Le voyage de Phoenix, la critique

Après le succès de Couleur de peau : miel, JUNG revient avec un one-shot : Le voyage de Phoenix.

Rencontres et souvenirs.

Jennifer a grandi sans père, et comme sa mère réagissait violemment dès qu'elle posait des questions à ce sujet, la petite fille a dû recomposer son puzzle familial à partir des remarques méchantes d'une grand-mère qui ne l'appréciait pas beaucoup. Petit à petit, elle découvre que son père était soldat pendant la guerre de Corée, que quelque chose est arrivé et qu'il y a disparu. À 19 ans, elle part dans ce pays dont elle ne connait rien pour essayer de comprendre.

Aron et Helen ne peuvent pas avoir d'enfant, et ont donc décidé d'adopter. Lorsqu'ils viennent en Corée chercher leur fils, Kim, ils croisent la route de Jennifer, qui travaille depuis plusieurs années dans un orphelinat. Mais l'histoire de cette bande dessinée commence bien des années plus tard, alors que Jennifer parcourt un livre écrit par Aron.

Des destins malmenés par l'Histoire.

Avec minutie, pudeur et beaucoup de délicatesse, JUNG nous raconte ces destins croisés, parsemés de drames, de douleur, mais qui tels des phoenix, ont trouvé la force de renaitre de leurs cendres. Dans Couleur de peau : miel, c'est sa propre vie, sa propre histoire qu'il tentait de reconstituer. Dans Le voyage de Phoenix, nous sommes face à une fiction, mais particulièrement documentée, et s'ancrant dans l'histoire compliquée de la Corée, notamment dans ses relations passées avec les Etats-Unis.

Le récit commence avec Jennifer, puis passe, par saynètes, d'un destin à un autre. Plutôt que de raconter son histoire dans les grandes lignes, il préfère mettre en scène des moments de vie apparemment banals. Ils rendent les personnages attachants, tout en nous faisant peu à peu comprendre ce qui les lient les uns aux autres. Telle une boucle, le début et la fin de l'histoire nous présentent les personnages aujourd'hui. Ils en ont bavé, mais on sait aussi qu'ils s'en sont sorti. C'est ensuite que l'on va comprendre ce qu'ils ont dû traverser, et comment ils sont parvenus à se recontruire. Au-delà d'une histoire forte en émotion, habilement menée, l'auteur dépeint une réalité que l'on connait peu. La vie des soldats américains pendant la guerre de Corée, mais aussi la vie dans les camps de Corée du Nord, et le parcours des rares personnes ayant réussi à s'en échapper. Avec un sujet comme celui-là, et au-delà, à travers les drames humains qu'il raconte, Le voyage de Phoenix est un récit qui n'épargne ni ses personnages, ni le lecteur.

L'auteur prend tout son temps pour raconter ses histoires qui gravitent toutes autour de Kim, et laisse aussi la place à de longs passages explicatifs sur tel ou tel contexte précis. C'est donc un récit très long, composé de saynètes qui forment un tout au fil des pages, racontant l'évolution des personnages, et de passages plus documentaires et très factuels. Certains passages explicatifs, bien que passionnants, pourront sembler un peu longs, tant ils sont riches d'informations dans une bande dessinée où il se passe déjà beaucoup de choses, humainement.

On retrouve dans le dessin la richesse et la sensibilité particulière de JUNG, qui avaient déjà fait le succès de sa trilogie autobiographique. Son trait plein de finesse, évoquant l'estampe tout en étant très moderne, mêle les influences, dans un noir et blanc à la fois nostalgique et lumineux. Sa mise en scène aussi, entre manga, comics et franco-belge, est sensible, douce, faisant la part belle aux émotions qui se passent souvent de mots pour nous torpiller en plein coeur. Cet auteur a une manière bien à lui de raconter ses histoires, de les mettre en scène, à la fois grave et tranquille.

Bande dessinée riche et multiple qui nous raconte la Corée par petites bribes, Le voyage du Phoenix est surtout un récit-puzzle rempli d'espoir, où les drames sont suivi d'une inattendue renaissance. De la douleur à l'apaisement.