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Critiques
par Baptiste Gilbert - le 25/07/2023
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par Baptiste Gilbert - le 25/07/2023

Hoka Hey, le soleil se couche à l’Ouest

Hoka Hey, vous en avez sans doute entendu parler depuis sa sortie en début d’année. Ce one-shot de Neyef au Label 619, western crépusculaire à tous les niveaux, est l’une des petites bombes de 2023.

Hoka Hey est un western, oui, mais pas un western classique. Ne vous attendez pas à y suivre d’héroïques cow-boys, des chasseurs de prime ou même des fossoyeurs (à la manière d’Undertaker ou de Stern dont on vous parlait récemment). Ici, les héros sont des natifs américains, et qui plus est des parias. Les rôles traditionnels sont donc inversés ou au moins bouleversés ; et si ce n’est pas la première fois qu’une œuvre adopte ce postulat, cela reste rare et apporte une vraie fraîcheur. Sans chercher à révolutionner le genre du western, Neyef réussit à en renouveler certains aspects, et à en sublimer d’autres.

Les protagonistes sont des natifs et des hors-la-loi donc, et pas n’importe lesquels. Les guerriers en exil Little Knife et No Moon sont issus d’une époque révolue, peut-être les derniers amérindiens à continuer à se battre, par honneur, contre l’oppresseur blanc, accompagnés de leur acolyte irlandais Sully.

Froids, violents, ils sont lancés dans la quête de vengeance de Little Knife, au cours de laquelle ils croisent le chemin de Georges, un jeune natif enlevé à sa terre et élevé par un pasteur qui l’utilise comme larbin. Ils embarquent avec eux le garçon, dont le déracinement dès le plus jeune âge a fait un pur produit des États-Unis, qui rêve d’une vie de citoyen américain lambda et a tout oublié de ses racines. Un exemple d’acculturation, thématique centrale du récit.

Se développe alors une relation complexe entre Georges et Little Knife. La rencontre entre ces deux personnages, qui ont des visions très différentes du modèle américain va tous les deux les faire évoluer. Transmission, perpétuation d’une culture mourante, ouverture à l’autre, sont autant de thèmes abordés par le biais des leurs interactions.

Fin des mondes

Avec ce récit, Neyef nous raconte la fin d’un monde, ou plus exactement de plusieurs mondes. Celui du peuple Lakota, dont les protagonistes sont les derniers représentants libres, et plus largement celui des natifs américains indépendants et insoumis à l’envahisseur étatsunien. Mais aussi celui de l’Ouest américain, du western comme on le conçoit de manière classique, le récit se déroulant au moment où la fameuse conquête de l’Ouest est achevée, où les natifs ont été vaincus, et où les Etats-Unis entrent dans une nouvelle ère. Une thématique poussée jusqu’au bout de l’album, Neyef nous laissant espérer le lever d’un nouveau jour avant une conclusion terriblement pessimiste.

© Illustrations Neyef/ Rue de Sèvres

Le contraste avec le titre, tiré du cri de guerre de Crazy Horse et signifiant “en avant !” chez les Lakotas, vient souligner le côté désespéré de la lutte des protagonistes, survivants qui s’efforcent malgré tout d’aller de l’avant et de faire face à leurs ennemis sans faillir. Et pour Little Knife, la vengeance est la seule manière d’aller de l’avant.

Le côté crépusculaire est omniprésent, à commencer par les couleurs de Neyef, qui nous met instantanément dans le bain en usant dès sa couverture et ses premières planches des tons orangés d’un coucher de soleil. Une majorité de l’album se déroule dans une ambiance de fin de journée, et on a le sentiment, tout au long du récit, d’assister à la conclusion d’une histoire qui dépasse celle des personnages. Plus globalement, l’auteur nous saisit avec un magnifique jeu sur la lumière et une mise en scène extrêmement cinématographique.

Il résulte de cette histoire de vengeance à l’ambiance quasi apocalyptique un album violent, autant dans le propos que graphiquement. Une violence multiple, donnant lieu à plusieurs scènes chocs, et découlant aussi bien du racisme que de l’appât du gain, aussi bien du désespoir que de la soif de vengeance.

Aucun doute, Hoka Hey est l’un des albums phares de 2023. Propos fort et engagé, visuels sublimes, personnages complexes et émouvants, scénario subtil, final percutant, tout y est. Une œuvre qui, tout en réussissant à renouveler le genre, se range instantanément aux côtés des meilleurs westerns, en BD et ailleurs.

Hoka Hey, Neyef, Rue de Sèvres


© Illustrations Neyef/ Rue de Sèvres

© Illustrations Neyef/ Rue de Sèvres
© Illustrations Neyef/ Rue de Sèvres
© Illustrations Neyef/ Rue de Sèvres
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