Cloisonné dans sa routine et en décalage complet avec le monde, travaillant de nuit et dormant le jour, Alexandre rêve des grandes étendues de l’Alaska. Après vingt ans sans prendre de vacances, il veut se reconnecter avec la nature et prépare un périple, un grand trek dans la nature sauvage, à l’autre bout du monde. Mais le jour J, rien ne se passe comme prévu : l’avion ne décollera pas, l’agence de voyage a fait faillite, une chute l’envoi aux urgences. Il rentre, il improvise : le grand inconnu qu’il va découvrir, ce n’est pas une contrée perdue, mais sa propre rue.
Réapprendre à observer
Il y a deux ans, on avait déjà pu lire Musée de Christophe Chabouté, également des éditions Vents d’Ouest. Une œuvre en noir et blanc – comme à l’habitude de l’auteur – qui donne vie aux œuvres du Musée d’Orsay, quand tout le monde est parti et que plus personne ne les regarde. Les œuvres devenant les observatrices des visiteurs qui défilent sous leurs yeux. Dans Plus loin qu’ailleurs, Chabouté continue sa quête de contemplation, mais cette fois à travers le regard d’un singulier personnage qui décide de s’arrêter pour observer le monde.
Avec cette belle histoire, Chabouté nous montre une manière de se réapproprier la réalité, le monde qui nous entoure, en se déconnectant de la routine. Son personnage s’arrête, laisse le temps s’écouler autour de lui et se met à observer : il regarde tout, les gens, les formes, les couleurs… et il écoute aussi. Comme une personne qui découvrirait le monde pour la première fois, il s’attarde et s’émerveille de chaque détail qui l’entoure, même les plus petits et les plus insignifiants – au premier abord.
«Est-ce qu’un poisson au fond de l’eau entend râler le pêcheur assis sur la berge ?»
On y retrouve un peu du minimalisme vu chez Philippe Delerm et son livre Instants Suspendus par exemple, qui relate avec grand intérêt des moments très précis du quotidien. De la même manière, Chabouté arrive à rendre le banal extraordinaire à travers des illustrations qui dépeignent parfaitement l’émerveillement et la curiosité de son personnage. Au contraire de chez Delerm, il pousse ses observations plus loin, allant jusqu’à questionner le lecteur : mangerait-on des bananes bleues ? Comment décrire une couleur à un aveugle ? Quelle est notre forme préférée ?

Tant de questions que l’on n’a pas l’habitude de se poser mais aussi des questions que l’on devrait se poser. À travers son voisin de banc, le savant ermite ou SDF selon les points de vue, c’est la quête de la productivité et de l’enrichissement à tout prix qui est remise en cause. Il y a aussi l’addiction aux smartphones : tellement “connectés” que l’on a plus de prise sur ce qui nous entoure ; et le besoin de se réapproprier notre propre environnement à travers le dialogue, le dessin ou encore l’écriture – ce que font à la fois Chabouté et son personnage avec cet album. C’est un retour aux sources qui ne manque pas de critiquer la société sans pour autant pointer du doigts ou brusquer le lecteur : une manière bienveillante d’inciter à regarder autrement.
Peu de couleur mais aussi peu de paroles, juste le nécessaire. Le carnet de voyage que l’on découvre en parallèle de la quête du protagoniste suffit à comprendre les pensées du personnage, et les regards très expressifs transmettent toutes ses émotions. Du noir et blanc mais pas complètement : de temps en temps une couleur apparaît, puis une autre, comme des jaillissements d’émotions. Ce carnet, fil rouge du récit, est lui aussi entièrement coloré, comme si c’était ça le plus important : voyager c’est apporter un regard nouveau.
Si au début on a de la peine pour ce personnage, comme son hôte curieux on finit par l’envier. Et si nous aussi on arrêtait de courir après le monde, si on s’arrêtait sur un banc ou à l’inverse, si on partait là où nos pieds nous mènent ?
Plus loin qu’ailleurs de Christophe Chabouté, Vents d’Ouest
Image principale par Christophe Chabouté © Vents d’Ouest / Chabouté











