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par Arno Kikoo - le 6/12/2017
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par Arno Kikoo - le 6/12/2017

Fondu au Noir, la critique

Dans le Hollywood d'après guerre, un jeune scénariste, Charlie Parish, tente de faire carrière en évoluant autour des acteurs prisés des studios et de la presse, des jeunes stars montantes, des studios qui font leur propre loi et du gouvernement qui s'infiltre à la recherche de traîtres vendus à la cause communiste. Après une soirée fort arrosée, Parish se réveille et, dans l'appartement où il loge, se retrouve face au cadavre de Valeria Sommers, amie proche et surtout star montante du studio pour lequel il travaille. Pris de panique, il fuit. Mais son enquête personnelle, les bouleversements du décès sur le film en cours de production, et les ingérences du studio vont mener l'homme à une macabre découverte.

Une pure ambiance de film noir

Fondu au Noir est l'édition française du titre The Fade Out publié initialement chez Image Comics. Il s'agit d'un titre proposé par Ed Brubaker, à qui l'on doit FataleVelvet ou encore Criminal, chacun de ces récits ayant été publiés par chez nous par Delcourt, avec qui l'auteur entretient visiblement une relation privilégiée. Et ce ne sera pas pour nous déplaire puisque lesdits travaux de l'auteur sont de grande qualité, et Fondu au Noir ne va pas aller à l'encontre de cette règle. Brubaker retrouve également un auteur avec qui il a a pris l'habitude de collaborer, Sean Phillips. Tous deux nous embarquent, en compagnie de la coloriste Elisabeth Breitweiser, dans un polar glamour aux forts accents de film noir - complètement à propos puisque c'est de ce genre de film dont il s'agit dans l'histoire, comme une sorte de double narration brassant le même genre.

Amateurs de l'ambiance si typique de l'Amérique des années 50, des figures d'hommes en costards, de flics fumant sous une pluie battante et de femmes fatales, Fondu au Noir puise à fond dans ce registre. Et c'est aux écrits de James Ellroy qu'on pensera notamment à la lecture, Brubaker adoptant une posture de narration omnisciente qui donne l'impression de lire un véritable roman, dont les cases remplaceraient simplement les descriptions.

L'auteur joue habilement avec les archétypes du genre. Le héros est clairement loin d'être héroïque, les différents personnages étant en fait tous brisés de l'un ou l'autre côté, et c'est là qu'on se prend directement à s'attacher à eux. Brubaker développe le background de chacun, tisse les relations entre eux, et amène le lecteur à découvrir, comme le protagoniste principal, une vérité embuée derrière les secrets et les non dits.

Autant vous dire alors que le voyage se révèle assez fascinant, tant par les personnages qui évoluent devant nous (l'ami de ParishGil, en soûlard charismatique, la délicieuse Maya Silver en femme fatale) que par la représentation que nous donne l'auteur de cette époque fantasmée que beaucoup n'ont jamais connue en dehors, justement, de leurs dépictions populaires. Une période où la chasse aux sorcières communistes incite tout le monde à se méfier, mais c'est surtout dans cette loi dictée par les studios, qui façonnent la vie de leurs actrices et acteurs, les montent de toute pièce pour le plaisir de leur public (et pour l'argent) qui rend cette épopée d'époque terriblement prenante. L'organisation des studios même se plaçant au dessus des lois, tentant d'étouffer par moments des affaires qui, avec l'actualité des dernières semaines, trouve une résonnance particulière à la lecture.

Le voyage plus fort que la destination

Seule ombre au tableau pourtant très bien garni, c'est la résolution de l'intrigue proposée par Brubaker qui, après nous avoir mené en bateau tout au long de son histoire, arrive avec une conclusion qu'on aurait aimé un peu plus "compliquée". Certes, la simplicité de certaines choses font qu'elles restent bonnes, mais arrivé à la dernière page, on se dit surtout qu'on aurait bien aimé continuer d'être mené dans le récit pendant quelques chapitres supplémentaires. Car le travail de Brubaker doit énormément à ce qu'en fait Sean Phillips aux illustrations.

Il y règne en effet une sorte de transposition cinématographique on ne peut plus à propos dans les planches de l'artiste. Si le découpage est assez classique (et après tout, l'image d'un film ne s'amuse pas à changer de taille à tour de bras), c'est dans la composition, dans l'utilisation des ombrages, et dans son trait qu'on plonge vériablement dans cette ambiance de film noir que je vous décris depuis le début. Les fausses photos et affiches de film qui viennent séparer les chapitres aident grandement, d'ailleurs. Il y a de plus des recherches graphiques pour illustrer des processus narratifs, tels que des hallucinations, ou des flashbacks, menées par des idées terriblement convaincantes de Phillips, et qui font que le lecteur découvre un récit qui lui colle à la peau tout du long. Il faut également souligner le très bon travail d'Elisabeth Breitweiser à la fois nuancé, et qui par le choix des palettes dominantes donne leur caractère à chacune des scènes. 

Fondu au Noir, qui se paie une très belle édition de Delcourt (en tant qu'objet, le livre est d'une grande classe), est un récit qu'on ne saura que trop vous conseiller, si vous êtes amateurs de polars, de film noir - et d'histoires bien écrites. Le contexte historique, l'écriture des personnages, l'ambiance, tout vous colle à la peau du début à la fin, et si la conclusion peut sonner un poil légère, c'est surtout parce que le voyage pour y arriver aura été de forte qualité.

On peut féliciter l'éditeur français d'avoir ramené ce titre par chez nous, qui vient une fois de plus démontrer du talent de Brubaker pour ce genre d'histoire. Et l'on ne pourra pas s'empêcher d'attirer votre attention sur la prochaine oeuvre de l'artiste, Kill or be Killed, qui viendra débuter l'année 2018. Restez aux aguets ! Quant à Fondu au noir, il est disponible au prix de 40 euros chez Delcourt.

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