
Ridge Ryder mène une vie paisible : une maison dans la montagne verdoyante avec un mari aimant et une adorable petite fille qui la chérissent. Mais cela n’a pas toujours été ainsi. Autrefois elle était une criminelle recherchée, une hors-la-loi sans pitié. Et quand un jour la mort en personne menace de lui prendre tout ce qu’elle chérit aujourd’hui, elle refuse son destin, dépoussière ses revolvers et s’engage dans une course contre la montre impossible pour l’affronter.
Initialement publié en cinq parties par l’éditeur américain Image Comics sous le nom Ain’t no grave, la version française, Aucune tombe assez profonde, est éditée par Urban Comics en un volume de 152 pages. Au scénario et au dessin, c’est le retour d’un duo qui a déjà fait ses preuves : Skottie Young (scénariste) et Jorge Corona (illustrateur). On les avait déjà lu et apprécié avec notamment la fantastique série Middlewest, récompensé du prix jeunesse au Festival de la BD d’Angoulême, ou encore Celui que tu aimes dans les ténèbres. Et une fois encore, le duo est accompagné du talentueux coloriste Jean-François Beaulieu.
Western et surnaturel
Sur le papier, l’histoire ne réinvente rien, et peut même paraître un peu simpliste avec son scénario qui tient sur une ligne : “je n’ai pas envie de mourir, donc je vais tuer la mort”. Cependant, le fantastique, accentué par les traits de Jorge Corona, sont un ajout de marque à cet univers qui reprend avec brio les codes du western. Paysages désertiques, duels, parties de poker ou encore saloons et affiches “wanted” sont au rendez-vous, sans pour autant paraître clichés, grâce à cette approche surnaturelle.

L’histoire est également bien rythmée, avec son découpage nerveux et ses nombreuses scènes d’action le lecteur ne connaît pas de répit —un peu comme Ryder dans son voyage. On peut ajouter à cela les nombreux flashbacks, qui sont bien intégrés et apportent un peu de profondeur au récit et au personnage.
C’est bien un des gros points forts du comics, le personnage de Ridge Ryder est loin d’être attachant, mais hautement divertissant. Badass, c’est certain, mais ce n’est clairement pas une enfant de cœur. Une chose est sûre, c’est une hors-la-loi, et bien que tomber amoureuse l’ait rendue plus maternelle et moins hostile, il ne lui faut pas longtemps, et aucune hésitation, pour que réapparaisse la criminelle impitoyable. Les flashbacks la montrant en mère de famille créent un excellent contraste entre les deux facettes de sa personnalité, même si on aurait aimé en voir un peu plus pour contrebalancer la violence de Ryder, et convaincre un peu plus le lecteur qu’elle est devenue quelqu’un de bien.
Du fantastique aussi dans les traits
Si l’histoire en soi peut manquer un peu de profondeur, du côté des dessins, Jorge Corona a réalisé un travail fabuleux. Les designs des personnages sont très réussis, et pas uniquement Ryder, d’autres comme Madame Gates ou la Mort marquent aussi les esprits. Visuellement, Jorge Corona, n’est pas le seul artisan à féliciter : Jean-François Beaulieu a lui aussi réalisé un excellent travail. Entre les magnifiques paysages verdoyants où vit Ryder et le ciel rouge dans la désolation de Cypress, les contrastes sur les planches qui associent flashbacks et présent jouent énormément à l’atmosphère irréel de la BD. Un duo d’artistes chevronné pour un résultat incomparable.

Parmi les thèmes abordés dans Aucune tombe assez profonde, le deuil est le principal, aucun doute là-dessus puisque les cinq chapitres de la bande dessinée reprennent le modèle en cinq étapes théorisé par Elizabeth Kübler-Ross : déni, colère, marchandage, dépression et acceptation. Au-delà de ça, l’album offre une réflexion sur les conséquences de nos actes, sur ce qui compte le plus dans une vie, sur le temps précieux passé avec ceux qu’on aime. Ryder a-t-elle fait le bon choix en lançant ses dernières forces dans une bataille perdue d’avance contre la mort, au lieu de profiter des derniers instants avec sa famille…
Aucune tombe assez profonde est un comics sanglant, rythmé et rempli d’action, sublimé par ses dessins et des planches mémorables. Une histoire sombre, savoureux mélange de western et fantastique, tirant avec inspiration dans les codes de la BD horrifique, mais qui n’a pas peur des couleurs vives. On aurait tout de même apprécié plus de développement sur la nouvelle vie rangée de Ryder, pour en faire une lecture parfaite. Une chose est sûre, on aurait aimé en voir plus de l’univers, et quelques pages de plus n’auraient pas été de refus !
Aucune tombe assez profonde de Skottie Young & Jorge Corona, Urban Comics
Illustrations par Jorge Corona et Jean-François Beaulieu © Urban Comics / les auteurs