Vous pensiez que les apparitions de Stan Lee dans les films Marvel (et autres) étaient la plus longue série de caméos pour les geeks ? Attendez de lire les 5 volumes de Grandville et de vous plonger dans les pages de notes illustrées à la fin.
Avec cette série Bryan Talbot arrive non seulement à proposer des enquêtes à tiroirs qui font appel à l’intelligence des lecteurices, des albums qui misent sur l’aventure portés par une patte graphique dynamique et le fil rouge d’une romance au long court mais l’auteur britannique parsème aussi ses albums d’un humour référencé et ludique.
Si le dessinateur aime utiliser des accessoires, costumes ou objets pour créer ses albums, si on sent les décors réels derrière certains de ses albums réalistes réalisés avec sa femme Mary Margaret Talbot ; dans Grandville, il convoque des références bien plus larges, du cinéma à la publicité, de la peinture à la presse et le 9e art.
Comme il nous l’expliquait en interview l’an dernier : « Je pense que cela rend les histoires plus riches : le lecteur peut toujours relire l’histoire et trouver quelque chose de nouveau. En définitive, c’est l’histoire qui compte et j’essaie d’inclure ces références de manière à ce qu’il ne soit pas nécessaire de les reconnaître pour apprécier l’histoire. »
À l’occasion de la sortie du cinquième volume —inédit en France— je vous propose de nous pencher sur les clins d’œil récurrents aux personnages de bande dessinée, au milieu des références érudites, citations et autres easter eggs.
« Ne vous approchez pas du blaireau : il mord. »
Cette phrase prononcée par M. Sherman au docteur Watson venu chercher un chien pour Sherlock Holmes dans Le Signe des quatre aura orienté Bryan Talbot dans son choix animalier.
Mais pas seulement, il explique dans la postface du premier volume de Grandville : « Je voulais en outre un protagoniste qui, en plus d’avoir les talents de déduction de Sherlock Holmes, serait tenace à l’extrême et capable, à l’occasion, d’être féroce. Ces deux derniers attributs correspondaient clairement, pour moi, à un blaireau. Le Blaireau est le personnage le plus actif et le plus intelligent du Vent dans les saules (1908), une autre grande influence de Grandville. C’est le grand gaillard qui règle tous les problèmes. Je voulais aussi un personnage de la classe ouvrière, et les blaireaux sont du type pragmatique et terre à terre qui semble correspondre à ce rôle, comme dans la série de livres pour enfants des années 1960, Bill Badger par “BB”. »
Et pour peupler son univers animalier autour de ce blaireau proche d’un Holmes, le dessinateur s’amuse à emprunter certains caractères à la bande dessinée et en particulier la BD franco-belge pour mettre en scène cet empire napoléonien. Dans cette uchronie steampunk, Paris est devenue Grandville et les enquêtes se succèdent permettant à l’auteur de marier références artistiques et littéraires avec des scènes d’actions épiques, des moments intimes autour de son héros avec des complots au cœur de cet Empire français tentaculaire.
Les héros de la Franco-belge, citoyens de Grandville ?
À la manière des fables d’Ésope ou de La Fontaine, les caractères de chaque espèce reflètent surtout les qualités et défauts de nos semblables, l’univers de Grandville permet d’aborder des problématiques sociales et politiques contemporaines en restant très ludique. Et l’auteur joue sur les stéréotypes induits par les animaux pour mieux les renverser, dépasser les clichés et nous surprendre.
On peut voir un lien avec Blacksad et Canardo justement présentés dans « le fameux musée de cire de Mme Tussaud à Grandville » dans la section des détectives célèbres. En plus du clin d’œil, l’auteur intègre ces autres héros comme si ces fictions anthropomorphes faisaient partie d’un univers partagé puisque pour LeBrock ils sont aussi réels que son mentor Stamford Hawksmoor dont nous allons reparler.
Côté figuration on en trouve des dizaines, de Bécassine à Donald Duck en passant par Milou, d’autres ont un petit rôle comme Spirou, Gaston, Lucien. D’autres ont carrément des répliques comme Astérix & Obélix ou Mortimer et certains sont des personnages prenant part à l’intrigue comme Lucky Luke ou plutôt Chance Lucas.
Ces bonus de fin dévoilent aussi les coulisses de la création, les réflexions de l’auteur et les questions artistiques tout au long de la série —en plus de ces petits kifs. Je vous mets des extraits plus généreux en fin d’article (sauf du T5 pour les spoils)
Pour la fin (ou presque) de Grandville, Bryan Talbot livre ses secrets ?
Ce tome cinq est plein de secrets & rebondissements, il fait également le lien avec tous les autres & nous pousse à relire les précédents pour ne rien manquer, aussi on ne peut pas trop en dire sans spoiler —l’édition anglaise avait même un film plastique pour empêcher les spoils en librairie— et il serait dommage de se gâcher les bonnes surprises de ce volume.
Mais nous pouvons parler d’un personnage, Stamford Hawksmoor, mentor de l’inspecteur Archie LeBrock, que l’on découvre dans Force majeure sous les traits d’un aigle sévère et qui sera le héros du prochain livre de Bryan Talbot : The Case of Stamford Hawksmoor.
Un album prequel qui se passe 23 ans avant le début de Grandville. Au moment où l’Angleterre fait encore partie de l’Empire français et que le pays est en proie à une série d’attentats. On a hâte.
Et Byron Turbot dans tout ça ? L’alter ego de l’auteur en poisson étonnant se met en scène comme écrivain de « véridiques enquêtes policières de “Stoatson du Yard” », un peu comme Watson avec Holmes, Turbot avec LeBrock ou avec Hawksmoor pour boucler la boucle ?
« Je pourrais écrire les vôtres ! Imaginez un peu ! Toute une série sur l’inspecteur détective LeBrock ! Ça rapporte bien, vous savez. » Hum Élémentaire, mon cher Watson (on rappelle que cette citation de Watson n’existe pas…) Ou peut-être pas, LeBrock n’a pas le temps. Nous oui !
Grandville de Bryan Talbot, Delirium (5 volumes dispo)
Tous les visuels sont © Bryan Talbot / Delirium
Quelques extraits avec des visages connus
Quelques exemples de pages bonus, où on peut voir toute la richesse des sources utilisées