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Édito
par La rédac' Bubble - le 28/10/2023
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par La rédac' Bubble - le 28/10/2023

DC Comics : Héros et héroïnes en recherche d’identité

Pour celles et ceux qui n’ont pas pu assister à cette conférence inédite à l’occasion du festival Quai des bulles, nous mettrons en ligne la vidéo intégrale de la rencontre un peu plus tard mais on vous propose aussi un article qui explore un peu plus en profondeur certaines références citées.

💡 Note de la rédaction, cet article à été rédigé par Alexandra Ramos & Thomas Mourier en complément à la conférence “DC Comics : des héros en recherche d’identité proposée le samedi 28 octobre 2023 à Quai des bulles à St Malo.

Véritables miroirs de nos sociétés contemporaines, les récits super-héroïques nous accompagnent depuis plus de 80 ans. À la fois nouvelle mythologie et pur divertissement, ces histoires —racontées sur papier puis sur écran—offrent matière à réfléchir. Dans l’histoire culturelle, peu d’œuvres sont aussi fournies, retravaillées, questionnées, déconstruites, réécrites… en gardant une forme de continuité. 

Les artistes qui travaillent sur cette matière jouent avec les personnages ou les concepts, mais leurs histoires sont aussi le reflet de leur époque. Qu’il s’agisse de questionner la notion de justice et d’identité à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, ou de parler du racisme et de la notion de genre aujourd’hui. Que ce soit de remettre en question les frontières entre héros et vilains, du bien et du mal ou même de l’appartenance à l’humanité. Que ce soit à travers des personnages solitaires, humains ou non, ou au sein de groupes faisant eux-mêmes société. Qu’ils ou elles soient façonnées par leurs époques, leurs environnements ou leurs passés. Qu’ils décident ou non de faire table rase ou de se réinventer, voici un aperçu de ces 80 années de publication des titres les plus anciens au plus récents. 

Ces réflexions sont organisées autour d’albums qu’on vous conseille, à travers un cheminement thématique, il en a bien d’autres (d’ailleurs on vous propose aussi une biblio complémentaire en fin d’article pour prolonger ces réflexions, tous les livres sont dispo en français chez Urban Comics). N’hésitez pas à indiquer les vôtres en commentaires. 

Masque(s) et identité 

Les héros et héroïnes se cachent derrière un masque. Mais ce masque n’est pas qu’un simple bout de tissu, mais bien souvent un symbole. L’identité du héros et héroïne peut être sur son visage, ses accessoires ou son torse. C’est le cas du tout premier héros de la licence américaine DC Comics : Superman. 

Créé en 1938 par Jerry Siegel et Joe Shuster dans la nouvelle publication Action Comics. La couverture est aujourd’hui mythique : le personnage soulève une voiture avec une facilité déconcertante, et l’on peut lire sur les visages des trois hommes de la stupéfaction et de la peur. Le monde a changé, des hommes et femmes hors du commun arrivent.

“Il est un être unique, extraterrestre de la planète Krypton qui se retrouve sur Terre, à la suite de la destruction de son monde.” Aux pouvoirs extraordinaires, il deviendra au fil du temps ce héros qui porte à bout de bras les États-Unis d’Amérique. Un super-héros patriotique. Mais qu’est-ce qui se cache derrière ? Pour mieux comprendre, Superman il est important d’avoir le contexte politique et sociétal du pays dans les années 30. 

Une période sombre à la suite de la Grande Dépression et l’arrivée de la Seconde Guerre Mondiale. Les pulps et les comics sont une source de bonheur à ce moment-là. Ces figures héroïques font du bien et apportent du réconfort en ces temps troubles. 

Les créateurs de Superman (comme ceux de Batman d’ailleurs) sont des juifs issus de la diaspora. Jerry Siegel et Joe Shuster font de Superman une icône pour résoudre tous les maux. Il est un symbole de l’espoir. Si on se penche sur  le contexte d’arrivée de Superman, on peut y voir un parallèle avec la figure de Moïse. Un bébé déposé sur le Nil dans un panier flottant. Superman, nourrisson, déposé dans une navette spatiale dans un Nouveau Monde. D’une certaine manière, on réécrit l’histoire avec un grand H dans les comics book dès ses débuts. 

Et s’il y a une lecture parmi plusieurs à choisir pour comprendre qui est l’Homme d’Acier, il est essentiel de citer All Star Superman du scénariste Grant Morrison, illustré par Frank Quitely. Superman voit la mort approcher à grands pas. Constatant que sa fin est imminente, il entreprend douze actes pour sauver le monde. Il dévoile aussi la vérité à sa femme : Lois Lane, et lui offre une tenue de super-héroïne et bien plus encore…

Douze missions, tel Hercule avec ses défis pour devenir le héros que l’on connaît. Grant Morrison nous offre une nouvelle perspective sur le personnage. Émouvant, trépidant et intelligent, ce comics est un indispensable pour mieux appréhender ce héros hors du commun. 

Et il n’y a pas que l’Homme d’Acier qui met en scène nos problèmes sociétaux. On traverse le temps et on arrive dans les années 70 avec  deux héros qui ont pour point commun le vert : Green Arrow et Green Lantern. Si tout oppose ces deux héros, ils vont pourtant devoir s’allier afin de sauver le peuple américain. La valeur historique de ce titre est incontestable. Aux manettes de ce classique, Neal Adams et Dennis O’Neil, qui posent de nombreuses thématiques dans ces pages : la montée des sectes, la pauvreté, l’oppression des Amérindiens, la naissance du féminisme, le trafic de drogue… À tel point que le duo se joue des figures politiques en caricaturant le président Richard Nixon sous le trait d’un enfant manipulé par un cuisinier diabolique. De l’humour pour mettre en exergue des sujets sociétaux à travers deux personnages différents, mais qui se complètent. Green Lantern, héros lisse qui ne cesse de douter et Green Arrow, justicier tourmenté et sanguin. Souvent comparés à Batman, tous deux étant des hommes riches de par leurs familles, ils sont souvent déconnectés en face de personnes qui n’ont pas le même statut qu’eux. 

C’est l’un des premiers titres de DC qui relatent une réalité américaine, et ouvrira la voie à d’autres oeuvres qui deviendront aussi mythiques : V pour Vendetta ou Watchmen 

Des héroïnes en force 

L’évolution du féminisme, de l’écologie, des droits LGBTQIA+ est visible dans les pages des comics. Si dans les années 30, les personnages féminins n’étaient que love interest pour les héros, les choses ont bien changé. Prenons comme exemple, Lois Lane, journaliste reconnue aujourd’hui, mais pourtant ses débuts ont été marqués par son rôle unique de petite amie de Superman. 

Autre exemple avec le personnage de Batwoman .Pas celle que l’on connaît aujourd’hui sous le nom Kate Kane, mais la première, Kathy Kane. Elle a été créée et placée auprès de Batman pour faire taire les rumeurs d’homosexualité du héros. Elle était la femme au foyer. Bien loin de la version actuelle : militaire, justicière et lesbienne, Batwoman est une héroïne à part entière. Impossible de ne pas recommander l’excellent Batwoman par le scénariste Greg Rucka et le dessinateur JH Williams III. L’histoire relate les origines de Kate Kane tout en apportant une intrigue policière en fil rouge.Un graphisme saisissant et des arcs narratifs développés pour mieux saisir l’identité d’une femme qui a longtemps été dans l’ombre de Batman.

La toute première héroïne de l’écurie DC est la célèbre amazone : Wonder Woman. De l’esprit de  William Moulton Marston, en octobre 1941 dans le All Star Comics #8. Psychologue reconnu, il joua un rôle important dans l’invention du détecteur de mensonges. De sa vie intime, on sait que cet homme entretenait une relation avec deux femmes. Ils formaient ce que l’on nomme aujourd’hui un trouple avec Elizabeth Holloway et Olive Byrne. Elizabeth lui insuffla l’idée de créer une héroïne et William lui prêta les traits d’Olive. Brune, yeux bleus, elle portait également des bracelets à chaque poignet. Le lasso de la vérité, ses bracelets, sa tiare, Wonder Woman est née ! À travers le temps, Wonder Woman connut de nombreux rebondissements et certaines contradictions. Au cours des années 30/50, elle affronta les nazis, en parallèle,  elle était souvent représentée attachée ou fessée. 

Puis dans les années 70, elle était dépeinte en tant qu’humaine, éprise des hommes, mais avec toujours des thématiques féministes ( le droit à l’avortement, l’activisme, le salaire etc). Et dès les années 80, grâce au scénariste Georges Perez, la guerrière est de retour avec des origines grecques affirmées, du féminisme ancré et des récits incroyables. De tout temps, Wonder Woman a subi les hauts et les bas d’une société patriarcale, mais a toujours été la figure la plus emblématique du féminisme.

Un des titres phares de ces dernières années est celui de l’artiste Daniel Warren Johnson : Wonder Woman Dead Earth. Un récit libre de toute contrainte liée à la continuité, dans un monde futuriste post-apocalyptique où l’amazone tue Superman. En effet, elle se réveille d’un sommeil séculaire et la Terre n’est qu’un désert radioactif. Elle va devoir prendre des décisions pour faire ce qu’elle a toujours su faire : défendre les autres. Cette Wonder Woman est certes différente, avec ses failles, mais reste fidèle à ses principes : l’altruisme. 

Aujourd’hui un trio de femmes se démarque et montrent à quel point leurs identités ont évolué de par notre société : Harley Quinn, en 1992 dans la série animée Batman The Animated Series était la petite amie du Joker, homme qui la maltraite et se moque d’elle sans cesse. Sa création était liée au Clown Prince du Crime, mais le temps de la soumission est terminé. Elle prend son indépendance, le quitte et se met depuis cette année officiellement en couple avec Poison Ivy. Que ce soit dans les comics Harley Quinn The Animated Series ou la série animée du même nom. Porte-étendard d’une sexualité libérée, mais aussi d’un terme que l’on entend partout depuis une dizaine d’années : la santé mentale. Dans la série de comics de la collection Infinite Harley Quinn, le personnage aborde les difficultés qu’elle a vécues, son mal-être et sa volonté d’aller mieux. Le comics suit les évolutions de notre société. Quant à  Poison Ivy, elle porte une histoire presque similaire, transformée par son mentor, le scientifique Jason Woodrue, elle a été elle aussi abusée par un homme. Dès ses débuts, elle était une méchante, comme Harley, mais les choses ont évolué. Sa particularité est qu’ Ivy use de l’écoterrorisme. Dans le dernier récit la mettant en avant Poison Ivy Infinite elle tente d’expliquer pourquoi. Et son retour ne cesse de faire écho avec notre situation actuelle. 

Et d’ailleurs aujourd’hui la question du bien et du mal est sur toutes les lèvres ? L’identité de nos héros et héroïnes évolue aussi dans ce sens. 

Évolution de l’identité des Super-vilains en miroir des héros & héroïnes

Dès le début de la création de nos héros et héroïnes, la ligne entre le bien et le mal était très claire. Mais suite au Comics Code Authority certaines choses ont bien changé. Le CCA est une régulation sur l’ensemble des comics en 1954 suite à la parution d’une livre, The Seduction of the Innocent de Fredric Wertham, psychiatre, qui accuse les comics de dépeindre beaucoup trop de sang, de sexe, de violence. Ce suit quelques années avec des titres bien légers jusqu’au tournant des années 80/90. On peut citer le scénariste Frank Miller et son travail sur Batman qui marque à jamais le comics et ce personnage. Avec The Dark Knight Returns et Batman Année Un, c’est le retour de comics sombre, politique, engagé, violent et où le héros ne semble plus être vraiment le seul représentant du bien. Et les thématiques politiques et sociétales le sont tout autant : la critique des médias et de l’information à outrance, la répression politique. 

Dans une interview du journal Le Monde, le scénariste de renom le dit : « Sous ma plume, Batman est devenu un anarchiste, et il deviendra un révolutionnaire » . Les héros ne sont plus ces personnages lisses et parfaits. Le Batman de Frank Miller est névrosé. Cette vision est désormais ancrée dans la figure du Chevalier Noir. Impossible de ne pas voir ce héros avec ses tourments personnels. Il ne fait pas toujours le bon choix. Quant au vilain, s’ il est capable de changer, peut-il agir pour le bien de tous ? 

C’est le parti pris avec l’excellent titre de Sean Murphy. Batman White Knight. Dans cet univers où l’auteur est libre de modifier ce qu’il entend, ce murphy verse pose ce constat : Le Joker n’est plus le Joker, lors d’une course poursuite avec Batman, il redevient par accident, l’humain qu’il était, Jack Napier. Il décide de placer Batman face à la justice, et de l’accuser des torts faits lors de nombreuses courses poursuites. 

Le renversement est assez bouleversant avec un méchant iconique qui ne l’est plus finalement. Et le récit nous interroge, si Batman est le héros ces actions sont-elles toutes bonnes ?  Et le méchant a-t-il le droit à la rédemption ? 

Le méchant et ses ambivalences est notamment mentionné dans le livre Le Syndrome de Magnéto. Certains vilains agissent-ils juste par égoïsme ou par volonté de changer le monde ? À leur manière ? Cette thématique est en filigrane du film Joker de Todd Phillips.Ce Joker, interprété par l’acteur Joaquin Phoenix, est dépeint comme un homme ayant des soucis mentaux et qui est devenu un tueur, à cause de la société. De la moquerie des autres, un monstre est né. Et derrière lui un groupe de personnes se sont reconnues et l’ont soutenu en portant un masque de clown. Ces phrases n’ont pas la prétention de résumer le film, mais montrent que l’identité de nos méchants évolue constamment.

La société dans la société 

Depuis le début, on parle d’héroïnes & héros qui agissent en miroir des codes de nos sociétés, avec des variations selon les époques, mais au sein même de ces univers de fiction, on trouve aussi des groupes qui vont faire société, et être à la fois miroir et influence. Ces groupes vont façonner les individus, leur donner des codes, des contraintes ou des libertés et créer un univers dans l’univers. 

Prenons le groupe le plus connu de l’univers DC, la Justice League, qui regroupe les personnages les plus puissants du catalogue où Superman ou Batman doivent cohabiter, Wonder Woman jouer le juge de paix et Martian Manhunter devenait bancable. Créé par Gardner Fox en 1960, cette équipe est la mise en commun des stars du catalogue et quelques outsiders, qui permet de jouer entre les tensions entre ces héros-héroïnes habitués à gérer en solo, mais aussi des combinaisons de pouvoirs ou de stratégies pour des menaces qui dépassent les forces habituelles. 

Cette microsociété est l’occasion, pour les artistes, d’approfondir les notions de bien & de mal que nous avons explorées plus haut et de jouer sur les échelles de puissance. Dans l’excellent Kingdom Come, Mark Waid & Alex Ross écrivent une variation futuriste où Superman en a eu sa claque et laisse le monde à la nouvelle génération avant de revenir suite à une catastrophe sans précédent. Poussé par Wonder Woman, il refonde la Justice League sans Batman, qui lui en veut, et s’impose une sorte d’ordre nouveau. Ce titre qui entre dans la catégorie des Elseworld (des variations hors continuités) permet aux auteurs de pousser les curseurs encore plus loin. Ici Mark Waid et Alex Ross décrivent un monde qui ne peut survivre dans ses grands héros à la manière de divinités, un thème qui est souligné par le personnage du prêtre et les références bibliques qui ponctuent le scénario. Après un temps d’errance et de catastrophe, la Justice League revient et redéfinit les règles de la société humaine et métahumaine. 

Une thématique traitée dans d’autres histoires, comme le génial L’Escadron Suprême qui pousse le concept à fond, où cette pseudo Justice League devient un gouvernement dictatorial. Ou avec l’angle de l’impunité dans The Authority de Warren Ellis & Bryan Hitch. Les auteurs imaginent ici un décalque de la Justice league qui ne se cantonne plus à l’Amérique, mais gère la Terre dans son ensemble. Dans l’équipe, Apollo et Midnighter —reprenant les looks et aptitudes de Superman et Batman— sont en couple, et leur relation si exploitée depuis des dizaines d’années dans la Justice League trouve un autre écho ici. 

Dans Midnighter and Apollo de Steve Orlando & Fernando Blanco, les auteurs explorent cette romance, entre failles intimes et ultra-violence. Leur couple surpuissant, sans la part d’humanité et de lien avec la Terre que constituent leurs love interests habituels, provoque un détachement total avec le reste de la société. 

La mise en scène des évolutions 

Autre personnage qui se détache de l’humanité, le Dʳ Manhattan incarne le mieux cette 3e voie pour les non-humains vis-vis de la société. Dans Watchmen d’Alan Moore & Dave Gibbons, c’est le statut du héros qui est remis en question dans sa globalité et qui va révéler les failles du groupe. Sans trop spoiler, sachez que le groupe de vigilants a souffert d’abus, d’emprise et d’agression entre les membres —en plus de leurs problèmes personnels. Et Alan Moore et Dave Gibbons décortiquent cette classe sociale de super-humains qui à force d’être au-dessus des lois se retrouve à réinventer leurs propres codes de manières inhumaines. 

Autre point intéressant, la défiance du personnage de Rorschach pour l’ensemble de la société, mais également pour celle des super-héros qu’il n’a jamais intégré. À travers son histoire, on découvre les côtés sombres de ces sociétés et sa déficience pour ce qui est présenté comme acquis. Des thématiques utilisées par Jorge Fornés & Tom King dans leur album Rorschach qui fait suite à Watchmen. Les auteurs passent par la fiction pour interroger la fascination pour Rorschach depuis la publication de Watchmen, un anti-héros devenu symbole pour certains ; 35 ans après l’histoire originelle, le masque de Rorschach est de retour et la police à du mal à comprendre qui se cache derrière le masque.

On pourrait s’attarder sur beaucoup d’autres groupes des Teen Titan aux Birds of Prey en passant par la Suicide Squad permet aux auteur.trice.s d’exploiter différemment les personnages et leurs identités par rapport à leurs créations initiales. Arrêtons-nous juste un instant sur Renee Montoya qui a une destinée très emblématique de cette thématique des identités et de l’évolution des personnages avec la société.

On a parlé de la réinvention d’Harley Quinn plus haut, mais Renee Montoya inventée par Bruce Timm, Paul Dini et Mitch Brian pour Batman : The Animated Series est assez emblématique de l’évolution d’un personnage en vis-à-vis de l’époque. 

Elle est flic au départ, une agent du GCPD d’origine dominicaine qui va être stigmatisée par Double face dans Gotham Central de Greg Rucka, Ed Brubaker, Michael Lark : il va l’aouter, la présenter comme lesbienne publiquement avant de la kidnapper. Une révélation qui aura des conséquences sur sa vie privée. Dans Gotham Central on découvre la vie du commissariat en marge des super-héros, la vie de ces flics qui luttent en accord ou non avec Batman et qui parlent enfin de cette ville sans le prisme de son gardien.

Après l’événement 52 piloté par Geoff Johns, Grant Morrison, Greg Rucka et Mark Waid Renee Montoya va endosser le masque et l’identité de la Question. Un personnage créé par Steve Ditko qui a inspiré Rorschach dont on parlait plus haut et qui va avoir pas mal d’évolutions depuis. Pour aller vite, Sage, qui incarne la Question, va former Renee Montoya dans 52 et lui transmettre ce masque qui a la particularité d’effacer le visage. Elle devient ce super-héros anonyme qui peut devenir personne ou n’importe qui en prenant l’apparence des autres. Dans le récent Lois Lane : ennemie du peuple de Greg Rucka & Mike Perkins ; Renee Montoya avec sa double identité de la Question est la garde du corps de Lois Lane qui est la cible d’un tueur que Superman ne peut arrêter. Le personnage a fait du chemin depuis sa création en gardant la thématique de l’identité au cœur de son histoire. 

Pour finir ce tour d’horizon, on s’arrête un instant sur l’équipe de la Doom Patrol et la version de Grant Morrison & Richard Case qui présente des personnages qui échappent à toutes les qualifications. Danny The Street est un membre de l’équipe qui est un être géographique que l’on perçoit comme une rue, mais qui est doué de conscience. Les auteurices le définissent comme non binaire et participent selon Grant Morrison à la déconstruction de la masculinité de la figure du super-héros.

On peut lire cette proposition à la lumière d’un autre personnage de la même saga Flex Mentallo —qui aura sa propre série— qui est un personnage méta, qui brise le 4e mur et s’interroge sur ses propres origines et son lien avec son créateur. Avec son physique de Tarzan et sa magie du « mystère du muscle » il complète bien les différents personnages qui questionnent à la fois leur physique et leurs identités de Crazy Jane, et ses multiples personnalités, à Rebis entitée multigenre et multiraciale capable d’auto-procréer. 

Nous sommes façonnés par notre environnement, et eux ? 

Depuis le début on s’interroge sur la figure du héros, des anti-héros, des groupes de héros, mais parlons aussi du cadre qui définit ses héros.

L’exemple le plus frappant est Superman – Red Son de Mark Millar, Dave Johnson & Kilian Plunkett où le vaisseau du petit Kal-El s’écrase en Union soviétique et Superman devient le héros du communisme. Si Batman lutte en sous-main contre l’empire du Kremlin et son homme d’acier, Lex Luthor brigue la présidence américaine pour affronter le kryptonien dans un duel géopolitique. Cet Elseworld permet aux auteurs de montrer comment la société et l’environnement ont un rôle primordial dans la définition du héros. Même avec des convictions, de la culture ou du recul, les personnages sont aussi le produit de leur pays. 

Mentionnons aussi The New Frontier de Darwyn Cooke où le dessinateur réinvente toute la mythologie DC en pleine Guerre Froide sur fond de “Chasse aux Sorcières” à travers ce blog de l’est, mais aussi les guerres de décolonisation Vietnam ou Corée, la ségrégation raciale et cette course aux étoiles qui ravive la flamme héroïque. Mais à l’inverse de Watchmen évoqué plus haut, cette fresque montre des héros qui remontent la pente plutôt que la descendre dans un contexte qui les pousse à faire mieux, à s’élever en parallèle de ces fusées qui partent pour l’au-delà. 

À un niveau plus terre à terre, ou du moins à l’échelle d’une ville, Gotham City à sa propre mythologie par exemple et en dit long sur la folie qui habite les personnages et qui façonne la ville à son tour. On a un jeu de miroir et de bascule dans le récit lui-même. Dans Arkham Asylum de Grant Morrison & Dave McKean on découvrait les origines étranges de la prison qui sert aussi d’asile avec un Batman aux prises avec sa propre folie. Plus récemment Batman Nocturne de Ram V & Rafael Albuquerque plonge encore plus loin dans les origines de la ville, dont l’influence sur ses habitants est presque magique. 

Si on parle d’atavisme, Gotham City : Année Un de Phil Hester & Tom King s’amuse à explorer une autre piste sur les origines de Batman à travers un secret de la famille Wayne. Bruce-Batman n’est peut-être finalement que le produit d’une histoire ancienne et s’est défini par rapport à ce drame ancestral sans se déconstruire malgré toute sa mythologie. On rejoint ici l’approche du film Joker de Todd Phillips où ces êtres hors-normes sont façonnés malgré eux par leur passé. 

À l’inverse, dans Catwoman Lonely City de Cliff Chiang, Catwoman va devoir se réinventer, sans son costume, sans son passé, sans ses acquis. Avec le temps passé en prison et la mort de Batman, Gotham City n’est plus la même et sa quête de rédemption va passer par se débarrasser du passé, de faire table rase y compris tout ce qui touche à Batman, pour se libérer et libérer la ville de ce poids immense. 

Peut-on se réinventer en dehors de ces traumatismes et héritages compliqués ? 

Toujours Tom King avec Mitch Gerads aux pinceaux, propose dans Mister miracle l’épopée intime de Scott Free qui parle aussi bien de paternité que de suicide, d’amour que de dépression, d’histoires de couples que d’héritage familial compliqué. En mixant deux mondes, divin et terrestres, deux mondes distincts qui ont à leur manière façonné ce personnage qui n’appartient plus ni à l’un ni à l’autre. En revisitant l’univers du Quatrième monde (Fourth World) créé par  Jack Kirby au début des années 1970, Tom King avec Mitch Gerads font le grand écart entre héritage, réécriture et hommage tout comme leur héros fait l’équilibriste entre sa famille choisie, sa famille réelle et sa famille secrète. 

Avec Jamal Campbell & N. K.Jemisin, on franchit encore un cap, car dans Far Sector leur héroïne nous est inconnue et commence sur une planète qui lui est inconnue. Jo Mullein a beau être une green lantern, sur cette planète la plus éloignée de la galaxie, elle n’est personne. Jo va chercher sa propre identité, car ses pouvoirs —pour une fois— ne la définissent pas. Pas plus qu’être une femme noire dans ce contexte où les aprioris humains ne pèsent pas. 

La solution la plus radicale encore serait de réécrire sa propre histoire, c’est l’idée originale de Kelly Sue DeConnick & Phil Jimenez sur Wonder Woman Historia où les auteurices vont revisiter les fondations mêmes d’un personnage mythique et tout bousculer 80 ans après. Sans tout dévoiler, on peut dire qu’à travers cette fresque aux accents mythologique, on découvre en profondeur les origines des amazones et de leur reine Hippolyte qui seront décisive pour comprendre qui est véritablement Diana – Wonder Woman. En un récit, toutes nos certitudes et connaissances peuvent basculer. 

À travers le temps, nos héros et héroïnes ont dépassé leurs simples statuts de personnages. Ils n’ont pas seulement leur importance dans la fiction, mais nous révèlent comment le monde a évolué et continuent de questionner notre époque. À travers ces quelques personnages emblématiques qui ont marqué l’histoire du comic book et ces pistes de lecture, vous avez un petit aperçu de la richesse de cette littérature unique. Un voyage intrigant autour des différentes identités qu’elles soient héroïques ou non qui nous questionnent autant que divertissent. Avec ces sorties très récentes, on voit que ce matériaux et les possibilités sont infinies et accompagnent toutes les transformations de la société. 


📚 Liste de lecture

🎤 Titres cités

All Star Superman de Grant Morrison & Frank Quitely
Green Arrow et Green Lantern de Neal Adams & Dennis O’Neil : coup de coeur à découvrir ici.
Batwoman de Greg Rucka & JH Williams III
Wonder Woman de Georges Perez
Wonder Woman Dead Earth de Daniel Warren Johnson : coup de coeur à découvrir ici.
Harley Quinn The Animated Series de Max Sarin & Tee Franklin
Poison Ivy Infinite de G. Willow Wilson & Marcio Takara
The Dark Knight Returns de Frank Miller & Klaus Janson : coup de coeur à découvrir ici.
Batman Année Un de Frank Miller & David Mazzucchelli : coup de coeur à découvrir ici.
Batman White Knight de Sean Murphy : coup de coeur à découvrir ici.
Kingdom Come, Mark Waid & Alex Ross
The Authority de Warren Ellis & Bryan Hitch
Watchmen d’Alan Moore & Dave Gibbons : coup de coeur à découvrir ici.
Rorschach de Jorge Fornés & Tom King
Gotham Central de Greg Rucka, Ed Brubaker, Michael Lark : coup de coeur à découvrir ici.
Lois Lane : ennemie du peuple de Greg Rucka & Mike Perkins
Doom Patrol et la version de Grant Morrison & Richard Case : coup de coeur à découvrir ici.
Superman – Red Son de Mark Millar, Dave Johnson & Kilian Plunkett
The New Frontier de Darwyn Cooke : coup de coeur à découvrir ici.
Arkham Asylum de Grant Morrison & Dave McKean : coup de coeur à découvrir ici.
Batman Nocturne de Ram V & Rafael Albuquerque
Gotham City : Année Un de Phil Hester & Tom King
Catwoman Lonely City de Cliff Chiang
Mister miracle de Tom King & Mitch Gerads : coup de coeur à découvrir ici.
Far Sector de Jamal Campbell & N. K.Jemisin
Wonder Woman Historia de Kelly Sue DeConnick & Phil Jimenez

 💡 Autres pistes

Mad Love de Paul Dini et Bruce Timm
Dark night : une histoire vraie de Paul Dini & Eduardo Risso
Batman : The Killing Joke, d’Alan Moore & Brian Bolland : coup de coeur à découvrir ici.
Superman Identité secrète de Kurt Busiek & Stuart Immonen : coup de coeur à découvrir ici.
Superman Future State : son of Kel-El de Tom Taylor & John Timms : coup de coeur à découvrir ici.
New Teen Titans de Marv Wolfman & George Pérez : coup de coeur à découvrir ici.


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