, la série s'est agrandie cette année avec deux spin-off, Rouge, qui raconte l'adolescence de Xiong Mao, l'une des trois héroïnes de la série principale, dessiné par Sourya, et Funérailles, un récit sombre et violent qui revient sur les origines du professeur le plus effrayant mais fascinant de la F.E.A.H.

La sortie du sixième volume il y a deux mois (la chronique est ici), et la présence des deux auteurs au festival Quai des Bulles a été l'occasion de revenir avec eux sur l'univers Freaks' Squeele.

Florent, peux-tu te présenter et nous raconter ton parcours ?

Florent Maudoux – Je suis Florent Maudoux, j'ai étudié les mathématiques, le piano, et finalement le dessin, où je me suis le plus plu, donc j'ai continué dedans. J'ai fait de l'animation aux Gobelins, puis de l'animation 3D pour des jeux vidéos, et de l'illustration et du concept de figurines chez Rackham, un genre de Warhammer. Et au final je suis revenu à mes premières amours, la bande dessinée. J'en faisais depuis l'âge de 13 ans. Et me voilà aujourd'hui. Ça fait cinq ans que je fais de la bande dessinée, et tout se passe bien.

Comment raconterais-tu Freaks' Squeele en quelques mots ?

Florent Maudoux – C'est l'histoire de trois losers qui entrent dans une école de super-héros, et qui se rendent petit à petit compte qu'on leur a menti sur la marchandise.

Comment est née l'idée de cette série ?

Florent Maudoux - Ça vient un peu de mes études de mathématiques. J'avais des objectifs en rentrant là-dedans, et finalement je me suis rendu compte qu'on m'avait un peu menti sur la marchandise en me disant qu'en suivant le cursus sagement, j'aurai le travail qui irait avec. Du coup j'ai gardé une certaine rancœur envers ce système qui dit "travaille proprement, de manière bien scolaire, et plus tard tu seras recompensé". Finalement le plus important, c'est ce que tu fais de ton école, et pas ce qu'elle est censée te donner. C'est à toi de pousser les choses plus loin pour faire quelque chose de bien des éléments qu'on peut t'apporter dans l'école.

Freaks' Squeele a un univers très dense, avec beaucoup de détails, il y a aussi beaucoup de personnages tous très travaillés. As-tu tout construit en amont pour y raconter ton histoire ensuite, ou affines-tu les choses au fur et à mesure de la narration ?

Florent Maudoux – Il y a beaucoup d'éléments que j'ai mis en amont. Des points de personnalités des personnages, des choses à développer. Mais justement voilà, ça restait flou. Ça n'est que plus tard que j'ai finalisé les personnages et affiné le récit. C'est un mix des deux. Je voulais laisser les personnages vivre, ne pas les enfermer dans un carcan qui aurait empêché le récit d'être naturel. La fin, j'ai un peu peur de montrer des archétypes qui vont vers une destinée déjà écrite. Donc pour éviter ça, je me suis donné des objectifs mais sans formaliser le chemin, pour laisser le personnage décider dans quel sens il voulait allait et se définir.

Comment travailles-tu la construction de chaque tome ? Est-ce que tu écris d'abord le scénario, puis tu passes au dessin, est-ce que tu fais tout au fur et à mesure ?

Florent Maudoux – Effectivement, j'écris tout le scénario à l'avance. Parfois je dessine aussi des choses à l'avance, parce que ce sont des idées. Mais c'est essentiellement écrit. Ensuite je découpe tout, et là je storyboarde. Je fais une version de la bd très crayonnée, assez sale. Il n'y a quasiment que moi qui peut la compendre. Puis j'attaque la page finale. Mais je laisse du temps s'écouler entre les deux, pour pouvoir regarder le storyboard avec un oeil neuf comme si j'étais un nouveau lecteur. Ça me permet de finaliser la page avec une certaine assurance de lisibilité.

Et graphiquement, quels outils et techniques utilises-tu ?

Florent Maudoux – Crayon à papier comme beaucoup de monde, ensuite j'utilise beaucoup l'ordinateur. L'encrage, je le fais à l'ordinateur avec Manga Studio, et ensuite tout ce qui est couleur et niveaux de gris, je le fais sur Photoshop. Ça me permet de travailler le lettrage directement dans la page et de faire des bulles qui soient vraiment aux petits oignons par rapport à la quantité de texte. C'est assez agréable d'avoir cette flexibilité et de proposer un produit quasi fini à l'éditeur.

Et quelles sont tes influences au niveau de l'histoire, comme graphiquement ?

Florent Maudoux – Graphiquement c'est difficile à dire, c'est un peu tout ce que je vois. Tout ce que je trouve beau, tout ce que je trouve pittoresque peut nourrir mon dessin. Après il y a Otomo, Moebius, le manga en règle général... Même parfois les dessins animés de Walt Disney. Non je pense qu'il y a énormément d'influences graphiques qui viennent de partout. Peut-être qu'à une époque, j'étais fan des frères Valero, ou bien de Luis Royo. Tout est susceptible de m'influencer. Du moment qu'il y a quelque chose de beau, qui me plait, je finis par l'absorber, peut-être inconsciemment. Et ça ressort naturellement au moment où je dois faire la page. Je pense que c'est comme ça qu'on peut parler d'influences.

Freaks' Squeele est rempli de références, de clins d'œils. A la pop culture, mais aussi à la mythologie, aux religions. Dans le sixième tome, tu parles des Enfers. Y'a-t-il un travail de documentation derrière ?

Florent Maudoux – Le travail de documentation est assez naturel. Ce sont des sujets qui m'intéressent. Je lis des bouquins ésotériques parfois un peu chiants, des essais, je m'amuse un peu avec tout. En fait ce que j'aime bien, c'est trouver la magie dans chaque chose, dans les objets du quotidien. Tu vois c'est tout bête mais tu prends le signe Citroën, je me plais à penser que c'est une équerre et un compas, parce que le mec aurait été franc-maçon. Ça me fait marrer. Je me dis c'est peut-être ça, ou pas du tout. C'est la magie dans chaque chose. Le signe Citroën a l'air tout bête comme ça, mais peut-être qu'il nous renvoie à des sociétés secrètes, à des symboles des anciennes civilisations humaines. Et ça c'est amusant. Finalement le plus important c'est de s'amuser de toutes les choses qui nous tombent dessus.

En plus de la série principale, sont sorties cette année deux séries spin-off. Est-ce que c'est une envie que tu avais dès le départ, ou est-ce né d'une frustration de ne pas avoir pu développer autant que tu le voulais certains personnages ?

Florent Maudoux – C'est né de deux choses. Il y a un thème dans Freaks' Squeele qui est 'les études', comme je le disais tout à l'heure. Et je ne voulais pas trop m'en éloigner. L'histoire personnelle, intime, des personnages ne doit pas trop venir parasiter ce propos. Et pour pouvoir développer ces personnages, dont j'avais imaginé toute la vie, je me suis dit que je ferai des spin-off. Je m'étais gardé ça en réserve pour le faire plus tard. Et l'opportunité s'est présentée quand j'ai rencontré Sourya, parce qu'il a un dessin très féminin, très sensible. Et j'ai pu rebondir sur cette personnalité pour raconter l'histoire de jeunesse de Xiong Mao, qui est le personnage féminin le plus complexe de Freaks' Squeele. Pour Funérailles, c'est autre chose. C'est une envie personnelle, dès le départ, de raconter une histoire beaucoup plus sombre dans l'univers de Freaks' Squeele. Mais à un moment donné il faut être cohérent avec la 'bible littéraire' qu'on s'est imposé au départ de l'ouvrage. Il ne faut pas sauter du coq à l'âne. On ne peut pas avoir au départ une série bon enfant, et tout à coup mettre l'histoire d'un gars qui s'est fait amputer et défigurer dès le plus jeune âge. Donc faire une série parallèle, c'était assez naturel. D'autant plus que c'est ma compagne qui m'a sauvé la peau, en me disant qu'elle trouvait Funérailles trop âgé pour être un élève. À l'origine, il devait être un élève et faire partie du trio de héros. C'est grâce à elle que je l'ai transformé en adulte, et j'ai pu garder son histoire en réserve pour la raconter plus tard sous sa forme actuelle.

Et en ce qui concerne Rouge, qu'est ce qui t'a donné envie de parler particulièrement de Xiong Mao ?

Florent Maudoux – Comme je le disais, le dessin de Sourya m'a inspiré des choses. Il a des origines asiatiques, ce qu'on partage. Du coup je me suis dit que ça lui irait bien. Et effectivement il me l'a confié, c'est le personnage qui lui plait le plus. Et puis naturellement j'ai eu envie de développer ce personnage-là avec lui. Parce qu'il avait cette capacité à raconter un univers en plein changement. Son dessin est très graphique, contrairement au mien. Moi je suis vraiment dans le volumique, presque de la sculpture. Alors que le sien est vraiment graphique et bi-dimensionnel, tout en étant super intéressant. C'est cet aspect-là qui me donnait envie de raconter l'histoire d'une jeune femme qui se cherche, et qui finit par se trouver.

Et justement Sourya, peux-tu toi nous raconter ton parcours ?

Sourya – J'ai fait une prépa d'art, puis une école d'anim à Paris, et une autre école d'animation à Angoulême, l'EMCA.

Comment est-ce que vous raconteriez Rouge ?

Florent Maudoux – Je dirais que c'est l'histoire d'une jeune fille qui devient une femme. Cette jeune fille est en colère, dèjà parce qu'elle est adolescente, elle a forcément un rejet de l'autorité. Et puis elle aborde aussi le monde de la sexualité. C'est une jeune fille qui grandit, et qui va finir par se trouver, et devenir une femme assez solide. Parce que dès le début de Freaks' Squeele, Xiong Mao a déjà une personnalité assez forte et affirmée. C'était bien de pouvoir revenir sur cette jeunesse, pour montrer qu'un personnage solide se fait dans la douleur et dans les questionnements.

Sourya – Dans le premier volume, on aborde le sujet du flamendo. Elle travaille le flamendo depuis qu'elle est toute petite, ça lui a été imposé par sa famille. À un moment donné elle a dérivé du chemin. Et on voit comment elle revient progressivement, j'ai envie de dire dans le droit chemin, même s'il y a plusieurs chemins pour arriver à quelque chose de bien. Comment elle se remet dans le flamendo, et à reprendre sa vie en main.

Et comment se déroule votre travail ensemble sur la série ?

Sourya – En général je ne travaille pas, puis Florent vient, utilise le nunchaku. Après je travaille.

Florent Maudoux – Non, en fait grosso modo, je fais comme Freaks. J'écris un texte, je le découpe en pages, et je le donne à Sourya. A partir de là, lui le lit, le digère, il en fait un storyboard. On en discute. Il apporte aussi son oeil neuf de lecteur, et surtout son exigence de dessinateur. Et des fois il me permet de revoir ce que j'ai écrit avec un oeil critique. Et c'est super intéressant parce que ça permet à l'histoire de gagner en densité et aussi en personnalité. Dans le scénario, je ne suis finalement pas le seul aux commandes. Sourya apporte lui aussi sa sensibilité et son envie de raconter une belle histoire. Je pense que c'est ça le plus important.

Et donc derrière, pour ce qui est exécution, en général ça se déroule bien. Ce qui est bien c'est qu'on travaille dans le même atelier, donc à la moindre question, on peut se prendre un quart d'heure pour déterminer la marche à suivre. Et parfois une épineuse question de cadrage se règle en deux coups de crayon sur un papier à côté.

Sourya – Parfois, on tombe sur des blocages, que ce soit au niveau du scénario ou du dessin, et comme on est côte à côte, on peut en parler directement. En débattre et trouver une solution ensemble. C'est ça qui est agréable, ce travail d'équipe, je ne sais pas ce que tu en penses.

Florent Maudoux – Si, c'est super agréable, parce que ça permet d'avoir un vrai travail sur l'émotion de la planche et ce qu'on veut raconter. Ça je dois dire que je trouve ça super intéressant. C'est vrai que sur Freaks je n'ai pas ce retour-là. Et Rouge c'est encore quelque chose de différent. C'est pour ça que je suis content quand des gens me disent qu'ils ont préféré Rouge à Freaks, parce que c'est vraiment une oeuvre différente, et c'est bien que les gens le perçoivent. Que ça ne soit pas juste une extension de Freaks, mais véritablement une oeuvre séparée. D'ailleurs on on a fait en sorte Sourya et moi que Rouge puisse se lire indépendamment de Freaks' Squeele.

Justement, Rouge a un ton très différent de Freaks' Squeele. Florent, dans la postface du tome 1 tu expliques que tu t'es inspiré du trait de Sourya pour imaginer ton histoire, mais est-ce que ça a été compliqué de t'adapter à une autre narration, etc ?

Florent Maudoux – Non ça s'est fait naturellement. Tu en penses quoi Sourya ?

Sourya – Oui ça s'est fait naturellement. Le scénario, tu l'as quand même retravaillé plusieurs fois avant que j'arrive sur Lyon, on en parlait souvent par mail. Tu poses la question par rapport à l'histoire, ou pour le travail en général ?

Tout en fait. Même, est-ce que pour toi ça a été compliqué de trouver le bon équilibré entre l'univers de Freaks et ton univers à toi ?

Sourya – En fait non, pas vraiment. Ça s'est installé très facilement parce que Flo m'a laissé assez libre sur l'adaptation. Du coup je n'ai pas eu de blocages ou de frustrations par rapport à ça. Florent a été vraiment généreux de me laisser faire ce que je voulais. Ça s'est très bien passé, l'adaptation de l'univers de Freaks, ma vision de cet univers, c'était assez simple.

Florent Maudoux – Par rapport à ça, c'est vrai que j'ai laissé de la liberté à Sourya parce que derrière j'avais une certaine confiance. Tu ne peux pas laisser la liberté à n'importe qui, parce qu'après il y en a d'autres qui vont faire un peu n'importe quoi. Je ne sais pas, j'ai bien senti le truc. Et effectivement, dès que je lui ai laissé de la liberté, il investissait les espaces vide que je laissais. Et à partir de là tu peux faire confiance à la personne. Parce que sa manière d'investir les espaces vides, même si parfois je n'approuvais pas, je me disais « Ah c'est intéressant, ça fait évoluer le récit. » Je trouve que c'est un plus pour l'histoire, d'apporter sa propre vision de la chose. Il faut respecter cet espace de liberté, parce que sinon, je le sais pour l'avoir vécu, si tu travailles avec un scénariste et que tu n'as pas d'espace de liberté, tu finis par faire un travail scolaire. C'est ce qui peut arriver de pire à une bd, que le dessin devienne scolaire. C'est affreux, tu ne peux pas entrer dans un univers où la personne a fait le dessin contrainte et forcée. Donc j'ai vraiment voulu que Sourya arrive dans l'univers et qu'il se sente comme chez lui. Que dès le début il se dise « Je suis à l'aise, j'ai de la liberté, qu'est-ce que j'ai envie de mettre dans cette liberté ? »

Et plus techniquement, Sourya, quels outils et techniques utilises-tu pour dessiner ?

Sourya – Comme Flo, je fais mon storyboard sur papier au crayon. Pour le volume un j'ai fait pareil que Flo aussi. Encrage sur Manga Studio, et la couleur sur Photoshop. Et par contre pour le volume deux je fais tout sur Photoshop, pour changer un peu.

Et quelles sont tes influences ?

Sourya – Ça a beaucoup évolué. Quand j'étais au collège-lycée, j'étais très influencé par le manga. Notamment par Akira Toriyama, Miyazaki, Kumiko Takahashi, Adashi Mitsuko. Et après le lycée, j'ai commencé à m'ouvrir à d'autres horizons. Dans les écoles, en rencontrant d'autres artistes qui m'ont montré des choses. Je ne lisais pas beaucoup de bd avant, c'est vraiment pendant mes études que je m'y suis mis.

Dans Rouge, il y a beaucoup de scènes de combat assez techniques, de boxe, de flamendo. As-tu fait un travail de documentation pour les postures, la mise en scène... ?

Sourya – Pour le flamendo oui.

Florent Maudoux – On a fait le travail ensemble. J'avais une idée assez précise du flamendo, qui est un mélange de flamenco et d'aïkido. Donc ensemble on a regardé des vidéos de danse du ventre, de flamenco. Il y a eu un certain travail visuel à ce niveau-là. Et en dehors de ça, on a tous les deux une expérience en arts martiaux. Sourya en taekwendo, et moi j'ai fait pas mal de kung-fu de styles différents, sans pousser très loin. Mais ça permet d'avoir une approche du combat peut-être un peu plus personnel que l'oeil extérieur du néophyte. On a pu toucher un peu à la réalité du truc.

Sourya – Je me suis aussi un peu documenté pour les moments de kick boxing/muay-thaï.

Et Florent, est-ce que de voir tes personnages sous un autre angle, avec le dessin de Sourya, a fait évoluer la vision que tu en avais ?

Florent Maudoux – Oui. Déjà ça m'oblige à plus les creuser et à être cohérent avec Rouge, pour qu'il n'y ait pas de trahisons pour le lecteur qui lit Rouge et qui lit Freaks' Squeele derrière. Et puis ça m'oblige à ne pas tout raconter dans Freaks, à garder des choses pour Rouge et inversement. A faire en sorte que les personnages soient cohérents dans Rouge et dans Freaks. Et puis je trouve ça intéressant, ça permet de faire évoluer l'univers. C'est tout bête, mais par exemple le fait de voir vivre le père de Xiong Mao à travers les planches de Sourya m'a donné envie d'en raconter plus sur lui. Et certainement qu'à l'avenir je ferai un Doggybags sur lui, comment il rencontre la mère de Xiong Mao, et cet espèce de milieu mafieux à la foix anarchique et très politisé.

L'autre spin-off de Freaks' Squeele, c'est Funérailles, est-ce que tu pourrais le résumer ?

Florent MaudouxFunérailles raconte l'histoire de deux frères qui ont des trajectoires totalement opposées, dans une société où il y a des clivages sociaux très forts. C'est un peu une image de notre monde en version cauchemardesque. Ça montre la lente dégénérescence de ce monde vers un autre, peut-être différent. Et les deux frères vont être les catalyseurs de ça. J'aime beaucoup Games of Thrones pour son côté 'l'hiver viendra'. Parce que lorsqu'il y a une prospérité, il y a forcément un moment donné où la crise va venir. Et c'est peut-être une référence à notre monde actuel où on vit une crise, et on s'en sort difficilement. On n'arrive pas à sortir le nez de ça.

Et en même temps quand tu regardes l'origine de la crise, il y a une espèce de concentration sur l'évènement du 11 septembre, avec les deux tours qui se sont effondrées. Il y a tellement de symboliques là-dedans. Les tours jumelles, par rapport aux frères jumeaux. Le 11 septembre, le onze ce sont deux 1, c'est aussi le symbole des jumeaux. Par rapport à ça il y avait tellement de choses à raconter que je suis parti sur ce sujet-là. Et j'essaie de bien le respecter, de proposer quelque chose d'intéressant, et pas juste montrer que j'ai vu des espèces d'augures dramatiques dans les évènements de la vie réelle.

Justement, Funérailles est très sombre. Quelles ont été tes influences pour ce récit-là, qui a un ton très différent des deux autres séries ?

Florent Maudoux – Pour le ton général, j'espère me rapprocher de La Compagnie Noire de Glenn Cook. C'est une série de bouquins que j'ai adoré, et qui pose un regard assez froid sur l'Histoire et la guerre. Froid et à la fois amusant, parce que c'est toujours raconté par un chroniqueur qui vit ça dans la tourmente, et avec un oeil finalement néophyte. Et c'est là qu'on peut s'investir dans cette histoire de guerre et de politique, parce qu'on n'est pas directement plongés dans les intrigues via les hommes importants, mais plutôt via les gens du quotidien. C'est là où c'était amusant.

C'est pour ça que j'ai voulu développer les deux frères. Il y en a un qui va suivre le chemin de la politique et des intrigues de cours, et l'autre qui passe par le bas, et qui va vraiment découvrir l'univers, le monde politique par l'oeil du néophyte.

Et plus globalement, sur les trois séries, une des caractéristiques de l'univers Freaks' Squeele, c'est qu'on retrouve toutes les origines ethniques parmi les personnages. Et les femmes occupent une place très importante, ce qui est loin d'être toujours le cas en bande dessinée. Est-ce que c'était une volonté, ou cela s'est-il fait naturellement ?

Florent Maudoux – A la fois naturellement, et à la fois c'était une volonté. Je trouve que la place de la femme est parfois injustement négligée. Je ne saurais pas dire. J'ai vécu dans une société où les femmes sont importantes, ou ce sont souvent des premières de la classe, et pas des premiers de la classe. Je voulais leur rendre un peu justice. Et puis j'adore dessiner les femmes, même les dessiner dans leurs défauts, ce qui les rend plus humaines Finalement c'est plus dur de dessiner une femme avec des défauts qu'une femme parfaite. Parce que quand tu dessines, l'espèce de perfection que tu peux représenter devient presque froide et inintéressante. Là où il y a des défauts, c'est là où il y a de la vie. J'essaie de représenter des femmes qui ne sont pas parfaites, qui sont amusantes, vivantes.

Et pour les origines ethniques, c'est pareil. C'est tout bête mais par exemple s'il y a des monstres, c'est parce que j'aime bien représenter la diversité des êtres humains et de leur psyché. Les origines ethniques c'est un peu ça finalement. C'est une réalité. En plus je suis d'origine asiatique. J'ai grandi dans une France où il y avait des origines très variées dans mon entourage. Et je suis le premier à me sentir un petit peu différent, dans une France qui est un peu black-blanc-beur. C'était naturel, je n'ai pas vraiment fait gaffe à ça.

Pour aller plus loin, c'est un point surtout développé dans Funérailles mais c'est quand même toujours le cas, tu laisses une grande place aux freaks, déjà dans le titre. Les laissés pour comptes, etc. Qu'est ce qui t'a donné envie d'en faire tes héros ?

Florent Maudoux – Je les trouve plus intéressants, ils m'amusent plus. Peut-être que je me sens un peu plus proches d'eux. C'est à dire que je me sens différent. Je ne suis pas forcément très grand, pas forcément très fort, pas forcément très beau. Qu'est ce qu'un personnage qui n'a pas toutes les qualités du jeune premier peut transformer, peut faire, peut sublimer ? C'est plus intéressant de raconter ce genre de choses.

Et les freaks, ça vient d'une fascination morbide. Quand tu vois un freak, ça te perturbe et en même temps ça te fascine. Tu es obligé de le regarder. Et je voulais banaliser un peu ce regard sur les gens qui ont perdu quelque chose, ou qui sont quelque chose de différent. Ça n'est pas forcément une volonté, mais peut-être un travail personnel. C'est à dire que moi pour grandir, il faut que j'arrive à les voir comme des êtres humains normaux. Je pense que j'ai été influencé par Elephant Man, que j'ai vu assez jeune, qui m'a bien traumatisé. Je voulais voir l'humain derrière ces freaks. Après je ne pense pas que j'aille si loin que ça. Celui qui représente le plus gros freak de l'univers, c'est peut-être Funérailles, qui est à moitié défiguré. Et il y a 'moitié', ça veut dire qu'il y a toujours une partie humaine qui reste belle, donc je ne suis peut-être pas si loin que ça dans le freak. Mais c'est effectivement un univers que j'apprécie. Les monstres de foire, l'univers du cirque un peu glauque. C'est un peu comme les vieux contes de Grimm, il y a toujours ce côté sombre dans les contes. Ça n'est jamais complètement beau et brillant, il ya toujours une part d'obscurité dans chacun des personnages. Même les héros deviennent parfois cruels avec leurs tortionnaires.

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