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par Sullivan - le 29/05/2014
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par Sullivan - le 29/05/2014

Miracleman Tome 1, la critique

Né des cendres d'un contexte judiciaire aussi archaïque que l'époque qu'il incarne, Miracleman est de retour dans le giron de Marvel, après une bataille acharnée devant les tribunaux, qui ont finalement fait triompher le plus puissant des éditeurs de BD États-Uniens. L'occasion rêvée pour Panini Comics de publier l'un des tous meilleurs comic-books de tous les temps, dans un marasme total qui veut que le nom d'Alan Moore (pourtant scénariste de 90% de ce premier volume) n'apparaisse jamais, au sein des 144 pages proposées à 15€ seulement (!) par l'éditeur Italien.

Créé par Mick Anglo en 1954, quelques années avant le coup d'envoi du Silver Age, celui que l'on appelle encore Marvelman sera un feu de paille éditorial et qualitatif. Excellent mais vite mis de côté en raison de ses accointances avec Shazam et Superman, le héros disparaître près de 30 ans, avant de renaître dans les pages de Warrior, un magazine de pré-publication britannique aussi culte que capital dans l'histoire moderne de la BD américaine, notamment pour avoir accueilli en son sein les deux génies que sont Alan Moore et Grant Morrison. Relancé sous le sobriquet de Marvelman par le natif de Northampton, l'alter-ego de Micky Moran va alors révolutionner le paysage super-héroïque un peu dans son coin, avant de devenir le titre culte que l'on connait aujourd'hui pour avoir été mené de main de maître par la suite par un autre jeune Britannique : Neil Gaiman. Véritable chouchou des plus grands auteurs, celui qui deviendra - et qui restera - Miracleman revient à l'époque des prémices du Dark Age, cette période des Comics lancée et alimentée par deux monstres sacrés du microcosme du 9eme Art anglophone : Frank Miller et Alan Moore, toujours. On ne peut donc que saluer une nouvelle fois la publication (aussi tardive qu'indispensable) d'un titre qui, en plus de vieillir à la perfection grâce à la recolorisation qui fait de Garry Leach un clone de son collègue et ami Brian Bolland, offre un autre regard sur la macro-histoire d'un genre à part entière, né dans les pas d'un Super-Héros tout ce qu'il y a de plus classique. En apparence en tout cas.

Marvel a eu la riche idée de faire de ce premier volume relié une histoire du héros, en plus d'une belle mise en abîme de l'industrie, la spécialité d'Alan Moore. Débutant ainsi sur un chapitre de Mick Anglo qui nous présente la famille Miracleman, qui sent bon la tarte aux pommes et la Star-Splangled Banner.

C'est grâce à ce voyage dans le passé que l'écriture du créateur de Watchmen prend tout son sens. Déconstruisant le mythe du héros parfait issu du Golden Age pour mieux l'amener vers une version gritty et presque malsaine, Moore joue avec les codes posés par Mick Anglo, tout en rendant hommage à ce dernier dans une explosion de variété littéraire et d'idées toutes droits sorties de son cerveau hyperactif. Ainsi, la prose de l'auteur est mesurée à la lettre près et une seconde lecture s'installe dans la façon qu'a le scénariste de faire penser ses personnages. Entre le très pragmatique et quasi-nihiliste Micky Moran et son alter-ego se trouvent des mondes d'écart. Miracleman, sa version super-héroïque invoqué en criant Kimota (Atomique en verlan), est vecteur de pensées saines, poétiques et souvent métaphysiques, l'occasion pour le scénariste d'y déverser sa vision d'un monde pas si différent du nôtre, abordé dans ses atours les plus dystopiques à l'occasion des chapitres proposés aujourd'hui. Ainsi, en sondant l'indicible, Moore parvient par des chemins détournés à faire d'une histoire super-héroïque un véritable pamphlet sur la nature humaine, malmenée ici, que ce soit dans le premier chapitre qui traite de l'amour, de la confiance et de la puissance, ou par la suite quand il s'agit d'aborder la propension qu'a l'être humain à mentir, à déformer, à modifier. À travers le spectre d'un héros hors de son temps, le lecteur parvient à saisir toute l'hypocrisie ambiante, déjà dénoncée en 1982 par un scénariste de génie en devenir, qui fondera la suite de sa carrière sur cette honnêteté que rien ne peut acheter.

Ajoutez à cela une histoire qui fonctionne aussi bien dans son premier niveau de lecture grâce à une écriture impeccable et à des dessins fabuleux d'un Garry Leach retrouvé grâce aux nouvelles couleurs proposées aujourd'hui (que vous pouvez comparer en cliquant juste ici), et vous obtenez un monument de la BD Super-Héroïque, de ceux qui font réfléchir autant qu'ils offrent des moments de bravoures incontournables.

Plus difficile d'accès, la seconde moitié de l'album nous offre une reflexion à échelle cosmique imaginée par Alan Moore, qui jouera alors avec les concepts de ligne temporelle et de "distance" avec toute la facilité du monde, lui qui n'est jamais à court de concepts hauts-perchés, qui risquent de laisser le lecteur le moins investi de côté devant tant de complexité. Pour celui qui fera l'effort toutefois, ces Warpsmith représenteront ce que l'imaginaire a de meilleur : de la Science-Fiction onirique, loin des concepts Hard-Science qui se sont répandus depuis.

Un dernier mot sur l'édition de Panini Comics : Chapeau. Proposer un tel monument à 15€ seulement (nos homologues Américains peuvent se procurer l'équivalent pour 25$) avec une couverture inédite de vrais bonus de fin de volume, c'est la meilleure réaction que pouvait offrir un éditeur définitivement sur les bons rails, et qui concurrence sans mal les nouveaux standards établis par ses concurrents.

Miracleman est un indispensable pour tout amateur de Comics qui se respecte. Sincère, intelligent, culte, beau et plus encore, le titre est de nouveau disponible pour le plus grand bonheur de tous (à l'exception d'Alan Moore, ronchon que de nouveaux lecteurs puissent découvrir l'un de ses tous meilleurs travaux), et passer à côté semble inimaginable tant celui-ci constitue à lui seul ce que doit proposer un comic-book qui se respecte. Du très grand art, proposé pour 15€ seulement.

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