Batman : Année Un (Noir & Blanc), la critique

Pour les 75 ans de Batman, Urban Comics a décidé de publier une collection anniversaire en noir et blanc de certaines des plus grandes aventures du justicier. Durant ses trois quarts de siècles de services, le justicier masqué est l'une des figures les plus emblématiques du genre du super-héros. Si ses origines n'ont pas bougé depuis 1939, Frank Miller et David Mazzucchelli ont réussi à développer en profondeur la première année de Bruce Wayne en tant que Batman, dans l'excellent Batman : Année Un.

"Il deviendra le plus grand ennemi du crime que le monde ait jamais connu..."

Frank Miller avait déjà signé la fin de Batman avec The Dark Knight Returns. Lorsque l'éditeur DC Comics avait décidé en 1986 de réécrire toutes les origines de ses super-héros, l'auteur n'a pas hésité une seule seconde pour écrire celles de la chauve-souris. Après avoir écrit le dénouement, quoi de mieux que d'écrire les débuts ? Toutefois, Miller lâche le rôle de dessinateur pour laisser David Mazzucchelli, arrivé depuis peu dans le monde des comics books, mais avec un talent fou dans la composition et les détails. On retrouve donc ce duo de choc sur Batman : Année un, retraçant les débuts du parcours de Bruce Wayne en tant que justicier masqué, mais aussi de James Gordon au sein de la police de Gotham. On découvre un commissaire Gordon débutant, découvrant avec peine le monde qui l'entoure et la brutalité de la ville, comprenant peu à peu comment fonctionne une cité avec des administrations corrompues. Bruce Wayne, quant à lui, apprend à la dure à être un justicier, erreur après erreur. La relation entre ces deux personnages commence également ici, avec en plus les débuts de Catwoman pour fermer ce triangle (complété avec des clins d'œil à Harvey Dent).

Frank Miller livre alors une écriture forte et totalement maîtrisé, assortie d'un dessin fort et ultra-lisible. David Mazzucchelli ne laisse rien au hasard et chaque planche est composée pour que les scènes se répondent, embarquant le lecteur sans temps morts. Le scénario, découpé chronologiquement à la façon d'un journal (dont la une d'un journal de Gotham fait office d'introduction), marquant le passé des personnages et leur donnant plus de crédibilité. Les ellipses, pourtant nombreuses, deviennent alors totalement justifiées et compréhensibles, jonglant peu à peu vers des personnages complets. La narration, quant à elle, se fait à travers les pensées mis en texte de chaque protagoniste visible sur la page. Au-delà des dialogues, ce sont vraiment les réactions et les émotions des héros qui transparaît dans l'écriture.

"Ils l'ont acculé. Ils l'ont submergé. Ils l'ont piégé. Ils vont le regretter."

Si Année Un développe surtout l'origine des personnages de la série Batman, sans jamais manquer de respect à Bob Kane et Bill Finger qui ont créé le héros en 1939, c'est surtout pour donner plus de profondeur et de brutalité dès le départ. En effet, Gotham City a toujours été vue comme un personnage avant d'être juste une ville. Une ville de crime, pourrie jusque dans sa moëlle, foyer des malfaiteurs et des corrompus, même dans la police. Lorsque James Gordon intégre le G.C.P.D., il ne connaît pas encore les dures lois qui régissent la ville. Les policiers sont aussi dangereux que les criminels, à l'image de Branden et ses hommes qui ne reculent devant rien pour atteindre leur objectif, ou lorsque Gordon se fait allègrement tabasser. Bruce Wayne, qui vient juste de rentrer à Gotham, apprend également lui aussi à ses dépends que pour être un justicier dans cette ville, il ne faut pas être un tendre. Il va mettre un peu de temps à le comprendre et à devenir le justicier que l'on connaît aujourd'hui. Il fera des erreurs à ses débuts qui lui enseigneront à être impitoyables. Finalement, Frank Miller ne change pas sa manière d'écrire. Il a toujours livré des scénarios agressifs mais toujours crédibles. Ses premiers travaux sur The Dark Knight Returns, sa série Sin City ou encore l'une de ses dernière créations, Holy Terror, transpirent également de brutalité, avec une rage certaine. Pour faire la justice et combattre le crime, il faut être fort et ne pas avoir peur de se salir les mains mais tout en sachant rester loyal, à la manière de Gordon. C'est à partir de là que la relation entre Batman et le commissaire va prendre forme, l'un ayant besoin de l'autre. Pour Bruce, il lui faut « un allié, à l'intérieur » et pour Gordon, il lui faut un justicier qui est prêt à aller jusqu'au bout.

La version anniversaire Noir et Blanc d'Urban Comics retranscris parfaitement la force des traits de David Mazzucchelli et sa composition. La lecture claire est renforcée par la puissance de certaines scènes. Ce noir et blanc convient parfaitement à l'ambiance qui ressort de cette histoire de Batman. Une édition de bonne qualité, agrémentée à la fin de dessins préparatoires et d'une postface sur le lien entre Mazzucchelli et le personnage de Batman, racontée par le dessinateur lui-même. Frank Miller écrit aussi sa première rencontre avec la chauve-souris, tout en brutalité. La préface de Dennis O 'Neil (et pas Denny O'Neil, vilaine faute de frappe), quant à elle, remet l'histoire dans son contexte, sachant qu'Année Un reste avant tout les origines et que toutes les aventures qui suivent ne seront que la suite de celle-ci.

Sans s'attarder sur le pourquoi, Frank Miller livre les débuts d'un Batman qui a encore beaucoup à apprendre de Gotham. La violence est au cœur même de cette histoire, que chaque héros vit à sa manière, sans pouvoir la surmonter autrement qu'en l'acceptant. Batman : Année Un décrit avec brio, grâce à la force du trait de David Mazzucchelli, toute la brutalité que le justicier s'apprête à affronter, accompagné maintenant par un allié qui le rend complet, James Gordon. Ce dernier, qui est presque le héros principal de l'histoire, combattra le crime à sa manière, lui aussi prêt à tout maintenant qu'il a trouvé son allié. Un incontournable pour tous ceux qui lisent les aventures de Batman