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Édito
par Thomas Mourier - le 12/09/2023
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par Thomas Mourier - le 12/09/2023

« Notre travail est d’aborder la bande dessinée sous toutes ses formes » Interview de Raphaël Barban pour revenir sur 10 ans de Formula Bula

À l’occasion de la 11e édition de Formula Bula —du 22 au 24 septembre 2023, à Paris, 5e— j’ai rencontré son directeur artistique, Raphaël Barban, pour échanger avec lui sur la création du festival, sur sa 11e édition, sur sa programmation, sur ses ambitions, sur ses publics et sur le rôle d’un tel événement.

Si vous n’êtes jamais venu à l’un des festivals de bande dessinée les plus zens de ces dix dernières années, rendez-vous en fin d’interview pour quelques conseils et détails de la programmation, expos ou concerts. 

Pour sa 11e édition, Formula Bula déménage à CÉSURE, 13 Rue Santeuil, 75005 Paris et propose des horaires étendus : vendredi & samedi de 11h à 20h puis concerts jusqu’à 23h. Et le dimanche de 11h à 19h.

Précisons aussi que le festival est gratuit et qu’il y a pas mal d’activités tout publics qui permettent de venir en famille et de partager sa passion de la bande dessinée. 

Raphaël Barban (à gauche) avec Robert Crumb / Photo ©Ferraille Production

Et pour en savoir plus, je vous propose une rencontre avec Raphaël Barban, le directeur artistique de Formula Bula. Membre du collectif Ferraille Production, qui regroupe des auteur.trice.s, des plasticiens, des scénographes, il est également journaliste spécialisé dans la bande dessinée pour la presse. Formula Bula, mais aussi Vertigo ou Viñetas con altura, avec sa compagne Marina Corro, Raphaël Barban est à l’origine de plusieurs festivals. 

Après 10 éditions, cette année marque une rupture : nouveau lieu, nouvelles propositions, c’est un nouveau départ ou pas exactement ? 

Raphaël Barban : Cette année, on change de lieu et on augmente la voilure : le lieu qui nous accueille cette année est beaucoup plus grand. Il est couvert, ce qui permet de développer la partie salon avec plus de 40 maisons d’édition.

Aussi, on doit adapter notre programmation à l’espace. Ce n’est pas un nouveau départ, mais plutôt un nouveau cycle, après en avoir bouclé un 1er avec la 10e édition. 

Je parlais de départ puisque vous avez aussi fondé un autre festival —Viñetas con altura de La Paz en Bolivie— avec Marina Corro, quel rôle joue le festival ou le salon dans l’écosystème de la bande dessinée ? 

Raphaël Barban : Ce festival joue un rôle particulier puisque c’est un pays lointain, où il n’y a pas une culture de la bande dessinée, mais plutôt une culture du dessin de presse. 

En l’occurrence, son rôle est fondamental —et a été fondamental— pour permettre la découverte de la bande dessinée auprès du jeune public, des étudiants boliviens en art. Des élèves des beaux-arts, qui se sont ensuite fédérés autour de clubs de fanzines. Aujourd’hui il y a des petites maisons d’édition de bande dessinée en Bolivie et c’est grâce à ce festival qui invitait des auteur.trice.s étrangers reconnus. Des artistes qui venaient échanger, partager leur passion avec des jeunes qui ne connaissaient de la bande dessinée, finalement que les comics et un peu les mangas à l’époque.

Pour répondre pleinement à cette question, ici, en France, le rôle qu’un festival de bande dessinée doit jouer est un peu le même. Sauf que l’on est dans un pays avec une culture de la bande dessinée très marquée.

Et nous, à Formula Bula, notre ambition, notre objectif a toujours été : de faire découvrir ; de stimuler la curiosité du public en proposant des choses qu’on ne voit pas ailleurs. On a pour habitude de dire qu’on peut trouver à Formula Bula ce qu’on ne cherchait pas [rires].

Voilà, c’est ça pour moi un festival de bande dessinée. Il n’y a pas de recette, mais la vision que j’en ai est d’être une loupe : une loupe sur la création contemporaine, sur le patrimoine un peu oublié —mais très important justement dans cette création contemporaine. Les jeunes auteurs aujourd’hui, c’est parce qu’ils ont lu de la bande dessinée quand ils étaient jeunes qu’ils en font. Même si certains font des choses très expérimentales, très méta BD ou que sais-je… ils ont lu des grands classiques.

Notre rôle est d’essayer de raconter cette histoire de la bande dessinée et de montrer comment des familles, qui peuvent sembler totalement opposées (et qui sont souvent cloisonnées dans des espaces très différents dans des grands festivals) restent de la bande dessinée. Elles sont connectées.

Il y a justement des connexions avec d’autres disciplines artistiques, comment définissez-vous la ligne éditoriale d’une édition ? Comment on équilibre le programme ? 

Raphaël Barban : Formula Bula c’est un festival de bande dessinée et plus si affinités.

Ça reste quand même un festival de bande dessinée, c’est le cœur de notre métier. Mais c’est vrai que, depuis la création en 2011, on a toujours aimé proposer au gré de nos envies. Il n’y a pas de quotas ni de pourcentage. C’est en travaillant autour des auteurs. 

Par exemple, il y a quelques années, on avait invité Francis Masse —qui fait partie de ces auteurs un peu oubliés, mais qui ont été très importants à un moment donné— et en lisant l’interview de lui : je vois qu’il était passionné par la physique quantique. Il en parle aussi dans ses bandes dessinées et je me suis dit que ça pourrait être intéressant de rassembler Francis Masse et un physicien. J’ai pensé à Etienne Klein, grand vulgarisateur des sciences, notamment la physique quantique. 

Et il se trouve qu’Etienne Klein avait mentionné un livre de Francis Masse dans un de ses ouvrages. Et ça donne des choses pertinentes. C’est comme ça que les choses viennent, un peu par hasard.

Dessin de Simon Bailly en collaboration avec la graphiste Jeanne Triboul et l’imprimeur Studio Fidèle / ©Simon Bailly/Jeanne Triboul

Je pense aussi à Émile Bravo qu’on avait reçu en rencontre avec le philosophe Tristan Garcia, qui a beaucoup écrit sur l’enfance. On essaye toujours d’aller chercher dans des pratiques intellectuelles ou même les pratiques artistiques des gens qui sont éloignés sur le papier, mais qui, finalement, vont se retrouver sur un sujet. 

C’est une façon intéressante, pour nous, d’entrer dans le travail d’un artiste de bande dessinée. D’y entrer par le biais de la philosophie, des sciences ou même du jardinage —on avait fait une rencontre avec le paysagiste Gilles Clément et le dessinateur Fred Bernard qui dessinait son jardin. 

Donc il n’y pas vraiment d’équilibre. C’est au gré du montage de la programmation dans l’année. On part d’une idée, d’un artiste qu’on a envie d’inviter, et en creusant un peu on se rend compte qu’il est intéressé par tel ou tel ou tel trucs : et les idées surgissent.

Justement les autres années, il y avait des expositions sur le travail des auteurs et cette année j’ai l’impression que ce sont plutôt des expos collectives —à l’image de la grosse exposition Formula Bulla Magazine ? 

©Lale Westvind

Raphaël Barban : Comme je disais tout à l’heure, il y a cette année, l’appréhension d’appréhender ce bel espace : on est sur un plateau de 1000 mètres carrés. Un plateau fermé qui accueille le salon avec les maisons d’édition et, pour la première fois, les expositions. Les autres années, les expositions étaient disséminées dans plusieurs lieux, souvent en intérieur, mais les espaces étaient séparés. Là, on a décidé de tout regrouper. 

Il y a le village des éditeurs et au cœur de ce village on monte une exposition. Et effectivement c’est une expo qu’on a voulu collective, mais elle n’est pas regroupée autour d’une thématique précise : elle est imaginée comme une revue, comme un magazine.

Cela nous permet de rassembler 6 autrices et 2 auteurs, venus de cinq pays différents, dont le boulot aussi est très différent. Alors qu’est-ce qui nous permettrait de les relier, de les rassembler dans une exposition ? Est-ce qu’on ne pourrait pas imaginer Formula Bulla comme un magazine ? 

On s’est amusés à travailler sur un chemin de fer, à l’instar d’une revue ou d’un journal, avec une mise en page, des entretiens et une maquette assez forte qui va rappeler cette notion de magazine. Les illustrations sont comme les pages d’une revue avec un entretien sauf que les illustrations, ce sont des planches originales.

Photos de l’édition 2022 ©T.Mourier

Cette approche de l’exposition nous permet de présenter des choses très différentes. Mais effectivement il y a une thématique qui plane sur toute l’édition du festival : c’est le faire. La fabrication, les dessous, les coulisses d’un livre, les problématiques des auteurs quand ils sont à leur table à dessin… c’est ce qu’on a voulu montrer cette année.

Donc dans cette exposition justement, les auteurs et les autrices parlent de leurs techniques de dessin, de leurs recherches de la chute d’un gag, de leurs façons de travailler, de leurs problématiques, de leurs angoisses, de leur rapport au papier, leur rapport au livre, de leur rapport à l’original.

Et dans le reste de la programmation il y a des ponts qui sont faits avec cette exposition sur le savoir-faire, sur le faire ensemble à travers des ateliers, des rencontres ou des performances. Tout ça, nous semblait totalement pertinent que ça se passe au cœur du salon : on est entourés d’éditeurs qui fabriquent, qui font des livres, qui les proposent à la vente. C’est intéressant ce côté « un peu cuisine » de la bande dessinée. C’est ce qui rassemble cette édition.

Festival, salon, mais également moment d’échange avec les professionnels ou encore ouverture pédagogique aux plus jeunes : comment vous connaissez vos définissez vos publics, pour affiner vos propositions ? 

Raphaël Barban : On a fait des enquêtes de terrain sur le festival, ces dernières années. Ça permet d’avoir un panorama détaillé, précis, de qui vient au festival, comment il a eu l’information. Cela permet de développer nos points faibles et de renforcer nos points forts.

© Anne Laval

En termes de communication ou en termes de programmation pour toucher tous les publics, parce qu’on a vocation à toucher tous les publics. On ne se considère pas du tout comme un festival élitiste ou branché. Notre travail justement est d’aborder la bande dessinée sous toutes ses formes. Ni à la marge, ni mainstream, plutôt au carrefour des gens, des pays et de toutes les expressions de la bande dessinée. 

Donc, oui, on développe durant le festival —mais aussi en amont et toute l’année— ce qu’on appelle des EAC (Éducation Artistique et Culturelle) auprès des publics scolaires. On a un programme d’atelier assez fourni, des partenariats avec les bibliothèques : bien qu’on ne soit plus à la médiathèque Françoise Sagan, on fait encore des choses là bas comme on en fait dans la bibliothèque du cinquième arrondissement. Pour nous, c’est très important d’aller dans ces lieux-là, puisque ce sont des lieux qui sont fréquentés par le jeune public, par tous les publics, et de leur proposer des choses intéressantes, stimulantes.

Cizo signe les affiches, comment sont-elles choisies parmi les propositions de l’artiste ? Comment se décide la tonalité de l’édition vis-à-vis de ce visuel ? 

Raphaël Barban : Cizo est associé au festival depuis sa création. C’est notre artiste associé, il n’est jamais remis en question : c’est lui qui fait l’affiche chaque année.

Il nous envoie un premier jet, très finalisé, en couleur. Ce n’est pas un crobard au crayon, d’ailleurs il ne travaille qu’en numérique. Il nous envoie quelque chose qui est très, très proche de l’affiche finale. Il manque juste les dates, les informations et il peut y avoir des petites choses qui bougent.

Il n’a pas de cahier des charges, et quand bien même il a pu en avoir à un moment donné ou quand on lui soufflait des pistes : il faisait tout l’opposé de ce qu’on lui soufflait. Donc il propose l’affiche et à part une fois où il nous a fait une proposition qui nous paraissait un peu trop raide, un peu trop austère, on ne lui a jamais demandé de la retravailler.

Donc voilà, on la découvre et on est toujours heureux. On les aime toutes, elles sont toutes différentes : il en a fait des narratives avec des sortes de séquences, il y a des codes couleur qui ont tournés sur plusieurs éditions, et cette année il nous propose une affiche avec un personnage. Ce qui est une première pour nous. Un personnage entre le clown et le dragon asiatique indéfinissable.

C’est comme ça qu’on travaille avec lui, on est toujours très surpris et très heureux. Peut-être qu’un jour on sera, lui et nous, lassés de cette aventure, mais pour l’instant, pas du tout. Je pense que c’est stimulant aussi pour lui d’avoir une sorte de carte blanche.

Ces affiches sont parfois un peu difficiles à cerner, mais racontent toujours plein de choses. Ce n’est pas toujours évident d’en parler de façon synthétique et précise.

C’est toujours des contours un peu flous, mais qui représentent assez bien Formula Bula je trouve. Ça peut paraître prétentieux, mais je dirais qu’il faut y aller pour bien voir ce que c’est en fait. 

Parfaite transition avec ma dernière question : quel serait votre conseil pour les festivaliers qui ne connaissent pas encore le festival ?

Raphaël Barban : On a une programmation assez dense cette année, qui ne se résume pas uniquement à cet espace-là. On parlait des bibliothèques du 5e ou du 10e arrondissement, mais il y a aussi Noisy-le-Sec, au Micro-folies

Mais pour quelqu’un qui n’est jamais venu, je dirais que ce serait bien de venir la journée du samedi.

Alors, cette année, on a une journée en plus : on est ouvert du vendredi au dimanche soir. Et le samedi, le village va être ouvert jusqu’à 21 heures, avec en fin de journée à partir de 18h pléthore d’événements. 

Notre « super loto » animé par Franky Baloney et Camille Escoubet où on peut gagner les livres de la sélection du prix Prima Bulla —qui est une sélection en librairie et qui récompensera un ou une lauréat.e. Vous pouvez gagner plein de choses dans un moment festif.

Vous pourrez partager un moment avec les auteurs et autrices, les éditeurs, le public avec les concerts aussi ce soir-là. Avec un auteur strasbourgeois qui s’appelle Zad Kokar —qui fait partie de l’exposition du Formula Bulla Magazine et qui est aussi musicien qui va jouer. Marie Klock, une musicienne, va aussi animer une rencontre et jouer ce soir-là. 

La journée du samedi, c’est une journée pleine et dense, avec beaucoup de choses : des conférences, des ateliers pour tous les publics, pour les enfants, pour les adultes, pour les ados. Avec cette nocturne du salon jusqu’à 21h, puis des concerts jusque tard dans la nuit.

Ou alors en mode chill, le dimanche pour un petit brunch sur place puisqu’on a une cantine pour se restaurer. 

Merci Raphaël pour ces conseils ! J’y serais, comme chaque année (vous pouvez voir un des reportages sur place ici) et n’hésitez pas à nous dire dans les commentaires si vous êtes déjà passés ou si vous allez venir. Ou encore à nous envoyer des photos sur les réseaux !

Le site de Formula Bula
Les infos pratiques


L’affiche est ©CIZO / Ferraille Production
Les photos sont ©Ferraille Production

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