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Critiques
par Baptiste Gilbert - le 19/04/2023
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par Baptiste Gilbert - le 19/04/2023

Sabre au poing, 3 mangas qui explorent les facettes des guerres historiques

Le manga a toujours eu beaucoup à offrir aux amateurs d’histoire, en particulier d’histoire asiatique, et les sorties de ce début d’année ne font pas exception, avec 3 nouveautés qui nous entraînent chacune à une époque et dans un contexte bien différent !

Bokko – Stratège, de Kenichi Sakemi, Sentaro Kubota & Hideki Mori, Vega Dupuis

On commence avec une réédition d’un manga sorti à l’origine en 1992 au Japon, récompensé par le prestigieux prix Shōgakukan en 1995, et adapté au cinéma en 2006 sous le nom A Battle of Wits. Edité pour la première fois en France en 1999 et épuisé depuis, on peut dire que cette réédition n’était pas de trop, surtout au vu du sujet original et étonnamment frais pour une œuvre trentenaire !

Les auteurs nous emmènent en 300 avant J.C., en Chine à l’époque des Royaumes Combattants, pour y suivre un moine moïste. Cette doctrine philosophique, créée par le philosophe Mo-Tseu, constitue l’antithèse de celle de Sun-Tzu (et son incontournable essai l’Art de la guerre). Les adeptes de Mo-Tseu prônent l’égalité entre tous, rejettent toute forme de guerre, et sont formés à défendre les villes assiégées par le biais de manœuvres stratégiques.

On suit le moine moïste Ke-Ri dans sa tentative de défendre un petit fort assiégé par une armée beaucoup plus nombreuse que ses défenseurs. L’aspect stratégique est particulièrement réussi et très agréable à suivre, restant toujours compréhensible entre la planification et les rebondissements conduisant à des décisions sur le tas. La personnalité des protagonistes et leurs relations sont développées de manière subtile et évitent les clichés.

Graphiquement, âge de l’œuvre oblige, le style est rétro, mais sans être kitsch. On s’y habitue vite et la qualité de lecture n’en pâtit pas le moins du monde. Au contraire, le style rond et net, presque “Tezukesque”, et la mise en page assez traditionnelle s’adaptent très bien à la thématique et facilitent la compréhension des stratégies et de l’état des forces en présence.

Une œuvre au contexte militaire ultra prenant, mais au message philosophique paradoxalement anti-guerre, qui vieillit comme un bon vin, 30 ans après sa sortie !

Mibu Gishi Den, de Jirō Asada & Takumi Nagayasu, Mangetsu

Une histoire qui commence en 1868 en suivant un samouraï membre de la milice du Shinsen Gumi, désertant au moment d’une défaite des forces shogunales face aux troupes impériales. Toutefois, à la moitié du premier tome le récit prend une autre tournure et avance dans le temps jusqu’au début du 20ème siècle.

On comprend qu’il va alors se baser sur différents témoignages pour nous raconter l’histoire de ce samouraï et plus globalement du Shinsen Gumi. Un procédé qui permet d’explorer différentes visions des évènements relatés, un peu à la manière du film historique fondateur Rashomon d’Akira Kurosawa. L’œuvre s’intéressant au Shinsen Gumi, le contexte est similaire à celui de Chiruran (on vous en parlait ici), mais avec un regard et un ton plus mature, plus proche de la réalité historique

Il s’agit d’une adaptation d’un roman de Jirō Asada lui-même, qui avait déjà eu droit à une adaptation en film en 2002 sous le titre When the Last Sword Is Drawn. Asada est en fait en premier lieu un écrivain, de son propre aveu fortement inspiré par l’œuvre de Yukio Mishima, dont il a été le disciple. Auteur très populaire et multi-récompensé, il développe notamment une fascination pour les questions militaires : Il affirme avoir un ancêtre samouraï sous l’ancien shogunat Tokugawa, et va même s’engager dans les Forces d’Autodéfense du Japon après le suicide de Mishima en 1970. Fascination que l’on peut imaginer sans peine en lisant Mibu Gishi Den, tant l’organisation du Shinsen Gumi et la guerre civile déchirant le Japon à l’époque y sont décrites de manière précise. 

Ainsi, il vaut mieux s’y connaître un peu en histoire japonaise du 19ème siècle, en particulier concernant la restauration Meiji, sous peine d’être un peu perdu parmi les très nombreuses références. En revanche, si l’on connaît un peu le contexte, l’œuvre est un excellent moyen d’en apprendre plus, notamment en rendant compte de la complexité de la situation de l’époque, que l’on aurait trop facilement tendance à résumer à “shogun vs. empereur”.

Côté dessin, c’est Takumi Nagayasu qui s’attèle à cette adaptation. Notamment auteur de Mother Sarah avec Katsuhiro Ōtomo, c’est la seconde fois qu’il adapte en manga un ouvrage de Jirō Asada, après Le Cheminot, suivi de la Lettre d’Amour, un recueil de deux histoires courtes. Il développe un style sobre proche de celui de Jirō Taniguchi, en particulier au niveau des visages sincères et expressifs, et avec une action assez statique mais toujours lisible. Une sobriété parfaitement adaptée, qui donne à cette histoire au cœur de l’Histoire une certaine noblesse.

Ikusa No Ko – La légende d’Oda Nobunaga, de Tetsuo Hara & Seibō Kitahara, Mangetsu

Probablement le titre de la liste qui prend le plus de libertés avec les faits historiques. On s’intéresse à la vie du personnage d’Oda Nobunaga, à l’époque des provinces en guerre (époque Sengoku) qui précède l’unification du Japon. Fun fact, cette époque de l’histoire japonaise est nommée ainsi en référence à l’époque chinoise des Royaume Combattants … lors de laquelle se déroule Bokko – Stratège, tout se recoupe.

Oda Nobunaga (1534 – 1582) est le premier des trois grands unificateurs du Japon (avec Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu) pendant cette période Sengoku. Fils d’un seigneur de guerre mineur, il a passé sa vie sur les champs de bataille et a conquis une grande partie du Japon avant sa mort. Figure bien connue des lecteurs de manga et personnage historique majeur au Japon, on en suit ici une version fantasmée, les auteurs faisant de lui un génie de la bataille et un meneur d’hommes instinctif, capable de défier des armées d’adultes aguerries alors qu’il est encore pré-adolescent.

Ce côté fantasmé se répercute dans le dessin, signé Tetsuo Hara (Hokuto No Ken, Soten No Ken, Keijicoup de 💖, …), avec des musculature disproportionnées et des personnages à la taille de géants et à la résistance hors-norme, les rendant quasi monstrueux. On est un peu partagés sur l’aspect “over-the-top” des dessins et du scénario, qui ne s’adaptent pas toujours bien à un récit historique de ce type. Mais les amateurs des œuvres de Tetsuo Hara retrouveront avec plaisir sa patte inimitable.

Ce n’est pas la première fois qu’on vous fait une sélection de manga historique : on vous conseillait ici quelques grands classiques et pépites du genre (avec du Tetsuo Hara, déjà !). Et vous, c’est quoi votre référence ultime dans le genre ?


Illustrations

Bokko – Stratège : © Kenichi Sakemi / Sentaro Kubota / Hideki Mori / Vega Dupuis / Shōgakukan

Mibu Gishi Den : © Jirō Asada / Takumi Nagayasu / Mangetsu / Shūeisha

Ikusa No Ko : © Tetsuo Hara / Seibō Kitahara / Mangetsu / Coamix

© Kenichi Sakemi / Sentaro Kubota / Hideki Mori / Vega Dupuis / Shōgakukan
© Kenichi Sakemi / Sentaro Kubota / Hideki Mori / Vega Dupuis / Shōgakukan
© Jirō Asada / Takumi Nagayasu / Mangetsu / Shūeisha
© Jirō Asada / Takumi Nagayasu / Mangetsu / Shūeisha
© Tetsuo Hara / Seibō Kitahara / Mangetsu / Coamix
© Tetsuo Hara / Seibō Kitahara / Mangetsu / Coamix
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