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Avis des lecteurs de l'album:
4.7(3 avis)

La suite de la série confirme totalement les impressions des deux premiers volumes (qui correspondent à 4 tomes de la première édition) et notamment le gros point noir de la place des femmes. Est-ce l’évolution importante de nos sociétés depuis quelques années qui fait ressortir plus fortement le machisme du manga? Ou alors une société japonaise fortement patriarcale dans le prisme d’il y a trente ans? Toujours est-il que les interrogations des premiers billets sur une volonté des auteurs de refléter une classe mafieuse et politique misogyne sont battues en brèche: le propos est bien celui des auteurs. Les seules personnages féminins (la commissaire et la cheffe de cabinet) ne font que passer, le temps de se faire troncher et de tomber en pâmoison devant le duo héroïque (quand ce n’est pas le chien fou Tokai qui abuse de ce qu’on imagine être des prostituées). Heureusement les séquences avec des personnages féminins sont rares. Passé ce soucis (pas rare dans les manga finalement, cf Sun-ken Rock), on a droit à une fascinante série politique sur le japon des années 1990 qui n’est pas moins que l’un des tous premiers modèles, bien avant The West Wing, Borgen et autres Baron noir. C’est donc un peu le grand ancêtre de la chronique politique qui nous est proposé par Glénat et je dois dire que le plaisir de lecture est grand une fois dépassées les quelques scories. Plus axé sur l’ascension de Hojo dans la pègre sur le début, le manga s’oriente sur sa seconde moitié vers les arcanes de la politique nationale et devient passionnante. Autant la géographie des différents clans Yakuza nous perd un peu, autant le combat contre le grand méchant, le maître à jouer de la sphère politique, est d’une modernité étonnante. En choisissant de créer un schéma archétypal et reproductible sur différentes générations, les auteurs ancrent leur récit dans une sorte de combat entre Anciens et Modernes et par là dans le Grand Récit du monde. On découvre ainsi que le duo Hojo le Yakuza/Asami le politicien trouve son miroir dans Isaoka et son alter-ego mafieux qui ont créé le Japon moderne après la défaite de 1945. Le combat ne va donc pas tant être celui des jeunes contre les anciens mais plutôt l’acceptation de l’abandon du pouvoir, le remplacement des deux anciens visionnaires par leurs successeurs. Jusqu’au dernier arc qui laisse entendre un schéma identique dans la Russie post-chute du Mur. Car Sanctuary reste attaché au réel avec des références claires à Boris Eltsine et Bill Clinton et des relations entre le Japon et les Etats-Unis intéressantes vu des années 2020. S’il y a un aspect historique qui dépasse le lecteur non spécialiste de la politique japonaise, on retrouve des marqueurs entre conservatisme et modernité jusqu’à une responsabilisation des électeurs endormis (notamment les jeunes déjà abstentionnistes, ce qui ne sera pas sans rappeler notre époque). Sur le plan purement narratif, les rebondissements sont nombreux, abusant de facilités et de deus ex machina confondants d’évidence, le tous seulement justifié par le machiavélisme absolu du méchant Isaoka. Le scénariste ne se laisse pourtant pas aller au simplisme et l’on ressent fortement la logique intrinsèque à chaque organisme social (les Yakuza et les politiques fonctionnant finalement selon le même schéma hiérarchique absolu, simple reflets de la société japonaise ancestrale), ce qui permet de densifier les archétypes et d’expliquer les très nombreux retournements de veste et conversions. Dans un habillage poseur (on aimera ou pas), empli de tics graphiques et de retournements successifs, Sanctuary est donc bien une série politique majeure qui définit beaucoup de récits politiques qui suivront. Malgré des planches un peu datées et prévues pour du papier journal (l’éditeur aurait peut-être pu tenter le papier-glacé), le dessin de Ikegami reste d’une excellente lisibilité et d’une élégance rare. Une très belle découverte sur un format raisonnable et qui vous plongera dans le plaisir des grandes séries TV politiques récentes. Lire sur le blog: https://etagereimaginaire.wordpress.com/2023/10/27/sanctuary-perfect-3-6/

👍
Profil de Seisei
28 août 2023
9782344052587