La sortie du nouveau Jason Shiga, Léviathan, qui propose un album jeu façon livre dont vous êtes l’héroïne — le héros me permet aussi de parler aussi du très drôle L’épopée infernale d’Émilie Plateau dont je n’avais pas eu le temps de faire l’éloge, mais qui vaut vraiment qu’on s’y arrête.
J’espère que vous aimez sortir des sentiers battus, et que vous vous laisserez embarquer par ces livres-jeux aussi drôles que percutants. Si vous voulez découvrir le milieu de la BD sous un autre jour, allez en 122 🎲 ; si vous préférez vous caler sur le canapé pour observer les monstres marins allez en 448 🎲 ; si vous ne savez pas, jetez un œil sur les illustrations en 999 🎲 pour laissez faire le destin.
Léviathan de Jason Shiga, Cambourakis
Traduit de l’anglais par Géraldine Chognard
Depuis la découverte de Bookhunter, je ne loupe pas un livre de Jason Shiga, du fantastique (et massif) Démon au ludique Vanille ou Chocolat ?, où le dessinateur explorait déjà le concept de livre dont vous êtes le héros/l’héroïne. Avec Léviathan, il inaugure une nouvelle trilogie qui mêle bande dessinée à choix multiples, heroic fantasy et bibliophilie. Des centaines de possibilités, des dizaines de morts bêtes, quatre identités possibles et seulement deux destins heureux pour vous à l’issue de cette enquête.
Car au labyrinthe du « livre dont vous êtes l’héroïne/le héros » va s’ajouter une dimension d’enquêteur, où l’exploration de la bibliothèque des Îles Cobalt va vous aider à avancer dans votre quête. Mieux, à la différence de certains livre-jeu sur ce modèle, Léviathan propose des énigmes pour pouvoir progresser, pas question de tester au hasard, il faudra un peu de réflexion pour s’en sortir. Autre idée très amusante de Jason Shiga, il nous pousse à tricher sur certaines pages, en glissant une porte de sortie, mais attention les personnages ne sont pas dupes !
On incarne un personnage en quête de vérité, qui va aller à la source de la magie pour découvrir les secrets du sorcier Kanoxx et du monstre qui terrorise ses îles, le Léviathan. On y croisera des personnages étranges, des Clins d’œil au Seigneur des anneaux, à Game of thrones. Au fur et à mesure de la quête, on se balade de jour ou de nuit, on doit nager ou dormir, respecter les horaires pour les ponts ou la bibliothèque… Le dessinateur complexifie son livre-jeu, sans le rendre pour autant trop difficile, et réussit à nous proposer un « livre dont vous êtes l’héroïne/le héros » où on ne tourne pas en rond (chose assez rare dans ce type de livre). Une lecture fun et une expérience unique.
L’épopée infernale d’Émilie Plateau, Misma
Dans la plus pure tradition des collections Défis Fantastiques, Loup Solitaire ou Quête du Graal, Émilie Plateau — devenue Emily D. Platew pour ce livre — propose une aventure épique non pas chez les sorciers, les dragons ou les champs de bataille, mais dans un monde bien plus violent : l’univers de la BD quand on est une autrice.
Conçu comme un pastiche des fameux livres-jeux qui ont cartonnés dans les années 1990, ce livre dont vous êtes l’héroïne vous propose d’incarner une jeune autrice qui présente son premier projet de bande dessinée. Va-t-il séduire une maison d’édition ou finir en fanzine ? Allez-vous côtoyer le gratin de la bande dessinée ou être ignorée dans les salons et dédicaces ? Allez-vous obtenir un prix pour votre album ou vivrez-vous dans la rue à Angoulême ? Toutes ces questions auront des réponses au fil de cette aventure humoristique qui touche juste et pointe les mauvais côtés de ce monde de la bande dessinée encore trop macho.
On quitte la bande dessinée au sens propre pour rester dans le format roman de ces livres cultes avec une page par action qui offre plusieurs choix. Fiche personnage, choix multiples et sentences dramatiques à chaque prise de position, tout y est, et Émilie Plateau s’amuse des codes. À ces pages, la dessinatrice ajoute des illustrations, des gags, des pastiches de mails ou réseaux sociaux sous forme de pastilles humoristiques qui viennent illustrer chaque action. Si vous n’avez pas encore lu Noire, la Vie Méconnue de Claudette Colvin ou De l’autre côté à Montréal vous allez découvrir son style minimaliste et épuré, qui marche à merveille avec son humour pince-sans-rire.
Et tout le plaisir n’est pas tant dans la quête du Prix du meilleur album que celui de découvrir les situations loufoques — et malheureusement tellement crédibles — que vit l’héroïne dans sa carrière d’autrice. Tout le gratin de la BD y prend pour son grade, auteur.trice.s, éditeurs, libraires, festivals, journalistes ou lecteurs & lectrices tout le monde y passe. Tout le milieu de la bande dessinée passe au tamis de l’humour subtil d’Émilie Plateau et c’est à la fois très drôle et cela souligne les comportements sexistes, paternalistes ou misogynes qui sont bien présents dans la réalité.
Un plaisir de lecture différent du très narratif Léviathan, ici une fois la quête terminée, on ne peut s’empêcher de feuilleter pour découvrir les situations loufoques et les propositions décalées de la dessinatrice. J’hésite encore pour ma prochaine lecture dans la même collec’ : le N° 4 La Malédiction du pilon ou le N°7 La Tablette graphique maléfique…
C’est tout pour cette sélection d’albums aux milliers de possibilités narratives selon vos choix. Et n’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez après lecture(s) dans les commentaires !
Illustration principale et extraits : ©Jason Shiga / Cambourakis
Extraits : © Émilie Plateau / Misma
