La discrétion de Chloé Cruchaudet n’en fait pas moins l’une des autrices de BD les plus intéressantes de sa génération. Publiant en moyenne tous les deux ans, des romans graphiques one-shot principalement, d’une grande liberté créative, son solide bagage technique (Emile Cohl et l’Animation aux Gobelins) se ressent à chacune de ses créations où sous un style « rapide » elle fait montre d’une immense lisibilité où le mouvement est maître mot. Bluffé par ses deux albums majeurs (Groenland-Manhattan et Mauvais genre), j’avais été moins convaincu par sa Croisade des innocents. On ne peut pas réussir à tous les coups. Sur ce diptyque préparé à l’occasion du centenaire de la mort de l’écrivain, l’autrice lyonnaise retrace la vie commune, l’amour platonique diront certains, entre Celeste Albaret et Marcel Proust, en se basant sur l’abondant matériau documentaire laissé par les spécialiste proustiens et par la gouvernante elle-même. Je dois dire que ni Proust ni les biographies ne sont généralement mon dada mais je me suis immergé avec un très grand plaisir dans cette BD pleine d’imagination, de sensibilité, de poésie. Nous suivons dans le premier tome Céleste tout juste débarquée de sa cambrousse, jeune mariée à celui qui partagera (de loin) sa vie comme chauffeur de l’écrivain et qui l’introduit dans sa maison. Si les césures dans les séries courtes sont souvent « techniques », ici les deux volumes sont très différents en ce qu’ils couvrent deux « époques » différentes, deux relations surtout, la première voyant une fille engourdie découvrir la vie fastueuse de la haute société parisienne, la première la voyant prendre l’ascendant sur son maitre et prendre gout à la finesse et aux plaisirs du luxe. L’intelligence de Chloé Cruchaudet est de ne pas avoir recherché absolument à adapter l’œuvre de Proust, à sur-référencer, se concentrant sur son personnage à la grâce graphique évidente et sur sa relation avec le dandy hypocondriaque, cet enfant dont il faut s’occuper jour et nuit. On imagine la fatigue de Céleste mais on ne la voit pas. Le personnage suit au début les tourbillons capricieux de Proust puis devient elle-même une tornade blanche, abandonnant de fait son foyer pour son métier. Il lui est fait remarquer qu’elle est asservie, un asservissement volontaire tant la candeur de l’écrivain semble irrésistible. L’album nous montre Marcel Proust comme un aristocrate trop gâté, un rentier qui n’a jamais connu le besoin et déterminé à devenir Prix Goncourt, un homme fragile et hypocondriaque, sur de lui-même et si incertain. L’autrice n’a pas besoin de mots pour faire comprendre qu’il y a une vraie relation filiale à travers cette interdépendance. L’homosexualité de Proust évacuant tout doute relationnel dès les premières pages, on suit le parcours de l’héroïne en comprenant par nous-même ce qui la fait rester et ce qui la fait cheminer intérieurement. Remarquablement équilibré entre l’immersion dans la vie de l’auteur et la chronique d’une gouvernante, Céleste jouit naturellement du talent évocateur flagrant de Chloé Cruchaudet, autrice complète dont les cases non cadrées et les quasi estampes se suffisent à elles-mêmes. Les tons de vert et de violet peuvent surprendre mais donnent une vitalité permanence aux planches et animent un cadre au demeurant assez réduit: la chambre de Proust (voir son lit où il passe le plus clair de son temps), Paris, l’appartement des Albaret. D’une totale liberté de forme, Cruchaudet fait virevolter les idées, les senteurs, les mots de l’écrivain parfois, pour animer un récit drôle, doux et enjoué, à la créativité graphique permanente. Un très beau projet de la part d’une très douce artiste. Lire sur le blog: https://etagereimaginaire.wordpress.com/2023/11/15/celeste-2-2/
très belle histoire avec de jolis dessins! c’est beau et on aimerait partager le quotidien de ces personnages dans cette atmosphère incroyable
Vivement la partie deux ! C’est trop agréable et détendant à lire !
