Poppy promène Pepper, son chien. Maman végète sur le canapé. Dehors, le monde continue de vibrer. Scotchée à son téléphone, Poppy est déconnectée du monde. Si bien que Pepper parvient à se libérer de sa laisse et s’enfuit par un petit passage qui mène à une forêt. Loin du décor de la vie citadine auquel Poppy est habituée, elle va faire la rencontre de Rob. Un garçon étrange et solitaire, qui va lui montrer les secrets de la nature.
À travers cette relation, Poppy va peu à peu découvrir un nouveau moyen de voir, de sentir et d’entendre. Tandis que le monde change, les feuilles des arbres tombent peu à peu, les saisons défilent et Maman, elle, est bloquée avec ses souvenirs.
« Comme toutes les grandes aventures, ça commence par un appel du monde. / Like all great adventures, it began with a call from the world. » – Kengo Kurimoto
Dans cette aventure où les sens prennent le dessus, la jeune fille va revenir aux émotions simples qu’elle avait délaissée depuis longtemps. Dans des déambulations où chaque être vivant communique à sa manière, Poppy va devoir faire l’effort de se souvenir comment vivre.
L’album s’ouvre justement sur une invitation aux lecteurices et dès lors, nous sommes happés dans cette aventure de sens. « Pose-toi. Écoute. Que dit la nature ? ».
Au fil des pages et des découvertes, c’est tous nos sens qui sont en alerte. Au fil des pas et des rencontres, ce sont ceux de Poppy qui sont convoqués. Ce partage de sens et d’émotions fait de Murmure des sous-bois, une expérience sensible capable d’être partagée et vécue par toustes.
Il y’a quelque chose de très intime à l’intérieur de cet album, quelque chose qui nous rappelle nos propres souvenirs d’enfance. Les premiers souvenirs : quand se rouler dans la boue sans avoir peur de tacher ses vêtements était si évident, quand une balade en forêt devenait une grande aventure, quand on avait aucune obligation ni aucune responsabilité, sinon que celle de rentrer pour le goûter. Ce sont ces souvenirs simples, ces émotions enfantines que l’auteur convoque dans ces 224 pages.
Cette simplicité se retrouve dans le processus de création de l’auteur pour qui il n’a fallu que trois choses pour créer cet album : « de l’encre, de la peinture et une histoire ». C’est un album très harmonieux et très doux qui dérive dans des méditations silencieuses. Et pourtant, les thèmes abordés sont très profonds : le deuil, la solitude, le temps qui passe…
« Murmure des sous-bois est un voyage au pays des sens / Wildful is a journey into the senses » – Kengo Kurimoto
Au début de l’album, Poppy est collée à son téléphone et ne regarde pas le monde autour d’elle. Il aura fallu que son chien s’enfuit dans cette forêt écartée du monde « civilisé » pour qu’elle ouvre enfin les yeux. Dans Murmure des sous-bois, « le langage ne se réduit pas aux seuls mots ». L’auteur fait le choix d’utiliser peu de phylactères et de laisser une grande place aux dessins, aux paysages et à la déambulation. Le découpage des pages nous force à ouvrir les yeux, à prendre le temps de regarder. C’est la promesse d’une méditation les yeux ouverts, si nous prenons le temps de nous arrêter…
Le passage de la ville à la nature marque le passage d’une Poppy happée par son téléphone à une Poppy qui s’éveille au monde en ouvrant juste les yeux.
« La vie est prenante et ça demande du temps de s’arrêter. De se souvenir. Murmure des sous-bois parle de ça. / Life is busy and it takes effort to stop. To remember. And this is what Wildful is about. » – Kengo Kurimoto
C’est une rencontre entre deux adolescents différents : Rob et Poppy, qui vont échanger peu de mots, mais qui vont se comprendre à un autre niveau, grâce à la nature. L’auteur explore un autre moyen de communiquer, différent des réseaux sociaux, différent des conversations banales de la vie active et citadine. Dans Murmure des sous-bois, Kengo Kurimoto explore différentes manières de communiquer en dehors des mots.
Il revient aux choses simples comme le hululement d’une chouette ou les traces d’un blaireau sur la mousse fraîche. Tous ces éléments demandent du temps et du temps, on en a plus beaucoup aujourd’hui. Mais prendre le temps de faire les choses, de vivre les choses pleinement et simplement, nous ramène à un état plus intérieur et sensible. C’est exactement ce que va vivre la mère de Poppy à la fin de l’album. Durant toute l’histoire, on découvre une femme endeuillée par la mort de sa mère et qui se laisse aller à la mélancolie de la perte d’un être cher, mais qui doit continuer à vivre pour ceux qui restent.
Kengo Kurimoto fait le choix d’une palette de couleurs très foncées, du noir & blanc, du gris. L’encre de chine lui permet un tracé très fin et simple de ces personnages et des paysages, pourtant la recherche derrière est très travaillée : l’auteur explique avoir modelé chaque personnage pour « mieux les comprendre ».
C’est un artiste qui donne beaucoup d’importance au sensible, à la sensation, aux sens et à comment en rendre compte dans une bande dessinée. Il explore le médium de toutes les manières possibles en se posant constamment des questions, mais en le faisant avec beaucoup de légèreté et d’amusement. C’est un premier album graphique qui respire la créativité douce, sensible mais aussi pleine d’une joie de vivre palpable.
Prenez un moment pour revenir à l’époque où tout était simple. Revivez vos balades en forêt le temps d’une lecture contemplative et silencieuse…
Murmure des sous-bois de Kengo Kurimoto, Rue de Sèvres
Traduction de Fanny Soubiran
Tous les visuels sont © l’auteur et l’éditeur