Et si la planète que l’on maltraite depuis tant d’années commençait à disjoncter et forçait les humains à changer de mode de vie ? Comment s’organiseraient-ils pour survivre et imaginer un renouveau plus respectueux des ressources et de la planète ? Proposition de réponse entre récit familial et histoire détaillée du futur.
À deux doigts de l’effondrement ?
Si l’on demandait à Thomas Cadène et Benjamin Adam de nous parler de notre futur, il y aurait fort à parier qu’ils soient particulièrement pessimistes. C’est d’ailleurs durant les années 2010 qu’ils pointent ce qu’ils appellent la pire période du déni. Car dans leur BD Soon, l’humanité a franchi le point de non-retour et dès 2033 s’enchaînent les pires conséquences de ses agissements : catastrophes climatiques, politiques et humaines s’abattent sur la Terre… Peu de temps après, la population, divisée par 10 par rapport à l’avant-cataclysme, finit par se regrouper dans 7 villes quasi autosuffisantes. Le reste de la planète est dorénavant interdit à l’espèce humaine et laissé à son autorégulation primaire.
Enfin, tout cela on l’apprend au compte-gouttes, car le cœur du récit s’établit en 2151. Une mission spatiale d’envergure s’annonce : Soon 2. Aux commandes, Simone Jones, une femme qui s’est préparé des années durant pour ce voyage sans retour. Le problème est que son fils Youri n’accepte et ne comprend pas son choix de prendre part à cette expédition. Sa maman décide alors de l’amener pour une virée autour de la planète afin qu’ils se retrouvent et qu’il ouvre les yeux sur la réalité du monde moderne… Et ce sera aussi l’occasion pour nous d’en apprendre plus sur tous les événements passés qui ont mené à la situation actuelle.
Entre fiction et reportage
Soon repose sur une brillante idée mêlant deux genres et deux narrations en parallèle. L’une sur fond blanc est consacrée au récit à proprement parler, l’autre, sur fond noir, à des allures de documentaires. Dans la première, on suit le voyage Youri et Simone et dans la seconde ils se racontent l’histoire de la conquête spatiale, de ses débuts au lancement de Soon 2. Un savant mélange de réalité historique et de futur hypothétique – mais réaliste.
Outre leurs fonds changeants, ces deux parties divergent par leur découpage et leur mise en page. La première est académique alors que la deuxième, plus éclatée, ressemble à une infographie. Les deux travaillent la bichromie différemment. La première jouant sur les nuances et changeant de couleur d’une ville à l’autre, la deuxième étant plus sobre.
Et la force de ce récit est en grande partie liée à cette narration binaire qui s’enrichit constamment sans pour autant perdre le lecteur. Un ingénieux moyen de revenir sur le passé sans avoir à faire de lourds flashbacks ou explications interminables et artificielles. Tout prend son sens dans le passé, conté un chapitre sur deux par des discussions entre Simone et son fils. Car comme dans le film Ad Astra, il est question d’espace, mais la relation filiale qui tient le tout.
Un propos fort pour un récit ambitieux et touffu
Très documenté, le scénario aurait pu servir un discours éculé. Il a finalement l’intelligence de ne pas se faire moralisateur, évitant la facilité du catastrophisme post-apocalyptique et proposant une réflexion à distance sur la réalité écosystémique de notre planète. Pendant 212 pages denses, les auteurs interrogent la société actuelle, la conquête spatiale et notre futur. En résulte un récit nuancé, loin de la simplicité, du manichéisme et/ou du ton moralisateur servis trop souvent dans le genre.
En plus d’être captivant et intelligent de bout en bout, Soon est une histoire d’anticipation et de science-fiction pas comme les autres. Elle procure un véritable plaisir de lecture et prend des allures de road-trip humain réaliste. Elle ne joue ni la carte du pessimisme ni celle du sensationnalisme pour privilégier un point de vue réfléchi sur une situation qui nous pend au nez.
Image principale et illustrations : © Thomas Cadène / Benjamin Adam / Dargaud