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par Alfro - le 23/01/2014
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par Alfro - le 23/01/2014

La construction narrative de Dragon Ball

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Dragon Ball, dans son ensemble, c’est quarante-deux volumes qui s’étalent de 1984 à 1995 et qui décrivent les aventures de Sangoku de ses premières années en tant que bébé jusqu’à ce qu’il soit père de famille avec de grands enfants. Une longue période ambitieuse qui aura permis à Akira Toriyama d’explorer de nombreux thèmes et d’y mettre une profusion d’idée.

Si cet amoncellement aurait très bien pu devenir chaotique, le mangaka a su organiser ce bouillon de culture en grands axes, permettant un découpage clair auquel se réfère les fans depuis. Ainsi, il n’est pas difficile de distinguer la jeunesse de Goku de sa vie d'adulte (que l'on appelle Dragon Ball Z par convention induite par la série animée-). Cette dernière est ensuite divisable en grandes périodes, avec pour chacune d'entre elle, un grand vilain en ligne de mire.

Retour donc sur ce chaos organisé, dans lequel Akira Toriyama aura repoussé les limites de son imagination en même temps que celles de ses personnages qui gagnaient au fil des épisodes en force tout autant qu’en maturité.

Introducing Son Gokuuu !

La toute première image de Dragon Ball restera celle de Sangoku, jeune gamin insouciant, qui découpe un tronc d’arbre à mains nues. Akira Toriyama installe son cadre bucolique, fortement inspiré des peintures chinoises (renforçant le côté réécriture du Voyage en Occident) et développe une sorte de mythe du Bon Sauvage qui va être interrompu par l’arrivée fracassante de Bulma. Très vite, il développe l’intrigue en mettant en place la légende des Dragon Balls et projette son héros ingénu dans un nouveau monde où son regard neuf accompagne celui du lecteur.

Le ton est donné, on voyage entre humour (pas toujours, rarement même, de très bon goût), kung-fu et références multiples à la culture pop. Les premiers épisodes souffrent du mal habituel des shônen, dans le sens où ils doivent convaincre un lectorat rapidement sous peine de se voir boutés hors du magazine tout en installant une histoire sur un plus long terme. Le succès de Dr. Slump et la notoriété de cette nouvelle série qui grandit en un rien de temps permet à Toriyama de poser rapidement les bases de son univers complexe qui ressemble à un condensé un peu fou de tout ce qu’il aime.

On va vite découvrir Tortue Géniale, figure habituelle du mentor, qui se distingue par sa lubricité et son air de pas y toucher. Dans la foulée, c’est Oolong, Yamcha, Puerh et même Chichi qui vont se succéder dans les premières pages du manga. Tout ce casting qui suivra Goku tout au long des dix ans de publication du manga est très vite installé par l’auteur. Comme la technique signature de Goku d’ailleurs, puisque pour venir en aide à Chichi et son père, Tortue Géniale va utiliser un Kamé Ha Méha surpuissant (la première débauche d’énergie de l’histoire du manga) qui va ravager la montagne. Goku l’imitera (en beaucoup moins impressionnant) dans la minute, démontrant son caractère hors-norme et montrant surtout l’une de ses capacités intrinsèque : la faculté à apprendre rapidement.

C’est suite à cet épisode que l’on découvrira le premier vrai vilain de DB : To le Carotteur. Encore une fois, on est dans un registre parodique et sa capacité est pour le moins weird, puisqu'il change ceux qui le touche en carotte. Évidemment, cela ne posera aucun problème à Goku (plus à Bulma). La première difficulté viendra avec Pilaf, le seul vilain que l’on retrouvera sans cesse à travers l’histoire du manga (même dans Dragon Ball GT, il est encore là). C’est là que le jeune garçon révélera un côté bien plus inquiétant puisqu’on découvre que la pleine lune le transforme en Gorille géant, renforçant ainsi le rapport avec le Roi-Singe dont il est inspiré, et on découvre que c’est Goku qui a donc malencontreusement tué son grand-père. Ainsi, comme tout héros qui se respecte, son existence a vu le jour au travers d’une tragédie.

Akira Toriyama va ensuite poser un peu son récit pour partir dans une direction qui rappelle celle des classiques du cinéma asiatique et envoie son héros auprès de Tortue Géniale pour cette phase quasi-obligatoire de l’entraînement auprès du maître. Va alors débarquer Krilin, petite teigne qui devient collègue d’entraînement de Goku et qui va progressivement adopter la même moralité infaillible au contact de l’enthousiasme de son camarade. Il est marrant de voir que ce personnage qui va devenir le plus droit et le plus sûr de la saga ait débuté comme un petit branleur. On découvre aussi Lunch, une jeune fille qui passe de la charmante brune un peu timide à la furie psychopathe blonde en un éternuement, source de crise de rire et de destruction massive.

Toute cette phase d’entraînement (qui graphiquement est sublime) sert un propos : l’introduction du Tenkaichi Budokai ! Ce premier tournoi que l’on voit dans le manga et qui va devenir une récurrence tout au long de la saga. Celui-ci sera sans doute le moins sérieux de tous, on parle tout de même de concours de pets, d’un Bruce Lee qui se fait démonter et d’un Jackie Chun qui dissimule en fait un Tortue Géniale qui aura toutes les peines du monde à l’emporter sur son élève. D’ailleurs, l’éventail des techniques les plus aberrantes déployé ici est impressionnant et ne sera sans doute plus jamais égalé. Le manga est définitivement installé auprès du lectorat qui a déboulé en masse lors de cet arc du tournoi, ce qui va permettre à Toriyama de lancer son premier vrai arc qui s’installe sur la longueur, qui consiste au départ en une nouvelle quête des Dragon Balls.

Le Ruban Rouge

Cet arc, celui du Ruban Rouge, va mettre en place un système à niveau, avec à chaque fois des ennemis plus puissants à mesure que l’on monte dans la hiérarchie. Système que le mangaka va beaucoup utiliser par la suite. Cela va lui permettre de toujours pousser plus loin les limites de Goku. D’ailleurs, sa première rencontre avec cette funeste armée sera assez symbolique de cette construction puisqu’il s’agit de la Muscle Tower, où à chaque étage un nouvel adversaire l’attend, toujours plus fort. Mais dans Dragon Ball, Akira Toriyama fait avant tout passer sa liberté créative et son humour avant tout. On retrouve ainsi le sosie de Schwarzie dans Terminator (film sorti l’année précédente) prouvant que ce fan de culture pop va réutiliser tout les éléments qu’il croisera (et qu’il aime) pour les réinsérer dans son œuvre (le R2-D2 dans la chambre de Bulma est flagrant). On croise ensuite un ninja pitoyable avant de découvrir C-8, cyborg au grand cœur qui refusera de se battre (et heureusement pour Goku, sans doute pas au niveau à l’époque). Ce dernier lui servira bien plus tard, mais on en reparlera. Pour l’instant, il démolit cette tour et repart vers de nouvelles aventures.

Cette histoire en solo met en exergue le fait que Goku a besoin d’être accompagné, pour développer l’intrigue mais aussi pour rendre son histoire plus fluide et agréable. Ainsi, de nouveau sur la route, il est accompagné cette fois-ci par Bulma (taille liliputienne) et Krilin. Ils vont alors être confrontés à un Commandant Blue au look du parfait petit nazi (dont la ressemblance avec les Saiyens est d’ailleurs frappante avec le recul…) et à la cruauté sans bornes. Il sera cependant rapidement défait avec l’aide d’Aralé, le personnage principal de Dr. Slump dont il intègre le Village Pingouin à l’univers de Dragon Ball par une petite pirouette (c’est un trou paumé, normal donc qu’il ne soit pas très en vue dans le reste des aventures de Goku). C’est une constante au début du manga, les adversaires de Goku ne sont jamais réellement de taille.

Ce qui augmente le côté horrifique de l’arrivée de Tao Pai Pai qui tue le Commandant Blue d’un coup de langue dans le tympan (technique au combien répugnante mais très efficace) avant d’aller retrouver un Goku qui se débarrassait tranquillement d’une autre partie de l’armée du Ruban Rouge. Là, il va rosser Goku (spectacle d’autant plus dur qu’il est alors encore enfant), tuer Bola, guerrier indien qui garde la Tour Karin, qu’on venait tout juste de rencontrer et repartir avec toutes les Dragon Balls. Sauf une. Efficace mais un peu con le méchant. Sangoku se remet sur pied avec pour la première fois un expédient extérieur qui est l’elixir sacré que lui remet Maître Karin. Ce premier personnage vénérable à tête de chat préfigure le Tout-Puissant et permet à Goku de devenir plus fort. Avant de repartir, il promet à Upa, fils de Bola (non, ce ne sont pas des Nains de la Moria), de venger son père.

On découvre pour la première fois le côté “énervé” du jeune Goku, qui est tellement éloigné du moindre mal que l’injustice est pour lui intolérable, en cela il est la figure même du héros épique, sans faille et sans cynisme, le véritable pourfendeur du Mal tout à fait assumé (ce qui en fait sans doute un personnage aussi appréciable). Il ne va pas faire dans le détail en éliminant Tao Pai Pai dans un combat d’anthologie (qui va laisser une empreinte sur le ton de la série) ainsi que le Ruban Rouge dans la foulée. Il récupère les Dragon Balls et comme il ne lui en manque plus qu’une, autant aller trouver une voyante, si possible folle et sœur de Tortue Géniale, pour qu’elle en révèle la position (remarquez la pirouette scénaristique où la dernière boule ne peut être localisée de la même façon que les autres).

Nous voici à la rencontre avec Baba la Voyante. Personnage fourbe bien que comique. Elle lui demande d’affronter ses champions qui sont l’excuse pour Toriyama de faire appel aux personnages de la littérature fantastique classique (le combat contre l’Homme Invisible restera l’un des plus hilarants de tout le manga) mais aussi au grand-père de Goku, revenu à la vie une journée pour l’affronter. On vous avait prévenu, elle est fourbe. Cela permet aussi d’avoir un moment d’une grande intensité émotionnelle dans le manga, montrant l’étendue des registres que souhaite y incorporer son auteur. Ceci fait, elle révèle que la dernière boule est en possession de Pilaf (forcément !). Une fois que toutes les boules sont réunies, Sangoku demande à Shenron de ressusciter Bola, démontrant si ce n’était pas encore fait qu’il est le héros désintéressé par excellence. Tellement parfait qu’on aurait envie de lui piquer ses POGs (mais bon, il est trop fort pour risquer qu’il s’en rende compte).

Le démon Piccolo

Ceci fait, il y a un petit moment de flottement. Akira Toriyama écrivant son manga à mesure qu'il avance, il ne prévoit rien sur la longueur, si bien qu’il est un peu pris au dépourvu après cet immense arc. Mais il va vite retomber sur ses pieds quand il va mettre en place un nouveau Tenkaichi Budokai où l’on découvre un terrible Ten Shin Han. Ne rigolez pas, à l’époque il est incroyablement dévastateur. Élève du rival de Tortue Géniale, le sinistre Maître des Grues, il fait preuve d’une force incroyable et l’emporte sur Sangoku en finale en détruisant l’arène. Pourtant, c’est encore une victoire pour Goku puisqu’il lui ouvre les yeux sur la nature profonde de son mentor et le rallie à sa cause, autrement plus noble.

Un allié de plus donc, que Toriyama n’a pas mis là pour rien puisqu’il amène ensuite la plus grande menace que Goku aura à affronter jusque là. En effet, alors que le tournoi vient juste de se finir, Krilin est retrouvé assassiné et l’acte est revendiqué par le démon Piccolo, soit l’incarnation du Mal. Alors que jusque là les adversaires rencontrés par notre jeune héros avaient tous une motivation, l’argent, le pouvoir ou un désir plus puéril (le Général Red qui veut devenir plus grand), ce vilain (qui n’est pas encore identifié comme un extra-terrestre venant de Namek) veut juste répandre mort et désolation.

La mort de son meilleur ami met Goku dans une rage qu’on a rarement vu chez lui. Mais même cela, et sa force incroyable qui ne cesse d’augmenter, ne pourra l’aider dans un premier temps. L’auteur a bien conscience que son héros remportait des victoires bien trop facilement et va lui mettre un sérieux coup de frein dans son ascension fulgurante. Il va lui quand même lui coller quelques sbires dans les pattes pour qu’il les défouraillent tranquillement mais rien n’y fait et Piccolo va tuer Tortue Géniale avant d’invoquer Shenron.

Là, il va commettre un acte dont il faut bien prendre en compte tout l’impact. Il va tuer Shenron. Le symbole de la toute puissance, ce qui s’apparente le plus dans le manga à une entité immuable va être effacée et les Dragon Balls, qui sont tout de même le prétexte narratif de cette série vont être réduite à l’état de simples pierres. Piccolo va alors remporter la victoire, faire régner une terreur absolue sur la Terre et devenir ce démon tant redouté, le véritable ennemi que le mangaka imagine alors comme l’ultime adversaire de Goku.

Aidé de son nouvel allié, Ten Shin Han, il va réussir à le défaire dans un combat d’une intensité incroyable qui préfigurera la nouvelle direction que prendra alors le manga quand il devra le relancer. Dans une scène culte, l’œuf lui sortant de la bouche (ce que les autres personnages ne voient pas) aura marqué de nombreux lecteurs à l’époque, Piccolo donnera naissance à un enfant. Et rebelotte, il l’affronte à nouveau, dans le cadre du Tenkaichi Budokai, et le vainc à nouveau. Bien plus facilement, puisque entre temps il s’est entraîné auprès du Tout-Puissant et de Mr. Bobo, complétant ainsi après Tortue Géniale et Maître Karin la lignée des mentors qui lui font faire à chaque faire des bons en avant.

D’ailleurs, Shenron a été ressuscité, on sent là l’envie de Toriyama de donner un happy end sans trop avoir à se justifier, et toutes les victimes de Piccolo reviennent à la vie. La fin du manga est une apothéose de bonheur, Goku se marie avec Chichi, ce qui est le prétexte idéal pour réunir pour une dernière fois toute cette galerie de personnages hauts en couleurs que l’on a pu découvrir pendant ces aventures effrénées et le rideau peut se baisser sur cette image de bonheur absolu.

Ou pas.

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