Je vous avais dévoilé ici toute la programmation du festival Formula Bula qui se tient ce week-end à Paris (à Césure, Paris 5e), mais il manquait un focus sur le prix du CNFE (centre national du fanzine d’enfant) dont ce sera la 7e édition en 2025. Un prix porté par Formula Bula et les Éditions de L’Articho qui met en avant les fanzines créés par des enfants et des ados avec une cérémonie de remise des prix le dimanche 28 septembre, à 17h30 en clôture de Formula Bula.
Pour départager ces fanzines, un jury composé de Yassine de Vos, Raphaël Barban, d’ambassadeur.ices du pass Culture et des lauréat·es de l’édition CNFE de l’an dernier est présidé cette année par Nine Antico.
L’autrice sera également présente ce samedi 27 septembre, à 17h, pour un Déballage autour de ses derniers livres pour y présenter tout son processus créatif, mais aussi ses fanzines.
En parallèle, La Galerie Martel (Paris, 10e) expose jusqu’au 1 novembre 2025, des planches de 3 de ses livres, dont Une obsession. Une visite en compagnie de la dessinatrice est prévue samedi 18 octobre, à 14h pour prolonger ces rencontres à Formula Bula.
Une obsession est l’un des livres marquants de cette rentrée, à la fois plongée dans l’intime des moments les plus sombres aux plus lumineux, portée par un jeu graphique où les paysages de Venise viennent soutenir les vignettes de cette autobiographie fragmentée. Ce nouveau livre s’inscrit dans une vaste réflexion sur le désir que Nine Antico explore depuis Coney Island Baby, Autel California et Madones et putains.
Entretien autour de ce jury fanzine et de son nouveau livre pour aborder ces différents aspects de son travail.

Vous présidez le jury du Prix du CNFE cette année, qu’est-ce que vous allez regarder spécifiquement dans ces productions ?
Nine Antico : Ce n’est pas facile de déterminer les critères pour hiérarchiser ces fanzines. Est-ce qu’il faut qu’ils soient drôles ? Originaux dans leur forme ?
Il y a une petite recherche de lâcher-prise plutôt. On recherche des personnes qui se sont amusées, qui se sont approprié le format et qui ont une idée. Que ça ne soit pas du remplissage, qu’il y ait une unité, qu’on sente quelqu’un derrière —même une petite personne. Et de voir que quelqu’un s’est éclaté, ça fait toute la différence.
Autour de ce prix, il y a des gabarits pour les fabriquer, un prix « meilleur prof de fanzine » pour encourager la création auprès du jeune public, comment on donne le goût du dessin, de la bande dessinée aux plus jeunes ?
N. A. : Il faut faire en sorte de démystifier la bande dessinée, ça peut paraître assez inaccessible. Il faut casser cette certitude qu’il y a un bon et un mauvais dessin.
Pour moi, ce n’est pas du tout un critère et le je préfère encore un trait qui assume ce qu’il est, et que la personne s’en empare pour dire quelque chose à sa façon. De même plutôt développer ses faiblesses que d’essayer de les cacher.
Ce mois-ci vous publiez Une obsession un livre où vous évoquez vos premiers fanzines : en soulignant « Je n’avais jamais fait de bande dessinée auparavant hormis quelques pages éparses dans mes fanzines, j’ai appris en faisant. Je ne pensais pas avoir quelque chose à dire » ; qu’est-ce que permet le fanzine dans un parcours d’artiste ?
N. A. : C’est de faire sans attendre la validation. On est son propre éditeur, son propre censeur et son propre allié. Ça permet de chercher et de commencer à se rendre compte de ce que l’on aime.
J’ai découvert en faisant des croquis de gens dans mes fanzines que j’aimais le décalage entre le dessin et le texte. Et que ça pouvait être fait de manière très simple à la façon de Raymond Pettibon, que je cite souvent, qui montre comment un sous-titre peut complément décaler la vision d’un dessin. Le décalage textes / images et la rapidité aussi, le mouvement.
Dans mes fanzines, j’ai commencé à ajuster mes goûts, et ça m’a permis d’aiguiser ma sensibilité.
Dans le fanzine, il y a une idée d’immédiateté, de proximité aussi, mais à quel moment on sait que ce qu’on a dessiné et écrit est fini, et qu’on peut le montrer aux autres ?
N. A. : C’est vrai que c’est une sélection, et ça c’est pas mal de se dire qu’on ne va pas tout montrer. C’est bien de filtrer, de créer un équilibre entre ce qu’on a le plus envie de partager et ce qui peut être apprécié en dehors du contexte même du carnet. Une petite alchimie qui est très personnelle.
À Formula Bula, vous ferez samedi un Déballage autour d’Une obsession pour parler de votre processus créatif, et pour ce dernier album vous avez travaillé à l’encre, mais aussi à la gouache avec des collages, est-ce que vous pouvez nous expliquer quels sont vos outils et comment vous travaillez ?
N. A. : Je vais élargir ce déballage, pas seulement sur ce dernier album, mais ce sera plutôt global sur mon travail.
Mais pour ce dernier album, pour la première fois, j’ai utilisé une plume —avec un porte-plume qu’on trempe dans l’encrier— c’est un outil qui a remplacé le Rotring que j’ai longtemps utilisé. Et qui m’a beaucoup plu dans son côté archaïque en forçant à devoir s’arrêter pour recharger la plume, ça donne une espèce de rythme.
Sinon j’ai aussi un feutre-pinceau. C’est un mélange entre la précision de la plume —un outil pas du tout rapide— et la spontanéité du feutre-pinceau ou le Posca pour des traits plus jetés.

Votre approche à évoluée depuis Madones et putains en s’écartant de la mise en scène des personnages et des dialogues pour intégrer les décors, de laisser plus de place au dessin. Avec ici, Venise en toile de fond, vous avez fait beaucoup de recherches, de croquis, de carnets d’observation ces dernières années ?
N.A. : Non je n’en fais pas ! J’écris d’abord. Beaucoup. Et particulièrement pour Une obsession où j’ai d’abord un texte où il n’y avait pas la toile de fond avec Venise. Mais c’est Venise —en y allant après— qui m’a permis de dire que ça manquait pour avoir envie de dessiner ce texte très personnel. Et graphiquement j’avais envie de dessiner cette ville.
Quand je bosse sur une BD, je sais que j’ai hâte d’aller dans l’univers graphique, je ne prépare pas : c’est vraiment quand je me pose sur la page 1, avec mon storyboard à côté, je me lance. Et ça vient comme si c’était un peu là, il n’y a pas une élimination de plein de croquis ni de choix, je fais avec ce que j’ai. Il n’y a pas d’orientation volontaire de ma part.
Dans mes albums, il n’y a plus de gaufriers depuis Madones et putains dans une volonté de me rapprocher des livres illustrés que je lisais quand j’étais enfant et qui m’ont donné envie de faire du dessin. J’ai envie de laisser plus de place au dessin, au texte, au vide avec un type d’image qui ne remplit pas forcément la page. Pour en faire des petites vignettes un peu fétichistes dans lesquelles on a envie de se glisser.
Il y a cette idée de collage via ces petites cases qui sont collées par-dessus les décors, parfois en contrepoint, cette idée était là au départ ?
N.A. : Oui c’est venu dès les premières pages, même si ne n’était pas prévu : ça vient d’une envie graphique qui a surgi comme ça. Et j’ai l’impression que ça correspond à des petits focus à l’intérieur des souvenirs, comme des inserts façon poupée russe : on a un souvenir qui en donne un autre, qui en donne un autre…
Dans ce livre, vous revenez sur vos livres précédents en évoquant leur importance dans votre parcours, mais aussi leurs manques, leurs questionnements, et au côté éphémère de l’autobiographie ; « Un livre n’est pas une vie », écrivez-vous dans une très belle scène au cœur du cimetière San Michel. Est-ce qu’il y a eu une tentation de refaire, de rééditer différemment certains livres ?
N.A. : Non, c’est bien qu’ils restent le témoignage d’un moment et d’une pensée. Je serais toujours plus pour avancer que refaire.
Ce que je fais différemment, je le fais dans un autre livre. Il me semble qu’à chaque fois, en bande dessinée, j’ai eu le temps de macérer tout ça et qu’il vaut mieux être respectueux de ces choix-là.
Une obsession à pour point de départ une séparation et un voyage à Venise qui ne se fera qu’en image pour explorer votre réflexion sur le désir, le corps et la sexualité, des événements traumatiques, c’est un regard sur soi très intime où les personnages sont masqués tout en dévoilant beaucoup, est-ce qu’on réécrit beaucoup quand on fait de l’autobiographie ? Quels sont les filtres ?
N.A. : Je suis assez fidèle au texte que j’ai écrit un été et qui est sorti d’un coup. C’est plus la fin que j’ai retravaillée, parce que j’étais paumée quand j’ai écrit le texte et maintenant même je ne suis pas complètement sortie de mes doutes, j’en ai résolu certains.
Sur la pudeur, il me semble que du moment où je parle de moi —même si je décris des relations sexuelles, c’est via mon prisme— je ne suis pas en train de donner des leçons, ou donner des points à qui que ce soit donc je pouvais me permettre d’être honnête avec moi-même. Mais oui, je ne peux pas dire que je n’ai pas pensé aux gens autour, mais il fallait que j’écrive ce texte. J’en ai un peu parlé autour de moi, aux gens les plus proches même si je suis restée floue sur le contenu. Et c’est au fur et à mesure que la sortie est arrivée que j’en ai parlé, que j’ai préparé.

Une fois que vous aviez ce texte et que vous aviez décidé de le passer en bande dessinée : est-ce que c’est allé assez vite, ou c’est quelque chose que vous avez fait sur la durée ?
N.A. : Une fois que j’ai décidé de le mettre en bande dessinée, c’est allé assez vite. C’est un an, un an et demi. Mais en général quand je travaille sur une bande dessinée, c’est ponctué d’autres travaux, scénarios, commandes, projets…
Mais je l’ai laissé dans un tiroir pendant 2 ans sans savoir si j’allais vouloir le dessiner, c’est la maturation de Madones et putains et le fait d’attendre de rencontrer vraiment Venise : au départ le texte commençait juste avec l’obsession dans la voiture. Quand je suis allée à Venise, l’idée de faire commencer le récit par cette interrogation schizophrénique d’y aller ou de ne pas y aller —qui a été réelle— c’est ce qui manquait pour me donner l’envie de dessiner ces personnages et me désinhiber.

Vos planches sont exposées jusqu’au 1 novembre 2025 à la Galerie Martel et vous en montrerez d’autres au déballage, est-ce que vous allez présenter également des anciens fanzines ?
N.A. : Oui, je vais présenter des fanzines, des storyboards aussi. Pour les dessins originaux, ce ne sera pas des planches de la dernière bande dessinée, mais l’idée est plutôt de montrer la fabrique.
À la galerie Martel, il y a 20 planches d’Une obsession, mais aussi des planches de Coney Island Baby, d’Autel California et de Madones et putains et la thématique est autour du désir. On voit mon style de 2010 en face de celui d’Une obsession et c’est assez chouette de voir le chemin graphique qui se trace, qui évolue. Et j’avais envie de parler de ça pendant le déballage.
Rendez-vous ce samedi ce samedi 27 septembre, à 17h, à Formula Bula pour la rencontrer et dimanche à 17h30 pour découvrir les fanzines primés ! Tous les fanzines reçus pour le concours sont exposés dans l’espace Formula Bambini pendant la durée du festival.
Une obsession de Nine Antico, Dargaud, coll. Charivari
Toutes les images sont © Nine Antico / Dargaud















