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Critiques
par Thomas Suinot - le 24/02/2022
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par Thomas Suinot - le 24/02/2022

Batman Imposter, le coup de force de Mattson Tomlin en marge du film The Batman 

Une semaine avant la sortie très attendue du film The Batman, cet ouvrage fait partie de la sélection des comics qui ont inspiré le réalisateur et scénariste Matt Reeves, et contrairement aux autres il s’agit cette fois d’une nouveauté.

Rares sont les comics à devenir intemporels, cultes et accessibles. Il s’agit souvent de récits complets constitués de peu de chapitres (le fameux one-shot). Chez Batman, certains restent sans suite ou presque (Killing Joke, Arkham Asylym, Année Un, Silence…), d’autres en ont une assumée qui n’entachent en rien la puissance de l’œuvre initiale (The Dark Knight Returns, Un Long Halloween, White Knight…). Aujourd’hui, il se pourrait bien que Batman Imposter rejoigne cette courte liste de comics Batman incontournables (ou celle-ci) ! Explications et critique.

Publiés d’octobre à décembre 2021 aux États-Unis, les trois chapitres de Batman Imposter arrivent déjà en France – en vente le 25 février –, compilés dans un bel écrin par Urban Comics dans la collection DC Black Label. Une semaine avant la sortie très attendue du film The Batman, cet ouvrage fait d’ailleurs partie de la sélection des comics qui ont inspiré le réalisateur et scénariste Matt Reeves. Pour cause, l’auteur du comic book Mattson Tomlin a carrément participé à l’écriture du scénario du long-métrage. Si The Batman a évidemment été écrit et tourné avant la publication d’Imposter, aucun doute que Tomlin a su mettre son talent de raconteur et de dialoguiste au service du film. Ses idées ont probablement servi à la fiction ou se sont retrouvées à posteriori dans son ouvrage.

‘‘Et si Batman était réel ?’’

« En poussant la question ‘‘Et si Batman était réel ?’’ aussi loin que possible du point de vue narratif, nous avons créé un potentiel incroyable qui n’a pas été exploré récemment dans les bandes dessinées, expliquait le jeune auteur [32 ans en juillet prochain !]. Batman : The Imposter [son titre VO] développe une version de Bruce Wayne et des gens qui l’entourent comme des êtres tragiquement imparfaits, confrontés à une réalité très proche de la nôtre. » Un prisme réaliste dans des comics sur Batman ? Cela a pourtant été déjà vu plusieurs fois (au hasard Terre-Un et Année Un). Alors, qu’est-ce qui différencie Imposter du reste des productions de l’industrie sur le Chevalier Noir ?

© DC Comics / Urban Comics / Mattson Tomlin / Andrea Sorrentino / Jordie Bellaire

La réponse tient en une phrase (très évidente) : son histoire – simple de prime abord – couplée aux magnifiques dessins d’Andrea Sorrentino, colorisés par Jordie Bellaire (on y reviendra). Comme le titre de l’œuvre l’indique, un imposteur sévit à Gotham City. Un criminel qui endosse le même costume que Batman mais qui n’hésite pas à tuer des assassins. Une « justice » radicale et expéditive qui n’est pas au goût des têtes pensantes du GCPD. L’inspectrice Blair Wong enquête… S’agit-il du même Batman que tout le monde connaît depuis trois ans ou d’une autre personne ? De son côté, Bruce Wayne est en pleine thérapie avec Leslie Thompkins et doit, lui aussi, trouver qui se fait passer pour lui. Ce concept d’imposteur est forcément simpliste mais n’avait jamais été abordé d’une manière aussi poussée et « réaliste ».

Bruce évoque constamment son mal-être et ses doutes à Thompkins et s’éprend de Wong au fil de leurs rencontres. Les deux femmes forment un point d’ancrage important pour l’évolution de notre héros sans pour autant être de banales « faire-valoir féminins ». Au-delà des drames et douleurs du quotidien, le récit gagne en nuance quant à l’interrogation de l’auto-justice (vigilantisme) et, surtout, le cheminement du mystère sur l’identité du fameux imposteur. Tout est très plausible, écrit intelligemment.

Deux exemples concrets. Wong estime à juste titre que Batman (le vrai et/ou le copycat) a forcément accès à des ressources économiques élevées et probablement une formation militaire. Ses pistes l’amènent légitimement vers Bruce Wayne (ce qui est rarement le cas dans l’ensemble des productions sur le Chevalier Noir – aussi surréaliste que cela puisse paraître !). Mais ça permet aussi d’aider le lecteur à savoir qui se cache sous le masque de l’imposteur.

Autre point intéressant : un vaste réseau souterrain utilisé pour par le justicier pour se déplacer rapidement, en moto notamment, et à l’abri des regards. Mais d’où proviennent ces véhicules ? Les motos sont dans les nombreuses rues de Gotham, sans plaques d’immatriculation, plus ou moins cachées, prêtes à servir à n’importe quel moment. Pourtant elles n’ont pas été déclarées volées. Donc sont-elles… achetées ?

© DC Comics / Urban Comics / Mattson Tomlin / Andrea Sorrentino / Jordie Bellaire

C’est ce genre de réflexions qui sont mises en avant dans la partie thriller de l’œuvre ; c’est passionnant et extrêmement bien rédigé par le jeune et nouveau venu Mattson Tomlin ! Dans Batman Imposter, il y a peu de figures familières de la mythologie du Caped Crusader. Alfred est aperçu en flash-back (il a démissionné de son rôle très tôt face à la colère quotidienne et la violence continue du jeune Bruce). Seuls deux ennemis de seconde voire troisième zone sont croqués. Arnold Wesker, alias le Ventriloque, et Otis Flannegan, alias Ratcatcher. Pas de costumes ou affrontements ici, les deux hommes interviennent rarement et ne sont pas « méchants » (ce sont des rôles très secondaires), la narration pousse à l’empathie et leur sort est particulièrement bien écrit, en particulier le premier, qui renoue avec l’ADN pur de Batman : l’altruisme et l’humanisme (rappelant aussi le décrié Trois Jokers dont la conclusion mettait bien en avant cet aspect du justicier).

Question de rythme

De même, on insiste lourdement sur la règle primordiale du justicier : il ne tue pas. Serait-ce un pied de nez aux adaptations plus ou moins récentes montrant un Batman « grim and gritty » parfois clivant (le Grim Knight dans Le Batman qui Rit en comic book, le Batfleck de Batman v Superman au cinéma, etc.) ? On ne sait pas trop mais ça fonctionne. On voit un Batman très impliqué dans sa croisade tout en ayant une vision « détective », qui manque cruellement à l’ensemble des comics sur le Chevalier Noir (et à ses adaptations à l’écran), ainsi qu’un bon « code d’honneur », malgré quelques tournures (justifiées) sur la vengeance – impossible de ne pas penser aux premières images du long-métrage de Matt Reeves.

La bande dessinée est parfois bavarde, l’ensemble est dense lors des phases d’enquête notamment, mais elle sait parfaitement les alterner avec des séquences quasi mutiques niveau action et infiltration (voire d’émotions). C’est là aussi un autre point fort du titre : un parfait équilibre pour garder un rythme haletant sans s’éparpiller dans des textes complexes ou au détriment des scènes de contemplation. Il faut dire qu’Andrea Sorrentino régale les rétines à chaque planche. Les amoureux du dessinateur et son style atypique vont être servis ! Sorrentino avait déjà sublimé les aventures de Green Arrow (dans l’excellent run de la période New 52) qu’il signait conjointement avec Jeff Lemire. Chez Marvel, on retrouvait aussi les compères sur Wolverine dans la très bonne série Old Man Logan période post Secret Wars. Des titres qu’on recommande chaudement en complément de leur création indépendante Gideon Falls (coup de coeur à découvrir ici).

© DC Comics / Urban Comics / Mattson Tomlin / Andrea Sorrentino / Jordie Bellaire

Dans Batman Imposter, Sorrentino est au sommet de son art : il délivre habilement ses cases et ses planches avec une approche inédite, une construction hors-norme qui va parfois dans tous les sens sans jamais perdre son lecteur. Ses traits réalistes, aussi bien pour les protagonistes (son Batman ressemble fortement à Robert Pattinson d’ailleurs) que pour les déambulations nocturnes et urbaines, sont magnifiés par la colorisation de Jordie Bellaire (qui œuvrait déjà avec lui sur le moyen Joker : Killer Smile mais aussi sur des chapitres de Batman et Detective Comics, comme les deux excellents premiers tomes de Joker War ou encore sur The Dark Knight Returns – The Golden Child ; elle est par ailleurs scénariste du reboot en comics de Buffy contre les vampires, qu’on conseille également).

Les pleines planches de la patte si singulière de Sorrentino couplées aux tons sombres, souvent nappées d’écarlate, le tout dans une veine ultra réaliste, parfois d’une froideur sans nom, et dotées subtilement d’une pointe d’émotion sont simplement parfaites. Il n’y a rien à redire (si on est emporté par ce style, évidemment).

En synthèse, Batman Imposter coche toutes les cases de la bande dessinée exigeante, passionnante, accessible, originale et pour un prix tout à fait correct (18€). On aurait tort de s’en priver ; on prend le pari que dans très peu de temps elle sera dans toutes les listes des comics Batman incontournables et cultes ! Seule une partie de sa conclusion pourrait décevoir le lecteur suite à ses attentes mais globalement l’œuvre tient la route et pourra être analysée à travers plusieurs prismes.

Comme souvent dans des coups d’éclat du genre, une suite pourrait arriver (elle n’est pas prévue à date) mais The Dark Knight Returns et Batman – White Knight, par exemple, ont eu quelques héritiers – moins inspirés… À suivre dans quelques années donc. D’un côté on ne voudrait pas « toucher au sacré », d’un autre on apprécierait en savoir davantage sur la psyché de ce Wayne et de retrouver les nouvelles têtes créées spécialement pour ce titre, à commencer par la charismatique Blair Wong.

Batman Imposter de Mattson Tomlin, Andrea Sorrentino & Jordie Bellaire, Urban Comics

Traduction : Yann Graf

✏️ Rédacteur invité : Thomas Suinot
Journaliste, fondateur et unique rédacteur du site www.comicsbatman.fr


Toutes les illustrations sont © DC Comics / Urban Comics / Mattson Tomlin / Andrea Sorrentino / Jordie Bellaire

© DC Comics / Urban Comics / Mattson Tomlin / Andrea Sorrentino / Jordie Bellaire
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