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Critiques
par Antoine Chevet - le 8/07/2025
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par Antoine Chevet - le 8/07/2025

Shin Zero, ou la fascination du costume moulant pour affronter la société

Signé Mathieu Bablet et Guillaume Singelin, Shin Zero est un hommage à un genre très connu au Japon : le Super Sentai. Les auteurs proposent ici une réécriture intelligente et captivante des célèbres héros colorés, avec un point de vue plus ancré dans notre société actuelle.

Couverture de Shin Zero

Cela fait 20 ans qu’on a plus aperçu un Kaiju, 20 ans depuis la victoire de l’héroïque sentai Red Striker sur le monstre King Zero. Les sentai, qui avaient toujours été considérés comme des héros de la nation, servent désormais à faire du sale boulot mal payé dont personne ne veut.

N’importe qui peut le devenir en deux clics et une signature, c’est devenu un job comme un autre, un moyen mal perçu par la société d’arrondir ses fins de mois ou de payer ses études. Warren, Héloise, Satoshi, Nikki et Sofia, sont de ceux-là : dans un monde où la réalité ne laisse pas de place aux rêves, ils cherchent à donner un sens à leur vie.

Premier tome d’une trilogie, Shin Zero est la nouvelle pépite du Label 619 aux éditions Rue de Sèvres. Au scénario, Mathieu Bablet, l’auteur derrière Shangri-La et The Midnight Order et au dessin Guillaume Singelin, à qui l’on doit notamment P.T.S.D. et Frontier. Les deux n’en sont pas à leur première collaboration puisqu’ils ont travaillé ensemble sur un tome de Midnight Tales. Ils se retrouvent donc pour une trilogie hybride entre le manga et la bande dessinée, en hommage au genre japonais du Super Sentai.

Des bases solides pour un premier tome

Extrait du T1 ©Rue de Sèvres / Label 619 / Guillaume Singelin / Mathieu Bablet

En France, le genre du Super Sentai est méconnu, on pourrait s’attendre à une parodie ou une simple reprise des Power Rangers, qui pour beaucoup est la seule référence, mais que l’on redécouvre avec plaisir grâce aux rééditions (parues et à venir) autour du travail de Shōtarō Ishinomori, le champion du genre.

Shin Zero est autant un hommage qu’une création originale : loin d’être aussi colorée que les uniformes de ses protagonistes, l’histoire est plus sérieuse et ancrée dans les problématiques de notre époque. 

Contrairement à ce que l’on pourrait penser pour un livre de ce genre, les scènes d’action – notamment les combats – sont peu nombreuses. Ce premier tome prend le temps de développer ses cinq personnages principaux et d’explorer leurs histoires respectives car chacun a sa raison d’être un sentai et des objectifs qui lui sont propres. Résultat : les personnages sont très humains, ils font face à des problèmes, cherchent un but dans cette société alternative – qui ressemble beaucoup à la nôtre.

Un univers et des personnages qui nous reflètent

Extrait du T1 ©Rue de Sèvres / Label 619 / Guillaume Singelin / Mathieu Bablet

L’univers imaginé par Mathieu Bablet est très divertissant, mais il est aussi réfléchi, avec une profondeur de récit très riche au-delà de la trame principale. Il apporte une lecture critique de nombreux aspects de notre société, et ce de façon plus ou moins subtile, à travers les vies de ses personnages.

On y voit des étudiants en galère pour payer leurs études, seule solution pour avoir accès à une vie convenable et sortir d’une situation précaire. On y voit des hôpitaux qui limitent les accès aux soins parce qu’ils coûtent trop cher ou encore des microparticules suspectes dans l’eau potable, et dans l’ensemble, des problématiques que l’on connaît bien.

Toutes ces thématiques servent de fond à l’univers, mais chaque personnage apporte également ses propres questionnements pour compléter l’histoire. Pour Satoshi, c’est lâcher prise sur ses rêves d’enfant et le refus de se fondre dans le moule de la société. Pour Héloïse, s’émanciper des restrictions imposées par ses parents, être libre à la fois mentalement et physiquement. Pour Warren, être respecté et traité comme un adulte. Pour Sofia, donner à son fils une vie meilleure et réparer ses erreurs passées. Et enfin pour Nikki, combattre les violences et les abus faits aux femmes, faire du consentement une norme.

Un hybride entre manga et BD

Si le scénario de Mathieu Bablet est prenant et bien développé, la prestation de Guillaume Singelin est également à saluer. Le dessinateur a réalisé un travail fantastique tant sur le découpage que sur le dessin. Les personnages ont des looks cools qui modernisent un peu l’image du sentai tout en gardant la diversité qu’ils pouvaient avoir, et les décors, urbains pour la majorité, sont très précis et participent à l’immersion dans le récit.

Extrait du T1 ©Rue de Sèvres / Label 619 / Guillaume Singelin / Mathieu Bablet

Ce qui fait la grande force visuellement, c’est cette alliance de noir & blanc et de couleurs. Chaque personnage a sa couleur associée, principalement pour le costume, et les rendus des planches quand tous les personnages sont en tenue de sentai sont tout simplement magnifiques. Ces touches de couleurs permettent de dépasser le style du manga et de le sublimer.

En effet, Shin Zero ne tient pas ses inspirations dans la culture nippone que sur le fond mais aussi sur la forme : c’est un manga à la française, qui en reprend plusieurs codes mais s’en différencie également. Il faut déjà noter que le livre est référencé comme bande dessinée malgré son petit format épais et ses dessins majoritairement noirs et blanc.

Avec son sens de lecture est à l’occidentale, de gauche à droite donc, c’est un format hybride probablement pensé pour attirer à la fois un lectorat d’amateurs de mangas et d’habitués de la bande dessinée, qui ne seraient ainsi pas trop dépaysés.

Si pour certains, le genre joue sur une certaine nostalgie, ce sera pour beaucoup une parfaite porte d’entrée à l’univers des sentai et des kaiju. Entre l’histoire touchante et profonde, les personnages attachants, les planches qui marquent les esprits ou encore une lecture critique de notre société, Shin Zero a toutes les qualités d’une excellente bande dessinée. Les bases sont posées, maintenant il nous faut la suite !

Shin Zero de Mathieu Bablet & Guillaume Singelin, Rue de Sèvres, Label 619


Image principale par Guillaume Singelin ©Rue de Sèvres / Label 619 / Guillaume Singelin / Mathieu Bablet

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