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Critiques
par Léonard Fougère - le 10/06/2022
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par Léonard Fougère - le 10/06/2022

All Free & Ping Kong : sport extrême(ment passionné)

Sortez vos raquettes de ping pong et votre judogi pour les deux nouveaux titres sportifs des éditions Mangetsu. L’un fait dans l’absurde et l’autre dans la technicité, mais les deux partagent une intensité ardente dans leurs histoires.

Le manga de sport reste un genre encore un peu boudé en France dès que l’on s’éloigne des classiques comme Captain Tsubasa ou les titres de Mitsuru Adachi. Si Mangetsu avait frappé fort en amenant leur coup de cœur Ao Ashi en France, l’éditeur remet ça avec deux titres aux concepts forts (voire complètement barrés) qui les distinguent fortement des standards du genre. Bien loin du rythme fleuve d’un Ippo, ces deux titres proposent une histoire complète en seulement deux tomes chacun.

🏓 Ping Kong, par Comic Jackson – Une histoire de gorille

Ping Kong, c’est avant tout une histoire de famille. Celle de Kotomi et Takumi, deux sœurs jumelles toutes deux passionnées par le tennis de table. Mais si la première est née génie, ce n’est pas le cas de la seconde. Une différence de niveau qui va peser sur leur relation jusqu’à ce que Takumi tente de commettre l’irréparable. Une décision brutale qui sera évitée in-extremis par…sa transformation en gorille ? Ce résultat improbable ne va pas pour autant amoindrir la gravité de la situation dont Kotomi se sentira responsable. Elle va alors tenter l’improbable : remporter le tournoi national de tennis de table avec sa sœur gorillesque. 

Cette base complètement absurde va pourtant se révéler efficace dès le premier chapitre. Tous les ingrédients d’un manga sportif sont présents : la détermination, le soutien émouvant de ses proches et surtout des affrontements techniques démesurés. La recette rappelle Rooster Fighter, autre titre animalier original de l’éditeur. Ping Kong reprend cette dissonance entre une forme complètement stupide tout en racontant des histoires aux fonds bien plus sérieux et premier degré. Sa narration fait allègrement dans un excès permanent et savoureux, avec des confrontations aux enjeux rapidement trop importants pour un simple match de ping pong. L’improbable du titre monte crescendo, trouvant toujours de nouvelles idées pour surprendre le lecteur de par les situations, les adversaires ou leurs résolutions. À tel point qu’on ne se surprend plus tellement de voir nos héroïnes face à une déesse, jusqu’à un affrontement final passionnément épique et wtf. 

© by COMIC Jackson / Shôgakukan

Le trait de Comic Jackson s’accorde à merveille avec le double ton de son titre. Ses character designs s’amusent avec la dissonance flagrante entre la petite et mignonne Kotomi, et l’imposante carrure de sa sœur Takumi. Les visages aux traits excessivement sérieux et les expressions intenses se succèdent dans les pages, donnant une dimension grandiloquente à nombre de situations qui ne le sont pas tant que ça. Sur un point plus technique, il faut saluer la propreté du trait qui reste particulièrement lisible malgré des abondances d’effets durant les matchs. Le découpage, clair et impactant, rythme la lecture au gré de cases régulièrement intenses rendant la lecture fluide et divertissante. 

Une lecture fun et décomplexée qui s’apprécie rapidement de par son format intégral en 2 tomes. Si on peut sentir que l’auteur voulait sans doute en raconter un peu plus, notamment avec l’introduction de la « World Tennis Foundation » (WTF), le contenu actuel reste réussi. 

🥋 All Free, par Terubo Aono – “Le judo, c’est la liberté !”

Exit le tennis de table, le délirant de Ping Kong laisse sa place au judo ardent et intense de All Free. Si on est dans une optique bien moins fantaisiste (pas de gorille judoka, désolé), le titre se démarque par son rapport particulièrement intime, presque philosophique, avec son sport. Sa protagoniste, Jun Mifune, souhaite redonner le goût du judo à son oncle et idole, Hayaki Mifune, en lui prouvant que le judo, « c’est la liberté ». Une envie de le ramener sur les tatamis, dix ans après sa retraite anticipée pour blessure tandis qu’il était champion absolu de la discipline. Mais plus que la gloire, c’est la manière qui prime pour les personnages. Hayaki avait ainsi pour habitude de vaincre des adversaires bien plus grands et costauds que lui, ce que Jun cherchera à reproduire en se produisant spécifiquement dans des compétitions masculines toutes catégories. Cette manière de faire est directement inspirée de Kyûzô Mifune, légende historique du judo et considéré par beaucoup comme le plus grand technicien de ce sport, dont nos protagonistes sont présentés comme ses descendants. 

© 2020 Aono Terubo by Futabasha Publishers Ltd.

Cet amour de la technicité transfigure tout le titre, dans l’histoire comme dans le dessin. Terubo Aono maîtrise particulièrement son sujet, étant lui-même ceinture noire de judo. Surtout, son trait transfigure un amour du mouvement et du geste minutieux. D’un style énergique, il retranscrit pleinement la vivacité de Jun et l’intensité de ses duels avec une lecture particulièrement claire des nombreux gestes et techniques des judokas. La force de ses adversaires, tous bien plus imposants que la collégienne, s’impose au lecteur de par leur carrure et la puissance de leurs mouvements. Si en dehors des combats le dessin est un peu moins maîtrisé au niveau des visages et de leurs expressions, leur cœur de l’œuvre est largement réussi et prenant pour faire oublier ce défaut. All Free réussit la même prouesse que Ao Ashi : que l’on soit passionné ou non du sport vedette, l’auteur sait faire preuve d’une passion communicative qui parvient à captiver le lecteur. 

Dans le fond, si l’objectif de Jun est au départ assez clair, il s’efface rapidement pour laisser place à sa quête plus philosophique de la liberté dans le judo. All Free se préoccupe assez peu de son histoire, mais dans un sens positif. Elle servira surtout de prétexte à des affrontements pour Jun qui enrichiront sa propre vision du judo et ainsi se concentrer à l’essentiel du titre : le rapport avec ce sport. Une sobriété d’écriture plaisante qui permet de ne pas s’attarder sur une longue montée en puissance pour aller directement à l’essentiel. En quelques chapitres, Jun passe d’adversaires semi-pro à des champions du monde. Une évolution démesurée et absurde mais efficace pour sa narration. Les moments de vie entre les personnages sont rares, ou au contraire omniprésents tant le judo est dépeint comme étant toute leur vie. 

© 2020 Aono Terubo by Futabasha Publishers Ltd.

Enfin, les questionnements posés par la quête de liberté dans le judo de Jun sont enrichissant sportivement comme humainement. Il y a une volonté d’émancipation physique à différents degrés, à vouloir donner tort aux catégories de poids mais aussi de genre. Si ce n’est pas plus approfondi que ça, Jun affronte volontairement que des adversaires masculins. Contredire les limites de son propre corps, l’opposition entre technique et force brute, et les risques du dépassement de soi sont au cœur d’un récit poussant à la réflexion. La victoire ici se trouve rarement dans l’issue du combat en elle-même, mais dans les réponses qu’il apporte. All Free est l’illustration d’une spiritualité bouillonnante et inspirante aux thématiques riches. Avec, peut-être, encore des pistes pour une suite déjà débutée depuis mai 2021 au Japon.


Ping Kong traduit par Damien Guinois & All Free traduit par François Boulanger

Illustrations : © by COMIC Jackson / Shôgakukan & © 2020 Aono Terubo by Futabasha Publishers Ltd.

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