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Incontournables
par Thomas Mourier - le 23/08/2019
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par Thomas Mourier - le 23/08/2019

Découvrir les mangas — ép.3 : Les seinen et josei classiques

Après les dossiers consacrés aux classiques du shōnen puis aux shōjo, voici un dossier spécial seinen & josei (pendant du seinen destiné à une cible féminine), du manga pour adulte donc avec une sélection de 10 titres qui ont marqué l’histoire et les lecteurs. Attention, cette sélection n’est pas tout public, réservée à des lecteurs… Lire la Suite →

Après les dossiers consacrés aux classiques du shōnen puis aux shōjo, voici un dossier spécial seinen & josei (pendant du seinen destiné à une cible féminine), du manga pour adulte donc avec une sélection de 10 titres qui ont marqué l’histoire et les lecteurs.
Attention, cette sélection n’est pas tout public, réservée à des lecteurs adultes ou grands ados.

Comme pour chaque dossier, cette liste de 10 titres est un point de départ à enrichir et compléter (n’hésitez pas à indiquer d’autres titres en commentaires) mais avec ces séries : vous avez de bonnes pistes de lectures pour vous y mettre.

Sommaire 📰

1. GOLGO 13
2. LE
S FEMMES DU ZODIAQUE
3. AK
IRA
4. HO
KUTO NO KEN
5. JO
JOS BIZARRE ADVENTURE
6. G
HOST IN THE SHELL
7. BE
RSERK
8. GU
NNM
9. LE
PAVILLON DES HOMMES
10. ON
E-PUNCH MAN

1. GOLGO 13

2 intégrales chez Glénat – Série en cours

James Bond a un équivalent japonais, encore plus efficace et mystérieux à la différence près, qu’il est tueur à gages. Golgo 13 est l’une des séries les plus anciennes encore en cours de publication, et son créateur, Takao Saitō, a très vite instauré le travail en studio pour produire ses œuvres qui ont un statut un peu à part dans l’industrie du manga. Toutes les histoires mettant en scène Duke Togo alias Golgo 13 sont racontées du point de vue de ses commanditaires ou de ses victimes, jamais du sien. Non seulement Togo n’arrive qu’en cours d’histoire, mais en plus il est peu loquace : autant dire qu’on ne sait rien de lui et ce sera uniquement à travers le regard et la peur des autres protagonistes que l’on commence à cerner cet anti-héros. À la manière de James Bond, il opère sur tous les continents sous diverses identités, est souvent mêlé à des affaires célèbres qu’on découvre sous un genre nouveau, et s’annonce toujours sous « son nom » comme si de rien n’était. Tueur implacable qui n’a (presque) jamais connu d’échec, il obéit à un code d’honneur et à des règles qu’on découvre en filigrane des épisodes. Difficile d’échapper à son regard froid et inflexible.

L’auteur est, avec Yoshihiro Tatsumi, l’un des fondateurs du courant Gekiga, qui ont voulu s’éloigner du manga d’aventure « à la Tezuka » en proposant des histoires plus réalistes et liées à des thèmes de société. Et tout l’univers de Golgo 13 s’efforce d’être le plus crédible possible et le plus documenté sur les pays, événements ou personnalités mis en scène. Tous les milieux sont évoqués, des yakuzas aux familles princières, des milieux populaires aux multinationales, des paysans aux espions, des prostituées aux terroristes… Bien sûr, l’habileté et les exploits de Togo sont irréalistes, mais tout le cadre autour a fait l’objet d’une grande attention et d’une documentation détaillée. Autre particularité il travaille en studio et embauche des confrères mangakas ou des écrivains chez Saito Production pour l’aider à réaliser ses histoires. Une méthode qui lui permet d’aborder des sujets très complexes ou référencés en cumulant les records : elle sera bientôt la plus longue série publiée, fait partie du top 5 des mangas les plus vendus au monde (la 1ère dans la catégorie seinen) et est la plus vieille série encore en cours de publication, depuis 1968.

Le style graphique de Takao Saitō a évolué depuis ses débuts où il adaptait les romans de Ian Fleming avant de créer son James Bond inversé. Le trait est anguleux et oscille en permanence entre l’ultra-réalisme des objets & des décors et le semi-réalisme (voir la caricature) des personnages. Le manga a gardé son style années 70 qui aujourd’hui lui donne un vernis vintage, dans la veine des grandes séries de son époque comme Lone wolf and cub, Gen d’Hiroshima ou Ashita no Joe. Malgré le genre polar, espionnage et hard boiled auquel appartient le manga, il y a peu de scène d’action. Le découpage et la mise en scène nous tiennent en haleine sur les mystères de la nouvelle cible et la préparation de Togo pour l’éliminer en un coup. Le seinen penche plus vers le genre contemplatif en soignant ses ambiances que l’action spectaculaire. 

Une série ambitieuse et complexe que les éditeurs français ont eu du mal à proposer tant le nombre de volumes disponibles était grand au moment de l’arrivée du manga en France. Heureusement les éditeurs japonais ont publié plusieurs recueils façon best of qui ont été repris chez nous, avec des compilations de plus de 1000 pages à partir des histoires préférées de l’auteur et des lecteurs. On se rassure, chaque histoire est faite pour être comprise indépendamment des autres bien que certains liens se tissent au fil du temps. Véritable série culte au Japon, on aimerait en découvrir un peu plus en France, avec par exemple le 3e best of qui existe déjà et qui a été compilé à partir d’une sélection des personnalités présentes dans la série.  

2. LES FEMMES DU ZODIAQUE

2 volumes chez Le Lézard noir – Série terminée

Miyako Maki fait partie de ces grands auteurs japonais qui ne sont pas encore connus ou peu traduits en France. Pourtant, elle est l’une des autrices les plus emblématiques des années 60–70 au Japon et particulièrement autour du manga adulte. Il n’existait pas de publication de ses œuvres avant l’édition française des Femmes du Zodiaque. Une dessinatrice qui a exploré tous les genres du shojo au gekiga, et du seinen au josei qu’elle popularise. En plus de ses mangas, elle est également connue pour avoir créé le premier design de la poupée Licca-chan, pendant japonais de la poupée Barbie. Elle est également la compagne du dessinateur d’Albator, Leiji Matsumoto.

Après une première partie de carrière dans le shojo, elle expérimente le gekiga et les mangas pour adultes et s’inspire de ses contemporains Osamu Tezuka et Kazuo Kamimura. L’influence de ce dernier est très grande dans ces portraits de femmes fortes au milieu d’une société assez dure, au cœur de la transition économique du Japon moderne. Les histoires courtes de ces deux recueils présentent des moments de vies étalées sur plusieurs époques, de l’après-guerre immédiat aux années soixante-dix avec à chaque fois un point de vue original via l’héroïne. L’autrice utilise les signes du zodiaque comme fil rouge (une pratique habituelle pour des lecteurs japonais pour qui il est courant est de demander le signe astrologique ou le groupe sanguin d’une personne) et enchaîne les destins d’héroïnes, spectatrices ou victimes avec une poésie et une cruauté toute maîtrisée.

C’est vraiment la force d’attraction du dessin qui pousse à ouvrir ces albums tant les planches sont belles. Le talent de la dessinatrice, qui a déjà une carrière très riche derrière elle au moment de la publication de ces nouvelles, est à son apogée. Chaque case mériterait que l’on s’arrête pour sa composition, sa maîtrise des aplats de noirs dans un médium qui ne comprend que très peu la couleur ou encore la finesse de ses personnages. Le découpage très onirique, proche de Kazuo Kamimura crée des contrastes saisissants entre la dureté de certains chapitres et la beauté évoquée par cette mise en scène. 

Il manquerait presque dans cette unique édition française en deux volumes, un cahier graphique supplémentaire à la fin pour nous contenter. Ce serait du luxe, car je précise que l’édition est très belle, le papier fait ressortir les noirs intenses de l’œuvre et la traduction est enchanteresse. Encore une fois, un petit bijou méconnu, mais terriblement indispensable. Un manga fort, avec des héroïnes comme on n’en voit pas encore assez dans la bande dessinée contemporaine, tous genres confondus.

3. AKIRA

6 volumes chez Glénat- Série terminée

L’un des mangas charnières de son histoire, au Japon, mais surtout à l’international, Akira a marqué des générations de lecteurs et de dessinateurs. Grand fan de Moebius et de quelques artistes européens, Katsuhiro Otomo insuffle une vision nouvelle du dessin et révolutionne le manga adulte du début des années 80 avec cette seule série. Huit ans de prépublication complétée par un film d’animation avant même la conclusion du manga en 1988, la saga Akira a tenu en haleine tous les fans de SF avant de devenir une des œuvres internationalement cultes du genre, dans le sillage de Dune ou de Blade Runner.

À l’image des explosions et des impacts qui jalonnent Néo-Tokyo dans son œuvre, cette publication marquera un avant et un après dans le monde de la bande dessinée. Que ce soit dans les thèmes qu’il aborde ou par ses propositions graphiques, Katsuhiro Otomo a ouvert un boulevard aux seinens modernes. Best-seller dans de nombreux pays, il popularise la dystopie et les récits post-apocalyptiques avec leurs lots d’ultra-violence, de machines et de sectes où la science est vue comme de la magie. De la SF aux accents fanatiques qui se concentre sur la jeunesse d’un monde à la dérive.

À Neo-Tokyo, après la 3e Guerre Mondiale, la ville est déchirée entre les bandes de loubards et leurs combats à moto, les militaires et leurs expériences monstrueuses, et les rebelles avec leurs idéaux. Un monde post-apocalyptique au bord d’une autre catastrophe… 

En transposant dans cet univers noir de post 3e Guerre mondiale tous les codes habituels du manga populaire, avec ses lycéens rebelles, ses histoires d’amour compliquées et son regard pointu sur la société japonaise… le dessinateur embarque ses lecteurs dans une fresque désespérée et angoissante. En plus de la violence et des menaces politiques qui s’immiscent dans le quotidien de ces adolescents, l’auteur aborde frontalement le sexe, la drogue, les déviances et les complots avec une manière nouvelle d’approcher ces tabous qui consolidera son rôle de précurseur du manga moderne. Un glissement habile qui lui a permis de faire le tour du monde et de pouvoir adapter lui-même son histoire en long-métrage animé. 

Un style et une approche qui va influencer bon nombre de mangaka et de réalisateurs. On pense à Nausicaä d’Hayao Miyazaki qui entamera le manga et le portera à l’écran. Ou à l’inachevé Seraphim 266,613,336 Wings de Satoshi Kon et Mamoru Oshii, deux autres géants de la réalisation. 

Aussi minutieux et réussi que l’œuvre papier, le film devient culte à son tour : lançant la série aux USA puis en France et une bombe dans le monde de l’animation. Otomo connaît alors une carrière de réalisateur qui va peu à peu l’éloigner du dessin. Machines, architectures, courses-poursuites et déflagrations… Otomo renouvelle le langage graphique de la vitesse et de la violence en manga. Très technique et élégant avec son sens du découpage et de la mise en scène cinématographique. Son trait façonne un monde crédible dans un futur impensable et a donné vie à des personnages devenus mythiques, en quelques chapitres.

À l’ombre d’Akira, qui éclipse souvent le reste de sa production, on vous conseille également de lire Dōmu, œuvre écrite juste avant, très réussie aussi dans son genre : un huis clos urbain où les enfants ont déjà un rôle majeur et où le paranormal est aussi très présent. Vous l’aurez compris, Akira est l’un des piliers de la bibliothèque idéale et sa réédition avec une nouvelle traduction est une bonne occasion de s’y mettre si vous n’aviez pas sauté le pas. Et pour les fans, c’est l’occasion de relire un classique avec un texte et un format plus proche de l’original.

4. HOKUTO NO KEN

14 volumes chez Kazé – Série terminée

Manga précurseur du shonen contemporain, cible de toutes les attaques en France lors de l’arrivée du manga, classique des classiques pour les fans, cette série cristallise les passions. Exceptionnellement pour ce dossier, nous l’avons placé avec les seinens pour qu’il ne se retrouve pas entre toutes les mains dans notre dossier shonen. 

Véritable phénomène au Japon, avec Dragon Ball et Les Chevaliers du Zodiaque, Hokuto no Ken sera l’une des séries les plus populaires du Shonen Jump et fut l’un des premiers shonen à mettre en scène la violence de manière esthétique et frontale, mais également à s’inspirer énormément du cinéma de l’époque, oscillant entre Dirty Harry & Mad Max. Elle est la série marquante de l’arrivée des mangas en France, programmée au Club Dorothée, amputée de ses scènes violentes, avec des dialogues détournés voir absurdes quand les doubleurs ironisaient avec l’école du “Hokuto de cuisine” contre celle du “Nanto de fourrure” pour désigner les écoles martiales du Hokuto et du Nanto : cette série ne ressemblait plus à la série d’origine pourtant elle a passionné les spectateurs. Avec l’arrivée des versions sous-titrées sur internet puis des traductions de la série en librairie, les lecteurs ont découvert cette œuvre sombre et réussie très loin de la version TF1.

 « Tu ne le sais pas encore, mais tu es déjà mort » réplique culte d’un guerrier perdu dans un monde post-apocalyptique, un messie qui s’ignore au code d’honneur propre aux samouraïs et qui suit son désir de vengeance à travers un monde ravagé par la bombe nucléaire. Dans cet univers dystopique où l’amour et la vengeance ont le même poids plusieurs écoles de guerriers s’affrontent, dont celle du Hokuto Shinken à laquelle appartient notre héros Kenshiro. Combattant à main nue, cherchant à toucher les points vitaux de ses adversaires, les auteurs se plaisent à créer un parallèle cosmique entre les étoiles, les constellations, le corps humain et le destin. Sur une Terre où le sauveur sera le plus fort, et ou l’espoir est l’arme des combattants.

Répliques pleines de testostérone, ultra-violence, situations à la limite du grotesque et héros attachants, l’univers mis en place par Buronson dans cette œuvre préfigure les grands thèmes de son travail de scénariste et de ses autres succès avec Ryoichi Ikegami, Sanctuary, Strain et Heat. La série marquera fortement les esprits grâce à son graphisme noir, gothique et brut. Le dessin de Tetsuo Hara fera école et énormément de mangakas imiteront ou s’inspireront de son style. De son trait réaliste soutenu par un travail incroyable sur les ombres et les lumières qui donnent une belle lisibilité dans ces planches ultra-chargées de détails, à ses anatomies baroques. Le dessinateur affinera son trait dans sa série suivante Keiji, une plongée épique dans le Japon médiéval.

Fort de ce succès, les auteurs ont réalisé vingt ans plus tard Ken : Fist of the Blue Sky une série qui se déroule deux générations avant celle de Ken et qui nous plonge dans la Chine des années 1930, au moment de la colonisation japonaise en Mandchourie. Un thème cher au scénariste qu’il exposera dans plusieurs mangas, et qui donnera un second souffle à la Hokutomania. Hokuto no Ken reste un indispensable, à condition d’accepter les moments hardcores et trash, qui mêlent à la fois combat et épopée guerrière, philosophie et réflexions sur la religion ou la politique, le tout servi par une esthétique très travaillée. On précise que, comme pour beaucoup de mangas de cette époque, il faut passer les premiers volumes un peu improvisés pour que l’histoire décolle vraiment avant de pouvoir profiter de cette saga épique.

5. JOJO’S BIZARRE ADVENTURE

119 volumes chez Delcourt – Série en cours

Assez méconnue en France, en dehors d’un cercle de fan irréductible, la saga JoJo fascine par l’étendue de son univers qui s’étale sur plusieurs séries comme une comédie humaine fantastique et onirique. Une saga un peu compliquée à suivre pour les lecteurs français après une première publication chez J’ai lu puis repris par Tonkam qui traduira les parties plus récentes avant les premières. Aujourd’hui, les 8 époques, dont la dernière, JoJolion est en cours de la publication, sont bien disponibles, mais la série reste peu connue malgré son succès au Japon et son rôle de précurseur.

À l’origine, JoJo est un shonen qui changera de cible et passera dans un magazine seinen à cause de situations et de pages jugées un peu violentes, mais dès les premiers chapitres et l’affrontement de Jonathan Joestar contre Dio Brando, il y a une atmosphère noire qui en font un shonen à ne pas mettre entre toutes les mains. Toute la série oscille entre action, horreur, thriller et comédie. Autre fait marquant, les héros ne sont pas tous japonais et l’action se déroule sur tous les continents, certaines aventures donnant lieu à des explorations culturelles et gastronomiques (parfois vraies et d’autres farfelues dans l’esprit « bizarre » revendiqué par le manga.) Chaque époque s’attache à un héros différent lié à la lignée des Joestar. Un parti-pris scénaristique qui explique le succès de la série au Japon 25 ans après ses débuts.

Les 3 premières parties Phantom Blood, Battle Tendency et Stardust Crusaders racontent l’affrontement de la famille Joestar face à Dio Brando, qui renonce à son humanité en échange d’un mystérieux pouvoir mêlant zombies, vampires et paranormal. Ce point de départ servira de tremplin à l’auteur pour mettre en place sa meilleure invention : les stands, incarnations physiques des pouvoirs psychiques des personnages (une idée très visuelle réutilisée de nombreuses fois, la plus visible étant par Masashi Kishimoto dans Naruto) Hirohiko Araki déborde d’imagination pour ses stands, les pouvoirs développés peuvent être des classiques comme contrôler le feu ou les armes, mais ils peuvent aussi arrêter le temps, reformater l’âme de quelqu’un ou créer des onomatopées magiques… Dès que l’atmosphère change ou que quelque chose paraît « bizarre » (pour reprendre cet élément clef de la série) c’est qu’un stand n’est pas loin. Le manga propose des histoires de familles ponctuées de découvertes et d’affrontements tous plus surprenants les uns que les autres. Si les combats sont le cœur de chaque époque, la solution passe le plus souvent par la stratégie et la réflexion, faisant de JoJo un manga un peu hybride et inclassable.

Dans la 4e partie, Diamond is Unbreakable, l’action se déroule presque exclusivement au Japon, un changement de taille par rapport aux premiers volumes. Golden Wind, la 5e partie prend place en Italie dans un univers de mafia. Stone Ocean, 6e partie, se distingue par son héroïne, la seule, Jolyne Cujoh et l’action se passe aux USA. Puis vient Steel Ball Run, la 7e partie qui change un peu la donne puisqu’elle effectue un retour dans le temps avec de nombreux clins d’œil aux débuts de l’histoire et une surprise de taille. C’est également le moment où la série passe côté seinen permettant à l’auteur de prendre plus de temps et de renforcer le côté sombre du manga. La 8e partie, JoJolion (en cours depuis 2013) poursuit la continuité de Steel Ball Run avec de nouveaux personnages, mais cette fois de retour au Japon et avec des révélations sur les stands. À noter qu’il existe aussi un hors-série se déroulant au Musée du Louvre, Rohan au Louvre, qui installe un de ses personnages dans le célèbre musée, renforçant ses incursions culturelles au cœur de la série. Fan d’Ashita No Joe, de Hokuto no ken et de Kamui Den, amateur de clins d’œils à Dragon Ball et ses Saiyans, le dessinateur s’amuse entre hommages et réécritures.

Le style d’Hirohiko Araki ne va cesser d’évoluer depuis les années 80, assez proches de celui de Tetsuo Hara à ses débuts, (il seront d’ailleurs publiés dans le même magazine) il va vite évoluer en particulier grâce à l’attention toute particulière du dessinateur pour la mode. La mode et la musique sont omniprésentes tout au long de l’œuvre. Que ce soit leur nom, leur look ou même leurs poses, énormément de personnages sont inspirés de magazines, de créateurs ou de photos célèbres. Certaines retrouvées par les fans, essentiellement des couvertures et des pleines pages à la composition très marquées par la photo d’origine. Aujourd’hui le style d’Araki est immédiatement reconnaissable avec ses personnages androgynes et ses designs très soignés.

Complexe à trouver et à comprendre il y a quelques années, la saga JoJo est aujourd’hui très bien éditée et on peut se lancer dans cette aventure étrange et addictive. Bizarre, baroque, loufoque, mais aussi très esthétique et plein de références culturelles, il serait dommage de passer à côté de ce classique inclassable.

6. GHOST IN THE SHELL

3 volumes chez Glénat – Série terminée

L’autre œuvre de SF pleine d’action et de questions sur le futur de l’humanité avec Akira qui aura marqué les esprits en manga mais surtout en version animée. Avec seulement trois volumes et quelques hors-séries, ce titre a eu une grande influence sur les lecteurs et les auteurs qui ont lu l’œuvre de Masamune Shirow. Le mangaka réutilise des grands thèmes de la science-fiction des années 1980 et en particulier le courant cyberpunk qui imaginait le pire en termes d’emprise technologique sur le monde. Des thématiques et une esthétique prisée des amateurs qu’il va populariser à travers ce manga et deviendra mondialement culte avec le long métrage de Mamoru Oshii qui en sera tiré. Sous couvert d’un manga d’action/espionnage dans un univers cyberpunk au dessin très fan-service (tous ces robots féminins en sous-vêtements sont une partie émergée de l’iceberg), c’est une vraie tentative d’essai de réflexion sur l’homme augmenté et la technologie qui nous est proposée. Chaque situation est prétexte aux interrogations du Major Kusanagi concernant son corps artificiel remettant en cause sa propre humanité. Et elle doit en plus apprendre à comprendre son ennemi le plus retord : une intelligence artificielle dotée d’une conscience.

Motoko Kusanagi est un cyborg plein de ressources dont les missions musclées comportent toujours une partie de duel intérieur. Elle fait partie de la Section 9, branche secrète et non officielle de la sécurité intérieure spécialisée dans l’antiterrorisme et dotée d’un équipement de pointe et de soldats aux compétences exceptionnelles. L’auteur s’amuse à inventer des institutions et des armes futuristes dans un contexte de Guerre froide aux situations géopolitiques crédibles. Pour renforcer ce point de vue, entre deux scènes de poursuite ou de combat, il s’amuse à inscrire des notes dans la marge sur ses dernières lectures, sur comment il a trouvé cette idée… Ainsi le manga acquiert une forme hybride qui convient parfaitement au propos.

Le dessin chargé, anguleux de Masamune Shirow participe à l’atmosphère cyberpunk qui se dégage de l’œuvre. Son utilisation charbonneuse du trait et des trames donnent une aura noire à l’ensemble contrastant avec le ton joyeux et cabotin des dialogues. Beaucoup d’humour et de second degré dans ce manga dont l’enjeu est de réfléchir sur la limite personne-machine et ce qui fait l’essence d’un Homme quand on a remplacé chaque partie de son corps par un composant mécanique. 

La série compte déjà quatre longs-métrages d’animation, trois séries tv, des jeux vidéos et un film live avec Scarlett Johansson, en plus des mangas. En quelques centaines de pages, Ghost in the shell s’est imposé comme une œuvre incontournable du paysage de la science-fiction, même si aujourd’hui il apparaît un peu plus daté qu’Akira au regard du courant cyberpunk qui s’est essoufflé et aux nouvelles technologies qui font partie de nos vies.

7. BERSERK

40 volumes chez Glénat – Série en cours

Voici le titre le plus noir, le plus violent et le plus effrayant de tous ces dossiers. Depuis presque 30 ans Berserk traumatise et fascine des générations de lecteurs. Œuvre un peu à part, Bersek propose un univers de dark fantasy très violent autour de la quête mystérieuse de Guts. Dans le même sillage que Guin Saga, Conan ou Elric, mais aussi Hokuto no Ken, Kentaro Miura va composer une œuvre qui a tout de la saga traditionnelle : l’histoire d’un héros maudit de son enfance à sa mort, en passant par les grandes heures de sa vie et sa lutte acharnée contre les démons et le passage fugitif de ses amis et ennemis…
Un travail de longue haleine, un puzzle captivant qui distille ses secrets lentement au milieu de batailles épiques et de visions d’horreur indélébiles.

Un guerrier solitaire, à l’épée plus grande que lui et au bras artificiel, parcourt le monde en suivant un but inconnu avec une marque magique sur sa peau qui attire à lui tous les démons. Guts doit combattre chaque nuit des esprits malins, des âmes damnées et des créatures maudites. Le jour, il se bat pour ses proches, devenant le bras armé d’un conquérant ou sauveur d’un peuple au fil de ses rencontres. En dehors de sa malédiction, son vrai pouvoir est sa détermination, bien sûr sa force et ses armes assurent sa survie, mais on sent bien que c’est sa volonté et son mental qui lui permettent de se hisser à ce niveau et d’éviter la folie après tout ce qu’il a vécu. Le personnage en devient charismatique non pas pour ses faits d’armes, mais pour sa capacité de résilience et sa rage de vivre. Sa motivation est complexe, les grandes lignes de l’intrigue se mettent en place chapitre après chapitre et l’auteur prend le temps de la développer sans jamais perdre de vue son objectif sur des centaines de chapitres. Nous avons affaire à un mangaka qui a une vision très claire de son histoire et qui se donne les moyens d’y arriver en installant son personnage et son univers. Pour vous donner une idée, on ne comprend vraiment le titre du manga qu’à partir de la moitié de la série et là elle s’intensifie encore. 

Parlons aussi du traumatisme de certaines scènes de cette série à la limite du manga d’horreur. Que ce soit dans le dessin ou dans l’ambiance, l’auteur joue sur l’oppression constante de son lecteur. Les planches sont détaillées, les créatures sordides, mais ce n’est pas le pire, la cruauté de certains personnages nous met aussi mal à l’aise dans ce monde où certains humains sont aussi monstrueux que les démons. Rares sont les personnages de fiction qu’on peut haïr à ce point, Kentaro Miura arrive à ce tour de force en créant des personnages denses et en n’ayant pas peur de mettre en scène certains tabous. Ce qui marque en premier ce sont les dessins. Le mangaka est un dessinateur forcené qui ne laisse rien au hasard, les planches sont détaillées à l’extrême, il travaille sur la profondeur et la densité autant que sur les perspectives et le mouvement. Son découpage incluant de nombreuses doubles pages accentue ces effets et le dessinateur a également recours à pas mal de planches muettes pour laisser passer les émotions. 

La contrepartie est un temps de gestation assez long : 40 tomes seulement publiés en 30 ans, les fans de la série ont au moins appris la patience. La bonne nouvelle, c’est que vous avez largement le temps de rattraper les premiers volumes en attendant la suite.

8. GUNNM

Gunnm 9 volumes chez Glénat – Série terminée
Last order 14 volumes chez Glénat – Série terminée
Mars Chronicles 6 volumes chez Glénat – Série en cours

Un des mangas qui ont popularisé le genre en France, récit de SF qui se cherche, entre sport et battle royale, ce sera surtout son héroïne Gally qui assurera son succès. Un classique de la SF porté par son personnage principal, son univers monde infini et son graphisme très moderne, Gunnm va devenir rapidement culte à l’international lui aussi. Des grandes œuvres de la SF citées plus haut, Gunnm est la seule encore en activité, car en place de proposer une vision du monde, du présent à travers un futur hypothétique, elle suit un destin unique : une dystopie vue à travers les yeux d’un personnage qui cristallise à la fois l’action et la pensée à travers son éveil au monde. 

Après des catastrophes climatiques et humaines, la Terre ravagée voit l’humanité coupée en deux avec les nantis à l’abri sur Zalem, une ville flottante, et en-dessous la Terre, qui elle est devenue un bidonville géant. La mode est à l’homme augmenté et aux nanotechnologies dans ces bas-fonds, et pour survivre il vaut mieux se faire greffer des implants histoire de se défendre. Ido, un doc spécialisé en cybernétique et chasseur de prime, trouve les restes d’une cyborg à tête de poupée dans une décharge, il la recueille et prend en charge la jeune Gally après lui avoir donné un corps. Amnésique, cette dernière deviendra une chasseuse de prime redoutable mettant à profit les talents de son protecteur pour la réparer. Un univers trash et violent qui a offert dès les débuts des pages traumatisantes à ses lecteurs en plaçant son héroïne dans un univers où le vol d’organes et le combat de rue sont la norme.  

On n’en sait peu sur les origines de cette combattante hors du commun ou sur Zalem, lieu de tous les espoirs pour nos héros. Mais Yukito Kishiro prolongera la série avec une conclusion qui apporte pas mal de réponses. Il élargit l’univers original en explorant ses thèmes, son champ de bataille et en y incorporant du fantastique dans Gunnm Last Order. Puis dans Gunnm Mars Chronicle (toujours en cours de publication) il explore la jeunesse de Gally avant le début de l’histoire principale. Plusieurs hors séries et séries se déroulant dans le même univers viennent compléter l’ensemble. 

Célébré pour son dessin à la fois technique et tout en rondeur, Yukito Kishiro allie le design soigné de ses cyborgs et autres créatures avec un trait élégant et détaillé qui rend ses créations organiques. Son sens de la mise en scène se révèle particulièrement lors des combats et des matchs de motorball, ne perdant jamais de vue la lisibilité dans ces planches très chargées. Il est également un des pionniers de l’utilisation de l’informatique dans son travail. Un rendu particulièrement visible sur les illustrations de couvertures.

Classique SF, œuvre culte du mouvement cyberpunk, récit trash et touchant, cette fresque au long court met en scène un personnage face à l’insoluble interrogation « qui suis-je ? » dans un monde où savoir si on est encore un être humain ou autre chose est déjà une question dépassée.

9. LE PAVILLON DES HOMMES

15 volumes chez Kana – Série en cours

Uchronie réaliste, Le Pavillon des hommes réécrit l’histoire du shogunat Tokugawa et la période médiévale d’Edo où les genres s’inversent. Les femmes occupent la place des hommes dans une société qui en manque cruellement. Entre la série Handmaid’s tale et Y le dernier homme s’installe cette série de Fumi Yoshinaga qui développe son uchronie dans la période historique la plus représentée au Japon, l’époque d’Edo. Une période intéressante pour la mangaka, car c’est le moment où la culture japonaise s’intensifie et où le pays se ferme sur lui-même. C’est également la naissance du théâtre kabuki où les femmes seront interdites donnant les rôles féminins à des hommes, un clin d’œil intéressant pour ce manga qui imagine une société japonaise majoritairement féminine suite à l’apparition d’un virus décimant les hommes.

Au 17e siècle, suite à la variole du Tengu, les personnes de sexe masculin sont en voie de disparition et petit à petit se retrouvent cantonnés à des rôles de reproducteurs, se vendent ou sont vendus comme tel. Le 3e shogun de la dynastie Tokugawa est une femme, même si elle se déguise en homme pour assumer ses fonctions au départ car elle s’aperçoit que tous les chefs de clans font de même. Le virus continue ses ravages, aussi le shogun devient officiellement une femme, un pavillon des hommes est créé pour assurer les héritiers et le monde change. Toute la subtilité de cette série est que l’autrice suit la chronologie historique, respecte les noms et les dates pour inscrire son manga dans le réel en y ajoutant cette variation. Complots et intrigues politiques au programme de ce manga qui ne se révèle pas tendre du tout malgré les différentes histoires d’amour qui parcourent la série. Sans pathos ni verbiage, l’écriture est assez juste et on entre rapidement dans cet univers complexe, froid et sévère. Les alliances et les conspirations s’y étalent sur des années, justifiant le choix de la narration en parallèle à différentes époques du manga.

Si les émotions et les relations sont très bien mises en scène, le manga est plutôt classique dans son découpage, et si Fumi Yoshinaga adopte un trait un peu plus poussé que dans ses titres précédents, il reste plutôt sobre, à l’exception des motifs et costumes. L’accent est mis sur les expressions et la théâtralité des personnages. Un dispositif qui fonctionne dans cette histoire complexe faite de flash-back et de nombreux personnages.

Encore peu connue en France, la mangaka a déjà une belle carrière derrière elle. Casterman avait publié All My Darling Daughters en 2006 racontant plusieurs vies de femmes à travers les générations et les préjugés. Une mangaka qui a commencé en dessinant des dôjins, fan fictions en manga, une dizaine de séries spécialisées dans le boy’s love dont une version yaoi de Slam Dunk, avant de passer au josei, et publie simultanément deux séries à succès le Pavillon et What did You Eat Yesterday ? (non traduit en France). Une autrice dont le gros du travail reste encore à découvrir.

10. ONE-PUNCH MAN

16 albums chez Kurokawa – série en cours

Dernière grosse pépite, bien que ce titre catégorisé seinen au Japon reprend tous les codes du shōnen il avait vraiment sa place dans cette sélection. L’histoire de One-Punch Man est assez atypique puisqu’elle commence sous forme d’un webcomics gratuit sur un blog où ONE, l’auteur, invente un personnage qui serait la quintessence du héros de shōnen, un pastiche réussi des grands succès et des éléments clefs habituels. Ultra décalé et en même temps assez bien écrit pour qu’une véritable intrigue se mette en place, le manga passe de blog amateur à une véritable série rythmée et passionnante. Un succès triomphale en ligne avec ses millions de fans malgré un dessin très basique, ONE s’associe à Yusuke Murata qui reprend avec panache le dessin et le découpage du manga tout en gardant l’esprit et l’âme de la première version. Ce reboot démarre chez un grand éditeur, la série devient un phénomène au Japon puis dans le monde.

D’un coup de poing il abat n’importe lequel de ses ennemis, Saitama avoue s’être entrainé dur pour arriver à ce niveau après une altercation avec un crabe démoniaque. Et malgré un programme musclé durant 3 ans mais qui paraît ridicule face aux pouvoirs des autres héros, le lecteur se questionne sur l’origine de sa force. Un mystère qui tient le lecteur, et son disciple Genos, en haleine tout au long de la saga.

À l’image de Luffy dans One Piece, Saitama est un peu crétin et naïf. Il ne comprends pas tous les enjeux et oscille entre quiproquos et pas de côtés. Malgré tout, quand il reprend ses esprits, il devient le plus puissant des héros. Le double enjeux entre un Saitama idiot, décontracté et un peu je-m’en-foutiste et le Saitama sérieux des combats est très bien rendu par la combinaison des styles de dessins simplifiés et fouillés de Murata. Les auteurs jouent sur cette “tête d’oeuf” du personnage principal pour en faire un masque, une transformation informelle en super guerrier à partir de sa vie super basique.

Dans un monde ressemblant à la Terre, régulièrement agressé par des monstres et des extra-terrestres belliqueux, une organisation de super-héros très hiérarchisée protège le monde en envoyant ses justiciers en fonction de la taille de la menace. Déclassé et relégué en bas de l’échelle en partie à cause de sa nonchalance et de sa simplicité, notre héros est pourtant l’homme le plus puissant du monde. Loin des projecteurs, il sauve régulièrement la Terre sans rien demander. Pourtant il s’ennuie, les auteurs s’amusent à placer des ennemis démesurés, dans une surenchère de violence qu’il règle d’un coup (de poing) sans sortir de cette torpeur. Vous l’aurez compris, l’humour est au centre de l’écriture (et du dessin) de ce manga, et les auteurs invoquent toute les palettes de gags possibles, de l’humour potache aux jeux de mots travaillés, du comique de répétitions aux pieds de nez discrets, du pastiche évident au clin d’œil rusé.

L’arrivée de Yusuke Murata sur la série a permis au titre de toucher un public très large avec son style moderne et efficace. Son trait très sophistiqué, son usage des trames et des outils numériques convergent tous vers une volonté de donner des planches très graphiques pour accompagner cette histoire décalée. Le design des persos et des monstres fait lui aussi l’objet d’un soin tout particulier et Murata glisse des clins d’œils à ses neketsus favoris en écho au scénario. Très habile aussi dans le découpage, il mêle action et vitesse à des dessins minimalistes et aussi profondeurs de champ et travail sur les ombres à des collages dans l’esprit du dessin originel de ONE pour illustrer la dualité de Saitama.

Avec un héros qui se questionne sur le sens de sa vie au beau milieu des clichés et des codes du genre, cette série marquera un avant et un après dans le shōnen (même si le titre est un seinen), en décortiquant l’essence et les clefs de cette catégorie du manga pour mieux les utiliser, un genre hybride est né. On espère que les auteurs vont continuer à creuser cette quête de sens, à répondre toujours de manière drôle à cette aspiration à un but pour un homme qui n’a pas de limites. Un dernier mot sur la série animée, disponible sur Netflix, qui est très réussie avec une animation hyper fluide et un rendu très fidèle à l’esthétique des albums, à voir aussi.

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Image principale extraite des Femmes du zodiaque ©Miyako Maki/ Le Lézard Noir

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