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par Republ33k - le 12/01/2016
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par Republ33k - le 12/01/2016

Horacio d'Alba : la justice est aveugle

Aujourd'hui sort le troisième tome d'Horacio d'Alba, qui vient conclure la saga épique de Jérôme Le Gris et de Nicolas Siner, initiée en mars 2011. L'occasion pour Glénat, qui l'édite, de mettre un coup de projecteur sur cette série aussi historique que fantasque, et l'occasion pour nous de vous en dire un peu plus sur ces trois tomes, au sein d'une nouvelle rubrique qui plus est, que vous retrouverez le plus régulièrement possible sur 9ème Art.fr

Une fois n'est pas coutume, l'auteur de cette série en trois albums, Jérôme Le Gris, n'est pas tout à fait un enfant de la bande-dessinée. Jusqu'à la sortie d'Horacio d'Alba, entre autres, on le connaissait même plus volontiers comme un professionnel du cinéma. Et après avoir écrit et réalisé Requiem pour une Tueuse, il se prendra au jeu du neuvième art. Sans doute lassé par la pénibilité des rythmes de la production cinématographique, Jérôme Le Gris s'était ainsi lancé dans la bande-dessinée après sa rencontre avec un certain Xavier Dorison, qui l'a convaincu des vertus du média. Libéré des contraintes drastiques du cinéma, l'ancien élève de l'école Louis Lumière décidera alors d'adapter Malicorne, l'un de ses scénarios, en BD, avant d'écrire Horacio d'Alba, premier de ses écrits à être entièrement pensé pour la bande-dessinée. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on souhaite à tous les auteurs des premiers pas aussi inspirés.

Et si la formation cinématographique de Jérôme Le Gris n'est sans doute pas innoncente dans la réussite de ses projets faits de cases et de phylactères, on peut affirmer que se sont aussi ses grandes obssessions qui l'ont conduit vers le succès. En effet, comme tout auteur, Le Gris a ses sujets fétiches, et le duel est l'un d'entre-eux. L'affrontement entre deux champions le fascine et (peut-être inconsciemment) guide ses pensées. Malicorne se déroulait ainsi au XIXème siècle, l'une des grandes époques du duel, comme la Renaissance, qui sert de socle historique à l'intrigue d'Horacio d'Alba. Et sur ce socle se bâtissent les grands pilliers de notre histoire, qui saura utiliser les passions de l'auteur à bon escient.

Au cœur de l'action

Ca n'échappera à personne, les duels, qu'ils soient ceux de deux chevaliers en plein moyen-âge ou celui de deux Cowboys devant une gare perdue dans le Far West, sont un formidable outil dramatique, qui accumule un maximum de tension pour une action aussi délivrante que possible. A ce titre, est-il étonnant de découvrir qu'Horacio d'Alba s'ouvre sur un duel particulièrement tragique, qui oblige notre héros - l'un des duellistes les plus renommés d'une Italie en pleine Renaissance - à se débarasser d'un être cher, en vertu des règles forgées par des années de tradition ?

Des premières planches particulièrement marquantes et qui nous prouvent que le duel est capable de toucher le lecteur tout en faisant avancer l'histoire avec l'empathie émotionnelle qui convient. Et dès cette introduction, Jérôme Le Gris nous en dit beaucoup sur son personnage principal, en même temps qu'il fixe les enjeux qui seront ceux de la série, sur le long cours.

Duels politiques

L'un d'entre-eux sera politique : puisque les duels sont utilisés comme le symbole d'une république imparfaite, et ce dans les trois albums de la série. En effet, Horacio d'Alba nous présente l'histoire de la République du Point d'Honneur, qui rassemble quelques grandes provinces de l'Italie, et qui a été fondée sur l'utilisation de duels en guise de ressort juridique ultime et sacré. Jérôme Le Gris peut ainsi filer la métaphore, en se servant de cette fascinante et morbide tradition comme d'un outil lui permettant de s'intéresser au fait politique.

Et on peut s'en douter, en pleine Renaissance - période ultime de changements - le dueldevient une question sensible, qu'on peut remplacer par tous les sujets au moins aussi épineux du moment pour apprécier la réflexion politique de l'auteur, qui semble vouloir chatouiller la célèbre phrase de Winston Churchill : "la démocratie est la pire forme de gouvernement totalitaire, à l'exception de tous les autres" . Est-elle aussi évidente que le britannique le déclarait lorsque la justice est fondée sur une longue tradition de duels qui se soldent toujours par la mort de l'un ou l'autre des participants ? C'est tout le sujet de la série, et on vous laissera le découvrir par vous-même. Simplement, attendez-vous à quelques questions en sous-texte.

Lone Justice

Si ces questions politiques ne parleront pas à tous les lecteurs, la question des duels, elle, a au moins le bon goût de renvoyer à un concept universel : celui de la justice, avec un grand J. Qu'elles soient romancées ou non, beaucoup de bande-dessinées se déroulant en pleine Renaissance ont en effet tendance à s'intéresser au fait religieux ou à la diffusion de l'imprimerie - qui sont particulièrement liés l'un à l'autre, d'ailleurs, comme on le voyait dans Le Maître d'Armes. Deux idées qui ne résonnent pas autant, à mon sens, qu'une notion comme celle de la justice (qu'elle soit sociale ou légale), à laquelle nous sommes directement confrontés au quotidien.

Qui n'a jamais révé d'une justice plus personnelle ou plus directe, après tout ? La promesse d'un duel en cas de litige pourra trouver un écho chez tous les lecteurs, qui ne manqueront pas de se poser quelques question finalement passionnantes. On pourra par exemple se demander si, avec une pareille vision de la justice, la République du Point d'Honneur mérite son titre.

Comme vous avez pu le comprendre, le monde dépeint par Jérôme le Gris et Nicolas Siner ne se contente donc pas de servir de prétexte à des duels en tous genres. C'est même plutôt l'inverse et la série parvient en tous cas à garder son équilibre entre réjouissances pures (comme des batailles en tous genre) et rebondissements intelligents. Sans doute parce qu'Horacio d'Alba, très inspiré par l'histoire, est en fait une uchronie !

Forza Italia

J'imagine que les lecteurs les plus attentifs auront déjà pu s'en rendre compte, mais la saga Horacio d'Alba ne s'inspire d'aucun événement historique particulier. Pas explicitement, en tous cas, puisque on retrouve tout de même, dans la série, des contextes géo-politiques qui ont été, même brièvement, des réalités. Comme la complexe question de la papauté - la nationalité du souverain pontife influençait grandement le sort du vieux continent - ou encore l'unification, sous un même drapeau, de l'Italie, divisée entre des langues, des traditions et des économies différentes, celle des cité-états comme Venise, par exemple.

Une base historique identifiable, qui permet au scénariste et au dessinateur de surprendre leurs lecteurs, qui glissent lentement, et en même temps que l'intrigue, de l'histoire à la fiction. Il faut dire que la culture générale qui est la mienne n'est pas spécialement riche d'histoire italienne - Jérôme Le Gris a donc pu poser son piège sans mal. Et si certains passages semblent largement romancés, il faudra attendre des inventions un poil plus fantasques pour que lecteur comprenne qu'il a bel et bien affaire, ici, à une uchronie pur jus.

Une expérience de lecture

Un concept qui vise à réecrire l'histoire, et qui est devenu un genre à part entière au sein du catalogue des éditeurs de BD franco-belge. Or, il est amusant de remarquer que Glénat ne communique pas ou alors très peu sur l'aspect uchronique de ce titre. Qu'il soit un hasard ou un choix, ce constat s'avère fascinant. Pour peu que le lecteur n'aie pas le réflexe wikipédia ou google, il fera des allers-retours dans le scénario ou l'album pour trouver quelques indices. Et il n'en trouvera que très peu, puisque même la quatrième de couverture se prend très au sérieux, historiquement parlant.

D'aucun reprocheraient à Horacio d'Alba ce jeu presque insolent avec l'histoire. C'était notamment la position de l'éditeur Fred Blanchard sur la multiplication des histoires qui voient l'Allemagne Nazie gagner la seconde guerre mondiale, au sein des librairies BD. Mais ici, je trouve l'idée assez passionnante, en elle-même, puisqu'elle pousse le lecteur - déjà privé de ses repères, puisqu'on évoque ici l'histoire de l'Italie, et non celle de la France - à se poser un maximum de questions, philosophiques et politiques. Ce qu'essaient parfois de faire les BD historiques plus classiques, mais dans lesquelles le moindre écart romancé peut sonner faux. Or ici, tout ou presque sonnera juste pour le lecteur en quête d'une aventure bien construire sur fond de politique. Une recette subtile qui offre à Horacio d'Alba toute sa saveur.

Si la Renaissance sert de contexte politique à Horacio d'Alba, le mot pourrait également désigner l'ambiance élaborée par les deux artistes derrière cette série, et leurs parcours eux-mêmes. Comme nous l'expliquions, Jérôme Le Gris, à l'époque du premier tome d'Horacio d'Alba, nous arrive tout droit du milieu du cinéma. Et les aventures de son duelliste sont bel et bien son premier projet entièrement conçu pour le neuvième art. Ce sera également le cas pour notre confrère nantais Nicolas Siner. Avant de tomber dans la grande marmite de la bande-dessinée, le diplômé de l'école Pivaut était ainsi un habitué de la presse magazine (on le retrouvait notamment dans Science et Vie Junior) et du milieu du jeu-vidéo (où il avait prêté main forte à des studios comme Tokkun, Louvenak ou Cygames).

Premières fois

Pour le duo derrière la série, Horacio d'Alba est donc l'occasion de boulverser certaines habitudes, et surtout, de libérer une créativité trop souvent muselée par des industries comme celle du cinéma ou du jeu-vidéo. Et je crois pouvoir dire sans trop me tromper que les trois tomes de la série forment un argumentaire assez édifiant en la faveur des nombreuses influences des deux artistes qui les ont imaginés.

Du côté de l'écriture, Jérôme Le Gris a dû tout réapprendre, ou presque. Impossible d'écrire une bande-dessinée comme on écrit un film, comme l'explique souvent le scénariste. Les notions de rythme n'étant pas du tout les mêmes - on écrit généralement un scénario de film pour qu'il soit lu dans un laps de temps équivalent à sa future durée - l'écriture du scénariste a dû s'adapter, surtout après son travail sur Malicorne, qu'il décrit lui-même comme une sorte de copier-coller du premier scénario de l'œuvre, qui était destiné au cinéma. Depuis, l'écriture de Le Gris a pris le pli, sans oublier de conserver toute l'expérience cinématographique de son propriétaire. La série Horacio d'Alba conjugue ainsi à merveille les influences du septième et du neuvième art de son auteur dans une aventure épique. Bien mieux que d'autres œuvres tournées vers l'action ou vraisemblablement inspirées par de grands réalisateurs, qui ont parfois du mal à être contenues dans des gauffriers.

Le credo de l'assassin

Ce sens de l'épique et de la dramaturgie tout cinématographique, Horacio d'Alba le doit effectivement aux influences bien digérées de son scénariste, mais aussi au talent de son dessinateur. Dès le premier tome, sorti il y a presque 5 ans maintenant, Nicolas Siner faisait état sa familiarité avec le genre séquentiel, et parvenait à créer des cases fortes en émotions tout en inventant un monde bien précis, quelque part entre la fiction pure et l'influence sensible d'époques historiques majeures comme la Renaissance. Un ménage qui depuis, n'a plus de secrets pour lui, puisque le dessinateur a travaillé sur les jeux et les BD Assassin's Creed, qui sont connus pour leur mélange très efficace d'Histoire et de Fantasy.

C'est sans doute la raison pour laquelle l'univers de la République du Point d'Honneur fonctionne aussi bien, esthétiquement parlant. On y retrouve toutes sortes d'influences visuelles perinentes, comme les masques vénitiens qui servent ici à protéger l'identité des duellistes, et qui finissent par immerger complètement le lecteur dans cette atmosphère pourtant très complexe, puisqu'elle est celle d'un pays en proie aux changements, partagé entre les reliques du moyen-âge, les traditions antiques et les progrès de la Renaissance. Or, le trait de Nicolas Siner, souvent comparé à celui d'Alex Alice ou de Mathieu Lauffray, se trouve lui aussi à la rencontre d'influences variées. A époque cosmopolite, trait cosmopolite en somme : effectivement inspiré par des grands comme Lauffray, le style d'Horacio d'Alba profite également de l'intérêt du dessinateur pour la bande-dessinée américaine et deux de ses rockstars, Olivier Coipel et Sean Murphy.

Conclusion

Pour se convaincre de la qualité de ce trilogie, on peut s'amuser à tisser un lien entre la justice aveugle, qui donne son sujet à la série et le fait que son uchronie soit invisible. Une réponse symbolique du sujet à son traitement qui en dit long sur Horacio d'Alba, qui fonctionne aussi bien grâce à son sens du spectacle que sa facette historique habilement construite. Les quatre années et quelques mois qui séparent le premier et le dernier tome de la série ont visiblement été utilisés à bon escient et ces trois albums devraient ravir tous les amateurs d'histoire qui ne sont pas contre un peu de fiction et de romance lorsqu'elles sont bien ficelées. Et c'est l'une des grandes qualités de cette série qui vient de s'offrir un ultime tome et une belle réedition chez Glénat.

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