Les auteurs, ou plutôt leurs alter ego reçoivent tous une lettre qui les enjoint à se réunir à Boucheporn pour un ultime concert. Ceux qu’on connaît pour leurs albums décalés se révèlent en fait avoir été des musiciens traumatisés par un accident et séparés par un lourd secret.
On découvre le voyage ponctué de flash-back des cinq anciens copains à travers la France, et parfois le monde, vers la Moselle pour cette réunion pas vraiment attendue de la même manière par tous les protagonistes.
On tape un bœuf ?
Dans ce livre collectif, chacun des cinq auteurs va dessiner à tour de rôle quelques planches pour faire progresser son personnage et faire avancer l’histoire. Et si le procédé ressemble à un cadavre exquis, ce n’en est pas exactement un, l’ensemble est plus maîtrisé avec des clins d’œil aux autres histoires dans chaque segment, des intrigues imbriquées et un twist qui les réunit tous.
Plus qu’un cadavre exquis, c’est plus un bœuf comme en musique où de très bons musiciens improvisent ensemble, chacun avec son style, pour créer un morceau commun. Plaisir à la fois pour eux et pour le public, qui permet à la fois de jouer sur les acquis et de sortir par moment de sa zone de confort.
Et c’est un plaisir à lire parce que c’est forcément crétin, chaque auteur redouble d’idée dans la surenchère pour faire rire les copains. On reconnaît immédiatement leur patte, leur humour, leurs tics comme autant d’easter eggs qui chatouillent notre mémoire en filigrane de la lecture.
Et si justement chaque auteur maîtrise son art au point de pouvoir en quelques cases ou dialogue convoquer son univers si personnel dans une histoire collective, on peut se demander si au final T’inquiète ne serait pas le portrait artistique idéal de chaque auteur. Avec ce livre, vous avez l’essence de chaque dessinateur qui ouvre vers leurs albums respectifs.
Des slips, des tronçonneuses & une jambe
Dans cette explosion de connerie —c’est un compliment, comme faire les andouilles et l’humour crétin— qui nous prend par surprise, les auteurs ont eu la bonne idée d’y ajouter aussi une part de nouveauté.
Si plus haut je disais que chaque dessinateur jouait sa partition avec ce qu’il savait faire de mieux, Gilles Rochier arrive en contrepoint —ouais ça continue sur les réf musicales— pour mieux relever l’ensemble et ajouter des variations. Contrairement à ses collègues, il rend son alter ego très différent pour mieux y revenir par la suite et cherche des idées graphiques nouvelles comme cette double page en morceau au moment où il s’approprie une hache.
Ouvrant l’album, Bouzard nous enchaîne avec un florilège de bonnes idées, entre la passion de son perso pour les tronçonneuses, pour les covoit’ de chanteurs et ses collages de cartes —routières ou postales. Et c’est encore meilleur à la relecture. Son style graphique est proche de The autobiography of me too auquel il ajoute des caricatures bien réussies.
De son côté B-Gnet se révèle dans l’autobio humoristique, lui qui fait habituellement des fictions loufoques, des pastiches et des albums jeunesse décalés. Et il a un trait et une manière de travailler les cadrages qui donne une assise particulière à ses gags. On a qu’une envie, c’est de le voir tester cette approche dans un album solo.
Puis Fabrice Erre s’amuse à jouer entre le minimalisme et la démesure, à la fois dans ses scénarios, mais aussi dans l’absence de décors qu’il réduit à l’essentiel —avec parfois des pleines pages pleines de détails, et de slips— pour donner un effet de contraste. Mais aussi avec des clins d’œil méta à la BD, au milieu et coauteurs.
Enfin Fabcaro reprend son alter ego façon Carnet du Pérou où il joue sur tous les tableaux entre ce qu’on s’attend du personnage, mais qui semble parfois adressé à l’auteur doublé d’humour absurde et plein de réf extérieures. Mais surtout c’est l’art de la digression qui nous emporte à chaque fois, et il l’illustre par des variations graphiques qui donnent du rythme à la suite sans fin de non-aventure de ses héros.
On a pas encore parlé de grosse caisse, de guimbarde, de gong ou de congas, mais qu’importe, les planches sont saturées d’onomatopées aux typos elles aussi uniques qui ajoutent une couche intrigante à ce quintet. Et la jambe alors ? Ah au moins une personne qui suit. Pour la jambe, T’inquiète, quand tu la verras, tu sauras.
T’inquiète de Gilles Rochier, B-gnet, Guillaume Bouzard, Fabrice Erre et Fabcaro, 6 Pieds sous terre
Toutes les images sont © 6 Pieds sous terre / Gilles Rochier / B-gnet / Guillaume Bouzard /Fabrice Erre / Fabcaro
