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par Arno Kikoo - le 24/03/2018
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par Arno Kikoo - le 24/03/2018

Invisible Republic Tome 1 : politique, dense et passionnant

On aura été globalement convaincu par le lancement de Hi Comics en ce début d'année, et si nous revenons (un peu) sur le tard sur Invisible Republic aujourd'hui, c'est que le titre aura un poil été éclipsé par les grosses sorties de licences de l'éditeur que sont Rick & Morty d'un côté et les Tortues Ninja de l'autre. Et vous auriez tort de ne pas faire un pas de côté pour lorgner du côté de ce titre, une oeuvre indé' comme on a peu l'habitude d'en voir.

Invisible Republic utilise un contexte de science-fiction pessimiste pour raconter une pure histoire de politique, aux tonalités et revendication plus qu'actuelles. Dans le monde dépeint par Gabriel Hardman et Corrina Bechko, l'humanité a réussi à explorer l'univers et à s'installer sur d'autres planètes. Nous sommes en 2843, sur la lune Avalon de la planète Asan. La société assiste à la chute d'un empire politique, le régime Malory, dont le mystérieux et rebelle Arthur McBride était la figure. Alors que chacun tente d'aller de l'avant, un journaliste en manque de reconnaissance tombe sur le journal de Maia, la cousine de McBride. S'ensuit alors une double narration, celle d'un journaliste devenant lanceur d'alerte et qui souhaite exposer à tous une histoire dont personne ne connaît les secrets ; et de l'autre côté, celle de l'ascension d'un homme violent, qui devient par la force des choses le leader d'une révolution contre un système oppresseur. Mais qui finira par devenir tyran.

Hardman et Bechko livrent donc un récit en chassé-croisé, invitant le lecteur à remonter le fil de l'histoire par le récit dans le récit, mais sans jamais prendre quiconque par la main. La narration n'est pas confuse, mais elle est disséminée, chaque élément venant s'ajouter à petite dose au fil conducteur, qui n'a d'ailleurs à priori pas de direction précise. C'est que les protagonistes, qu'il s'agisse de Maia dans son journal, ou du journaliste Croger Babb, ne sont pas des héros. Ils n'ont pas de quête à accomplir, pas de grande destinée, pas d'objectif précis. Simplement un but personnel à poursuivre, qui se matérialise à échelle humaine, par l'envie de s'en sortir. D'un côté, un journaliste qui veut sortir son histoire ; de l'autre une femme qui doit trouver sa place dans une société qui n'en a pas pour elle, et qui s'affirme au gré des remous politiques autour d'elle. On peut être frustré par cet effet de "non avancée" au fur et à mesure de la lecture, mais c'est ce qui rend Invisible Republic particulièrement intéressant, et qui le fait se démarquer de tout un pan de la production indé de comic books.

La richesse de l'ouvrage se trouve dans les discours tenus par ses protagonistes, qui reflètent les idées et les sujets de prédilection de leurs auteurs. Plus qu'ailleurs, Invisible Republic passionne, par ce qu'il raconte au delà de son histoire. Le ton est dans l'ensemble très politique. Le contexte de la lune d'Avalon, dont les habitants sont envoyés sur la planète principale Asan dans le seul but de servir une élite (qu'on ne voit pas), permet de parler d'inégalités, d'exploitation des personnes sous couvert du "travail", de rébellion contre un ordre qui abuse de son pouvoir, ou de la manipulation de l'information (et de la vérité) pour des intérêts personnels. Les personnages étant dépeints d'un côté comme de l'autre tout en nuances, loin d'un manichéisme qui viendrait entâcher le propos. Propos qui lorgne aussi du côté de l'écologie, le monde présenté se voulant un avertissement aux lecteurs contemporains. À noter à ce titre quelques écrits de Corinna Bechko en fin d'album, petites dissertations scientifiques accessibles et très intéressantes sur certaines thématiques propres à Invisible Republic.

Le titre a tout à gagner également de son côté visuel, la patte d'Hardman étant clairement un bel avantage pour cet album. Le style se veut assez réaliste, et le contexte de science-fiction lorgne dans l'anticipation désolée à la Blade Runner ou Les Fils de l'Homme, le futur n'étant clairement pas brillant. Ni très coloré d'ailleurs, l'ouvrage berçant dans des tonalités grises majoritaires, qui participent de l'ambiance âpre et déprimante tout du long. Au delà, on appréciera la qualité du story-telling de l'artiste, des personnages reconnaissables et une action lisible, le tout élevé par une qualité du dessin on ne peut plus appréciable. En bref : c'est beau, vous l'aurez compris.

On reconnaît dans les choix indé de Hi Comics un affect pour les titres au propos politique fort, et Invisible Republic se porte comme une belle alternative à The Few. Plus accessible, plus posé, avec un discours politique et multiple, le titre de Hardman et Bechko prend son temps (peut-être trop ?) mais fascine à la fois par son histoire, et par le propos qui se dégage de cette dernière. Et reconnaissons-le clairement, le dessin d'Hardman est une plus-value indéniable, pour un ouvrage qui devrait se retrouver dans votre bibliothèque sans hésiter. L'album est disponible au prix de 17 euros.

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