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par LiseF - le 27/11/2019
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par LiseF - le 27/11/2019

Les dessinateurs, ''variable d'ajustement'' du monde de la BD

L'illustration de couverture a été réalisée par Ntocha

Pas facile d'être auteur de bande dessinée en France : en l'absence de vrai statut, c'est la porte ouverte à de nombreux abus, et les créatifs (notamment les plus jeunes) sont rarement armés face aux gros éditeurs. C'est le type de problème auquel a fait face l'artiste Ntocha. Après une mauvaise expérience avec la maison d'édition Michel Lafon, il a décidé de tout raconter dans un post facebook, le 18 novembre dernier. Comme lui, de nombreux dessinateurs semblent être considérés comme des "variables d'ajustement" de la part de maisons d'édition.

L'histoire d'Ntocha

Pour Ntocha, tout commence il y a environ deux ans. Michel Lafon le contacte pour lui proposer de travailler sur un projet provisoirement intitulé Les chroniques de Rudy. L'idée : une BD d'inspiration comics se déroulant dans un univers fantastique, où les basketteurs auraient des pouvoirs. Ntocha est très enthousiaste, puisqu'en plus d'être dessinateur, c'est un grand amateur de basket. Le projet démarre vraiment en juin dernier : il signe un contrat stipulant qu'il recevra 18 000 euros divisés en cinq virements, le premier de 3 600 euros effectué lors de la signature. Comme il nous l'explique lui-même, c'était alors une signature providentielle.

"Je suis prof de dessin dans trois écoles privées, je suis le rythme des vacances scolaires. De juillet à septembre j’ai zéro euro parce que les écoles ferment. Donc je comptais sur l’argent que l'éditeur me devait à la signature du contrat."

Problème : la signature de l'éditeur n'est pas apposée devant lui. Il est alors contraint d'attendre, sans savoir exactement où en est son dossier et quand arrivera l'argent. En parallèle, le travail commence. Ntocha rencontre les différents acteurs du projet, il réalise plusieurs dessins préparatoires, et écrit un texte qu'il propose comme base à l'univers de la BD. Plusieurs de ces dessins ont été regroupés dans le post facebook où l'artiste explique l'affaire, et il y en a encore d'autres. Pendant qu'il avance sur le projet, l'argent n'arrive pas.

"Quand j’ai signé le contrat, l'éditeur m’a dit que les paiements se faisaient tous les 20 du mois. Ensuite il m’a dit que les signataires étaient en vacances en juillet-août donc que je serai sûrement payé après. Finalement ma compagne l'a appelé au téléphone, et lui a dit qu'on intenterait une mise en demeure. Le lundi je l’ai rappelé, il avait totalement changé son discours."

La menace d'une mise en demeure est mise sur la table en septembre, trois mois après la signature du contrat par Ntocha. Peu après, il reçoit une lettre que nous avons pu consulter, lui stipulant qu'il est officiellement déchargé de toute obligation relative au projet. Notcha ne recevra pas un centime pour les différentes réunions auxquelles il a assisté, et les dessins préparatoires sur lesquels il a travaillé.

Loin des yeux, loin du compte bancaire

Contacté par nos soins, Yann Raynal de Michel Lafon n'a pas souhaité faire de commentaire sur cet affaire. Il précise quand même qu'il s'agit avant tout d'une "mauvaise communication" entre l'artiste et l'éditeur. Ntocha quant à lui, a pris toutes les dispositions avant de raconter l'affaire sur facebook : il a détaillé son déroulé dans une lettre envoyée à l'éditeur, et a pris soin de s'envoyer ses propres dessins par courrier recommandé. Avec le recul, il estime que son statut de "jeune" dessinateur n'a pas joué en sa faveur : en effet, Ntocha n'a jamais été publié dans le circuit traditionnel, préférant passer par l'auto-édition. Ce choix vient d'une méfiance (visiblement légitime) vis-à-vis du système de l'édition.

"Dans l'édition, on n'est pas forcément évalués comme on devrait l’être normalement sur notre travail. Dans un contrat, il y a toujours plus d’obligations que de droits. Et surtout une fois que t’es avec une boîte d’édition tout ce que tu fais leur appartient et ils pourront en faire ce qu’ils veulent."

Dans cette optique, rien d'étonnant à ce que certains auteurs préfèrent raccourcir le circuit, en passant directement par des outils de financement participatifs comme Tipeee. Même s'ils en constituent la base, les dessinateurs et auteurs sont souvent les éléments les moins bien payés de la chaîne du livre. Cette thématique est un cheval de bataille de la ligue des auteurs professionnels, lancée en septembre 2018 afin de militer pour la création d'un statut d'auteur.

En attendant qu'une véritable legislation soit mise en place, les créateurs se retrouvent tributaires du bon vouloir de leur éditeur. Rappelons que la profession d'auteur de BD reste particulièrement précaire en France. À Angoulême par exemple, 150 des 200 auteurs recensés sont au RSA. Pour Ntocha, les cours ont repris et la collaboration avec Michel Lafon s'arrête là. L'éditeur a fait part en revanche de sa volonté de trouver un autre dessinateur, pour reprendre son projet de comics.

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