L'avis de: L'Etagère imaginaire

Attaché à développer des mythologies françaises plongeant dans l’Histoire, l’écrivain Serge Lehman était le partenaire idéal pour un des plus brillants dessinateurs de sa génération, attiré par l’étrange que les deux ont élevé au rang d’art sur le partenariat qui suivra ce carton de l’année 2018, la série Saint-Elme qui vient de s’achever en apothéose ce mois de janvier. Je parlerais rapidement du dessin de Frederik Peeters qui devrait être pour vous qui suivez ce blog une évidence de force technique et artistique au même titre qu’un Mickael Sanlaville ou un Ralph Meyer, de ces dessinateurs à l’aspect pas nécessairement réaliste mais dont chaque trait sonne juste, chaque enchaînement donne ne sentiment de vivre un mouvement et qui sont capables de transformer l’épure et un réalisme photographique. Totalement au service de son scénario, le suisse croque une galerie de personnages truculents, autour de cette femme fatiguée mais terriblement charismatique dans ses failles. Sans trop appuyer Peeters cherche à croquer les vrais gens, avec leurs petits bourrelets, leurs rides et leur inadaptation. Mettant en place très progressivement sa toile, Lehman commence son histoire autour d’un matriarcat germanopratin pour entrer progressivement dans l’étrange et la Légende avec ce mythe du Golem qui survient à mi-album. Cette progressivité permet de se couler dans l’histoire sans rupture, comme si l’on sombrait dans un songe avec notre héroïne. L’alchimie avec la fille fonctionne parfaitement comme deux facettes narratives qui permettent de jouer sur les peurs et le hors-champ, l’ado adoptant une posture extérieure face aux évènements surnaturels quand la mère intériorise autour de cette aphasie chronique dont elle va progressivement découvrir la cause profonde, issue de son histoire familiale secrète. Point névralgique de tout thriller, le méchant (que l’on voit en couverture), ce si mystérieux Max Corbeau, est évidemment très réussi, trop peut-être en accaparant une grosse part de l’attention des auteurs… au risque de devenir une fin en soi. Car si les séquences où il intervient sont saisissantes de violence et de sidération, il en vient à vampiriser une partie de l’intrigue jusqu’à disparaître quelque peu dans une conclusion inaboutie par trop de mystère, comme sur Saint-Elme et comme sur beaucoup d’ouvrages fantastiques. Album très dense, doté d’un impressionnant nombre de tiroirs et de sujets passionnants que les auteurs n’ont évidemment pas le temps de tous traiter comme il se devrait (il aurait sans doute fallu une anthologie comme Les contes de la Pieuvre), L’Homme gribouillé est une gourmandise inaboutie, un plaisir graphique et imaginaire de deux auteurs en pleine possession de leur art narratif mais qui peine un peu à boucler leur récit dans un final tonitruant mais incertain. Il reste un impressionnant morceau de BD qui n’usurpe pas son excellente réputation. Lire sur le blog: https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/03/08/lhomme-gribouille/

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