Depuis maintenant quatre ans, la collection Octopus aux éditions Delcourt propose des bandes dessinées de vulgarisation. On a pu y trouver des ouvrages sur des sujets très divers tels que l’intelligence artificielle, le transhumanisme, la philosophie, la mode… ce dernier livre, Des idées dans la garde-robe, est signé Juliette Ihler. Et c’est justement elle qui est au scénario de Sorcières ! Disent-ils, avec Singeon au dessin. Dans cet ouvrage, le duo nous propose de découvrir l’histoire de la chasse aux sorcières à travers la vie de trois jeunes femmes dans un village français. Elles sont forgeronnes, guérisseuses, voyantes… en tout cas, elles sont indépendantes. Elles sont aussi symboliques d’une tradition populaire que l’église veut écraser.
Alors qu’elles coulent des jours heureux et profitent d’une liberté salutaire, le clergé débarque au village avec dans sa charrette de nombreux exemplaires d’un sinistre livre : Le marteau des sorcières. L’ouvrage explique comment repérer les sorcières et comment les forcer à avouer. C’est surtout un mode d’emploi pour torturer et tuer les gens des façons les plus atroces.
À travers l’histoire de ces personnages, Juliette Ihler et Singeon nous racontent un phénomène plus vaste, qui a fait de véritables dégâts. Dans certains villages, on ne trouvait même plus une seule femme tant les procès avaient été dévastateurs. Même si ces personnages sont fictifs, l’histoire, elle, est bien réelle et très documentée. Le duo s’est aidé de nombreux ouvrages de l’époque ou plus récents, très souvent mentionnés en bas de page. La vulgarisation en BD, c’est compliqué : ça peut vite devenir ronflant, avec des bulles énormes pleines de textes, qui ne laissent finalement plus beaucoup de place aux dessins. Ce n’est pas le cas ici : le duo a choisi d’alterner entre les phases narratives et les phases explicatives, habilement amenées au moyen d’un chat noir parlant et particulièrement de mauvais augure…
Surtout, l’autrice fait le lien avec notre société actuelle en expliquant de façon très pédagogue comment le fait de diaboliser les femmes indépendantes et savantes à l’époque a contribué à créer un idéal de femme passive aujourd’hui. Elle fait également le lien avec le capitalisme en montrant comment, en écrasant les savoirs locaux et populaires, les décideurs de l’époque sont parvenus à créer une société uniforme, propice au développement du monde tel qu’on le connaît aujourd’hui. Une œuvre intelligente, accessible, au discours habilement maîtrisé.
Sorcières ! Disent-ils de Juliette Ihler & Singeon, Delcourt, coll. Octopus
Illustration principale : © Singeon / Delcourt