L'éditeur anglais Nobrow n'a que des merveilles à son catalogue. Des livres beaux, que ce soit par leurs histoires ou graphiquement, sublimés par un soin tout particulier apporté à l'objet. De la qualité de l'encre au papier, de la couverture aux détails de la reliure, tout tend à en faire des livres précieux, que l'on prend un immense plaisir à avoir entre les mains. La plupart des titres sont traduits en français, comme c'est le cas pour leur dernière nouveauté, La carte des jours, de Robert Hunter.

'Lorsque les vagues caressent mes pieds, je me rappelle ma jeunesse, et cet été où j'ai trahi un ami.'
Richard passe chaque été quelques jours chez son grand-père Frank. Ce dernier semble collectionner les horloges de parquet, qui envahissent sa maison et qu'il remonte méthodiquement jour après jour. Quand un soir, l'adolescent aperçoit Frank sortir du ventre de l'une d'entre elles, la curiosité est la plus forte, et il s'engouffre à son tour dans ce passage mystérieux. Rien ne pouvait le préparer au séjour qui l'attend, et quand il rencontre le Visage, posé sur le sol d'un paradis artificiel et regardant fixement le ciel, il ne se doute pas qu'il a déjà bouleversé l'ordre des choses...

'J'ouvris la porte et le tic-tac des aiguilles se mit à battre plus fort.'
Récit fantastique au rythme très doux, La carte des jours revient sur l'origine du monde à la manière d'une vieille légende qui trouverait ses limites dans notre monde moderne. Tout en récitatif, c'est Richard qui nous raconte cet épisode de sa vie qui l'a profondément marqué, mais qu'il garde en lui comme un secret. Un été pas comme les autres qui a bouleversé nos vies sans que nous ne soupçonnions rien. L'écriture est pleine de poésie, s'attardant sur les détails, prenant le temps d'observer les petites variations qui se transforment en grands chamboulements.
Mais plus encore, ce sont les images qui donne au titre sa puissance. Le dessin de Robert Hunter est très graphique, épuré. La simplicité du trait offre toute sa place aux couleurs, vives et riches, pleines d'émotions. Le monde du dessous se compose d'un enchevêtrement de formes géométriques qui pourraient donner à l'ensemble un aspect très froid, et pourtant cette accumulation de losanges, de triangles, de ronds et de rectangles forment un lieu paisible et plein de vie, beau et délicat. Comme une sorte de bulle en dehors de la réalité.

L'auteur avait déjà publié Le jeune fantôme chez Nobrow, un récit surprenant aux airs de songe éveillé où un fantôme inexpérimenté cherche son chemin. On pense aux œuvres de Jon McNaught (Dimanche, Automne chez le même éditeur), pour le côté minimaliste, et l'atmosphère très tranquille, sereine qui se dégage de l'ensemble. Mais ici l'histoire a une autre dimension, et mêle légendes anciennes et aventure, nous imposant pourtant une distance très contemplative troublante et originale. La carte des jours, c'est un souvenir un peu douloureux, une confession, racontée avec pudeur et émotion.
Une bande dessinée surprenante, hors du temps. Un voyage contemplatif et poétique, un moment de lecture apaisant.






