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par Arno Kikoo - le 4/05/2018
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par Arno Kikoo - le 4/05/2018

Au Temps des Reptiles : quand le comicbook se fait documentaire carnassier

A côté d'un Mech Academy on ne peut plus réjouissant, le label Paperback de Casterman, nouveau venu dans le marché comics français, offre un second titre de lancement on ne peut plus différent du premier. Oubliez ce que vous pensiez connaître sur le comic book  américain avec Au Temps des Reptiles, qui sort des canons du genre pour livrer une expérience certes moins accessible, mais on ne peut plus enrichissante. 

Pour remettre un peu de contexte, Au Temps des Reptiles reprend ici la mini-série Age of Reptiles : Ancient Egyptians de l'artiste Ricardo Delgado, qui a oeuvré sur le premier Age of Reptiles dans les années 1990. Après deux éditions françaises, c'est donc un volume inédit qui s'offre à ceux qui avaient pu découvrir le titre par le passé, publié outre atlantique au début des années 2000. L'idée est simple : imaginez en bande dessinée un documentaire animalier se déroulant à l'époque où les dinosaures régnaient en maîtres sur Terre. Sans voix off. Sans commentaire. Une nature pure et brute qui s'expose sous vos yeux. A cette proposion, Au Temps des Reptiles ne ment pas et si vous êtes amoureux des gros reptiles, vous serez ravis.

Sans commentaires et sans artifices

Ce n'est pas parce que le principe est de faire un documentaire qu'il n'y a pas un parti pris ou l'absence d'un personnage principal. Ici, on suit un spinosaure, dans le parcours d'une vie dictée par la seule survie comme premier vecteur. Il s'agira donc d'explorer des territoires dangereux, même pour les plus grands prédateurs, de faire avec la faune et la flore environnante, et d'effectuer les tâches nécessaires pour passer une journée supplémentaire. La chasse, la reproduction, la sauvegarde de ses oeufs, un comportement animal que Ricardo Delgado n'oublie pas de mettre en scène avec tous les codes que le comic book permet, et une empreinte résolument cinématographique.

On retrouve ainsi au fil des pages des ambiances de western, mais aussi une approche qui rappelle les guerres de gangs dans des films plus urbains. Entre des scènes d'encerclement, des affrontements entre groupe de dinosaures, Delgado arrive à insuffler des émotions sur des colosses faits d'écailles et de muscles, au point que certains comportements permettent de s'identifier, toutes proportions gardées, à certains des dinosaures. Dans le sens où on peut identifier des "gentils" et des "méchants" - dans un monde majoritairement constitué de méchants. A ce titre, il sera très original de voir les paralititans, sortes de diplodocus, incarner les êtres les plus cruels dans l'histoire. Et on remercie d'ailleurs les notes en fin de volume pour situer chaque espèce présentée.

Et puisque je parlais de cruauté, c'est un autre point essentiel d'Au Temps des Reptiles, puisque Delgado ne cache rien dans cet univers, fait de griffes et de crocs. On ne passe pas trop de temps à discuter et c'est une loi sauvage de la nature qui s'exprime. L'ensemble est généralement majestueux, parce que Delgado use de contre-plongées et d'effets de narration pour accompagner les scènes les plus vives. Et parce que la violence brute qui s'exerce a quelque chose de saisissant, aussi par l'absence de tout commentaire. Il ne faudra sûrement pas mettre l'ouvrage dans les mains des plus jeunes, le titre étant allègrement sanglant à plusieurs reprises.

Un dessin saisissant

On aurait pu parler du dessin en premier lieu, puisque c'est lui qui fait sensation tout au long des pages d'Au Temps des ReptilesRicardo Delgado prend un énorme plaisir, ça se sent, et s'applique dans la représentation des dinosaures et d'environnements chargés de vie, pour des planches qui le sont tout autant. L'artiste a un trait minutieux et enrichit faune et flore de multiples pointillés pour mettre en avant le relief de toute chose. En découle un trait parfois lourd, qui demandera un temps d'adaptation au départ, pour ne pas se perdre entre les cases et bien suivre l'action.

Mais c'est un travail d'une beauté assez saisissante, puisque le dessin, associé à la mise en scène de Delgado, offre de purs moments graphiques, des cases sur lesquelles on reviendra volontiers s'extasier bien après la lecture initiale. Car Au Temps des Reptiles est une oeuvre qui se regarde autant qu'elle se lit, et sur laquelle on est obligé de repasser, pour apprécier le tout. On se dirait même qu'un format d'album agrandi aurait mieux convenu pour l'occasion. Le travail des couleurs de Delgado est lui aussi minutieux, et s'autorise quelques fantaisies bienvenues, surtout pour des animaux dont on imagine peu quelles étaient les couleurs naturelles. Notons d'ailleurs que l'album est préfacé par des chercheurs, signe du véritable travail scientifique mené en amont par Delgado, à saluer.

Au Temps des Reptiles est une expérience. Assez loin des codes des comics indé' qu'on retrouve sur le marché, la proposition de documentaire animalier dans sa définition la plus pure fonctionne. Après un temps d'adaptation pour ce titre muet, on se laisse emporter par un ensemble de dessins très beaux, servant une histoire qui, sans commentaire, explore avec panache toute la beauté et la brutalité de cette lointaine époque. Si sortir de votre zone de confort ne vous fait pas peur, c'est là un comic book à essayer.

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