Comme pour les meilleures bandes dessinées, voici les mangas qu’on vous commande parmi toutes les sorties de mai 2020. Si vous cherchiez des idées de one-shot et des débuts de séries, suivez le guide.
Un rendez-vous mensuel réalisé à plusieurs mains par Rémi I. & Thierry Soulard. Retrouvez toutes les sorties BD, comics et manga sans la rubrique “Notre oeil sur les sorties”. Et venez en discuter avec nous sur les réseaux : Facebook — Twitter — Instagram.
📰 Sommaire
🔷 Violence & Peace de Shinobu Kaze, Le lézard noir
🔷 Ma vie en prison, de Kim Hong-mo, Kana
🔷 Show me love d’Ami Fushimi, Akata
🔷 Autour d’elles de Shino Torino, Akata
Violence & Peace de Shinobu Kaze, Le lézard noir
Quelle drôle d’expérience que la lecture de ce recueil d’histoires courtes ! Publié pour la première fois en France, Shinobu Kaze est un nom connu des amateurs de SF japonaise. D’abord assistant pour Gō Nagai chez Dynamic Pro, il s’est ensuite frotté personnellement au milieu du manga dans les années 1970. Dans cette anthologie, le mangaka touche-à-tout propose un florilège de genres avec des histoires publiées entre 1977 et 1997 : série B, science-fiction, polar, paranormal, anticipation, hardboiled, horreur…
Si l’on reconnait facilement l’influence de l’auteur de Devilman, nombre d’images montrent également l’impact qu’a eu Philippe Druillet sur son travail. Car c’est bien l’aspect graphique qui marque à la lecture. Les compositions, agencements de planches, positionnements et formes des cases s’adaptent constamment au propos, à l’action omniprésente de ces histoires. Shinobu Kaze joue avec le médium et propose également de sublimes illustrations pleines pages. Adepte de l’écriture semi-automatique sous transe méditative, il dessine des récits qui se vivent plus qu’ils ne s’interprètent. Tous partent en vrille très vite et finissent par une sorte d’élévation mystico-écologique suite à des affrontements armés entre humains et robots.
Une curiosité patrimoniale de presque 400 pages regroupées dans une édition grand format à couverture cartonnée du plus bel effet.
Rémi I.
Ma vie en prison, de Kim Hong-mo, Kana
À première vue, Ma vie en prison rappelle le Shenzen de Guy Delisle, le Persepolis de Marjane Satrapi, le Une vie chinoise de Li Kunwu et P. Ôtié, le Formose de Li-Chin Lin : un roman graphique en noir et blanc, manhwa au trait épuré, qui raconte par le prisme de l’expérience personnelle un morceau d’histoire. La politique interne de la Corée du Sud des années 80 et 90 rencontre ici le témoignage sur la vie en prison, les pages sur les pratiques carcérales asiatiques incongrues (l’une, sur les perles pour pénis, risque de vous lancer dans une recherche Google étonnante) celles sur le soulèvement de Gwangju.
L’histoire prend place dans la Corée du Sud de 1997. Le pays est en pleine période d’instabilité politique. Kim Hong-mo, jeune étudiant protestataire, est arrêté et emprisonné provisoirement, dans l’attente de son procès. Mais l’histoire est dessinée autour de 2010, et est plus à classer en récit autofictionnel qu’en récit autobiographique : le personnage dont on suit les aventures est le fictif Kim Yongmin, non le réel Kim Hong-mo. « Parce que cette histoire est aussi celle de tous mes camarades ayant vécu cette époque, je n’ai pas donné mon nom au héros », dit l’auteur dans la postface. « Dans ce manhwa, le héros se montre joyeux, mais en réalité, la situation était bien plus grave. J’étais dans un état de profonde tristesse, voir de désespoir. » De même, il fait le choix de ne dépeindre « que les détenus gentils », prisonniers politiques comme lui ou gangsters cultivés ayant un code d’honneur, évacuant de son histoire les « vrais voyous ou petites frappes brutales ». « Je me suis dit qu’un manhwa trop sérieux risquait d’ennuyer les lecteurs. Alors j’ai essayé de lui donner un ton plus enjoué, afin qu’il soit un peu drôle, mais je ne sais pas si j’y suis parvenu », argumente-t-il encore dans la postface.
Ma vie en prison n’est donc pas un reportage dessiné cherchant l’objectivité, mais une histoire focalisée sur ce dont l’auteur a envie de souvenir, éditorialisée, romantisée (édulcorée, diront les détracteurs), un témoignage historique filtré au prisme de l’expérience personnelle et des souvenirs. Une histoire racontée au prisme d’un dessin faussement simpliste, héritier de plusieurs influences asiatiques (linogravure, calligraphie et encre de Chine, peinture orientale de paysage…). Une œuvre d’art, au final, qui met à distance le réel pour mieux présenter le point de vue de son auteur sur le monde.
Thierry Soulard
Show me love d’Ami Fushimi, Akata
Nami vient à peine d’emménager avec sa mère dans un nouvel appartement. Suite à un problème de plomberie, la collégienne va sonner chez son voisin du dessous qui se révèle être un enseignant de son établissement. À sa porte arrive son très jeune fils venu rendre visite à son père. De cette rencontre naîtra une histoire belle, mais difficile.
Au travers de celle-ci, Ami Fushimi (dont c’est le tout premier livre) en profite pour tirer une photographie de notre société moderne. Avec son dessin numérique à la ligne simple et ses grandes cases aérées, elle arrive à nous captiver par sa description de drames du quotidien. Il faut dire qu’elle ne traîne pas et aborde un nombre impressionnant de sujets en peu de pages. Notamment la parentalité, le divorce, le harcèlement scolaire, la violence conjugale, la difficulté de vivre seul… et la place des enfants dans tout ça !
La mangaka dresse avec réalisme, dureté et tendresse le portrait pas si singulier d’une famille séparée. On est pris d’affection pour les personnages, leur vécu, et c’est plein d’émotion que l’on referme ce qui n’est rien moins qu’un très riche résumé de leur situation.
Rémi I.
Autour d’elles de Shino Torino, Akata
Deuxième titre du mois à mettre en avant les familles dans leur pluralité et modernité aux éditions Akata. Dans celui-ci, Maya et Michiru étaient concubines du temps de la fac. Après s’être perdues de vue, elles se sont retrouvées 5 ans après. Elles vivent à présent en collocation, avec pour simple règle de ne pas dépasser la frontière de l’amitié. Si elles sont toutes les deux au centre de l’histoire, on notera également la présence d’un homme, Nico, un voisin qui s’est attaché à Yûta, l’enfant qu’a eu Michiru durant son absence inexpliquée.
Ancienne assistante en chef de Chica Umino, Shino Torino a un dessin tout en rondeur qui vogue entre mignonnerie et mélancolie. Ses planches et sa narration éclatée sont séduisantes. Avec cette série (complète en 6 tomes au Japon), l’autrice décrit des adultes qui se cherchent au travers d’une tranche de vie simple et complexe à la fois. Simple par son approche, complexe par sa fausse légèreté et la subtilité avec laquelle elle aborde ses personnages. Car elle réalise un vrai travail sur ses héroïnes, leurs affects et leurs fêlures.
Une lecture douce-amère à la fois chaleureuse et dure, drôle et dans l’émotion.
Rémi I.
Image principale : © Shino Torino / Shôdensha / Akata