FLEX MENTALLO est un tournant dans la carrière de Grant Morrison, scénariste écossais qui a connu, à travers ses trente années d’activité, plusieurs révolutions personnelles, adaptant son style, ses thèmes et ses obsessions au gré des modes et du temps qui passent. Le héros de cette oeuvre est issu de sa précédente série chez DC Comics, DOOM PATROL, qu’il anima avec le dessinateur Richard Case sur une quarantaine de numéros, de 1989 à 1993. La Patrouille en question est un groupe d’handicapés et de phénomènes de foire aux pouvoirs surhumains et aux névroses infinies qui, réunis autour de leur leader en chaise roulante – Le Chef – tentent, tant bien que mal, de se trouver une place dans la société, ainsi qu’une raison d’exister, en sauvant la planète. Au cours de leurs pérégrinations, ces anti-héros visitent les sous-sols du Pentagone et y trouvent, piégé, un jeune créateur de BD, Wally Sage, l’inventeur d’un de leurs membres : le musculeux Flex Mentallo. Flex est au départ un gag, dérivé des pubs pour le développement physique, mais Grant Morrison a bien vite l’idée de se servir du caractère parodique du personnage pour en faire un manifeste au nom du retour des super-héros bondissants et colorés. En effet, à l’époque de sa parution (1996), les comics américains sont dans une mouvance appelée « L’Âge Sombre » (Dark Age) : les anti-héros, des vigilants comme Wolverine, le Punisher ou des super-psychopathes comme Lobo, sont légion, et pire, les super-héros d’antan ont troqué leur code moral et leurs pouvoirs fabuleux contre un rictus permanent, doublé d’armures et d’armements toujours plus dissuasifs. Aux capes, loups et collants succèdent les protège-genoux, les épaulettes à pointes et les bandanas : c’est le moment pour un justicier solaire en slip léopard de venir sauver le monde… ou en tout cas, celui des comic books. Fan de super-héros devant l’éternel, Grant Morrison, qui scénarise à l’époque une nouvelle version de la Ligue de Justice d’Amérique (JLA), groupe réunissant entre autres Superman, Batman et Wonder Woman, y lance ainsi un appel à retrouver le sens du merveilleux qui faisait les délices de ses lectures d’enfant. Car Flex Mentallo est également une autobiographie déguisée de son auteur, ici associé à celui qui allait devenir son collaborateur privilégié : Frank Quitely. Avant de réaliser de concert d’autres coups d’éclat comme ALL STAR SUPERMAN, NOU3 ou BATMAN & ROBIN, FLEX MENTALLO est leur premier travail en commun, et déjà la symbiose est totale. Via le personnage de Wally Sage, Grant Morrison évoque certains de ses souvenirs : la peur de la guerre nucléaire, le refuge dans les super-héros ou la musique rock. Mais loin d’en faire un récit linéaire, l’auteur va s’amuser à faire se percuter fiction et réalité : dès lors, les super-héros, depuis leur QG et autre tour de garde, cherchent à investir nos allées les plus sinistres et l’humanité se retrouve éclairée par un ciel déchiré de formes costumées. En quatre épisodes, évoquant chacun un Âge du comic book, de l’Âge d’Or primitif à l’Âge Sombre qui révèle les désirs secrets de leurs personnages autant que ceux de leurs lecteurs, en passant par l’Âge d’Argent et ses métamorphoses psychédéliques, Grant Morrison et Frank Quitely offrent une lettre d’amour aux comic books qui se termine par une communion totale avec ces sentinelles de papier, en vue d’un avenir des plus radieux.
Catégorie | Comics |
Thèmes | Récit de super-héros / Plus (...) |
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