Avec un peu de retard sur la réédition de l'album de Ken Dahl, paru en mai dernier tout de même, il était temps de dégainer stylo et papier blanc pour discuter un peu du titre majeur de son auteur, qui nous revient augmenté d'une postface inédite. L'occasion de (re)découvrir un indispensable de la bande dessinée autobiorgaphique américaine des années 2000.
"Nobody wants to fuck a monster..."
Ken et Rory filaient le parfait amour jusqu'au jour où la jeune femme commence à se plaindre de démangeaisons et de douleurs aux parties intimes. Après analyse, le diagnostic est sans appel : Rory est atteinte d'herpès. Remonte alors en elle le souvenir des plaintes répétées de son petit ami au sujet d'un bouton de fièvre récalcitrant ; le doute n'est plus permis, Ken, malgré lui, a contaminé celle avec qui il partage sa vie...
Petit à petit, la maladie s'installe dans le couple et grignote les sentiments de nos deux protagonistes jusqu'à l'inévitable séparation. Retour au célibat donc et aux joies du sexe sans conséquence... ou pas. Car après le déni vient l'acceptation, et la nécessité d'apprendre à vivre la maladie au quotidien. Ken bascule alors dans le monde des "monstres"...

La maladie est un thème récurrent en matière de romans graphiques ; David B. (L'ascension du Haut-mal), Elodie Durand (La Parenthèse) et Frederik Peeters (Pilules bleues) sont quelques-uns des auteurs européens à s'être confronté avec brio à l'écriture délicate du quotidien des malades. Un ton radicalement différent de celui des auteurs nord-américains, décomplexé et irrévérencieux à l'image du récit de Ken Dahl, qui prend ici le parti de ne rien épargner à son lecteur.
L'auteur s'échine ainsi à décrire l'incohérence des comportements sociaux face à la maladie, sans oublier de tacler le malade par la même occasion. Végétalien convaincu, Ken sombre rapidement dans la spirale des remèdes qui n'en sont pas, rejette toute activité sexuelle partagée pour s'en remettre à l'industrie pornographique, développe une peur du regard des autres et s'enferme à double tour jusqu'à personnifier l'herpès avec qui il converse de contamination. En filigranes, Ken porte un regard nouveau sur la société en tant malade. Il critique notre rapport faussé à l'hygiène et la maladie pour mieux dénoncer les attitudes alarmantes de notre quotidien, et démontre que la barrière sociale est l'obstacle majeur à la "réinsertion" des malades.

Au dessin, Ken Dahl multiplie les styles graphiques en fonction des besoins du récit. Tantôt réaliste, tantôt fantastique, son trait s'adapte à la portée de chaque séquence. L'ensemble culmine à mi-chemin avec la tenue d'un cours magistral sur l'herpès qui casse les idées reçues et s'affranchit des codes du 9ème Art, délaissant cases et phylactères pour un résultat original et agréablement surprenant.
Récit autobiographique d'un homme face à l'herpès, Monsters se veut également une critique sociale qui n'oublie personne et pointe du doigt l'ignorance de Monsieur Tout-le-monde face à une maladie qui, parce qu'elle est visible, porte en elle un potentiel d'exclusion extrême. Jamais larmoyant, le récit de Ken Dahl est un parfait exemple d'équilibre réussi : à la fois caustique et décomplexé, mais subtilement pensé et rendu avec intelligence. Car oui, la bande dessinée peut être un sujet sérieux...






