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Critiques
par Baptiste Gilbert - le 26/06/2023
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par Baptiste Gilbert - le 26/06/2023

L’herbe du diable, les graines de l’émancipation

Benjamin Laurent et Claire Martin livrent un récit historique féministe autour de l’avortement et de la place des femmes dans la société, sur fond de chasse aux sorcières dans l’Allemagne du XVIIe siècle.

L’herbe du diable se déroule à Cologne en 1630, alors que la Guerre de 30 ans fait rage dans le Saint Empire Romain Germanique. La ville est en proie à la famine, et le Prince-évêque se donne pour mission d’éradiquer les sorcières, qui sont selon lui responsables de tous les maux. Une chasse à laquelle va être confrontée une sage-femme réputée du nom de Garance.

© Benjamin Laurent / Claire Martin / Jungle

Basée sur des éléments historiques, l’œuvre de Benjamin Laurent et Claire Martin n’a toutefois pas de vocation documentaire : elle s’éloigne de la réalité en créant des personnages et en extrapolant les actions de personnes ayant réellement existé. Les évènements sont toutefois cohérents avec la réalité de l’époque, et les inventions ne servent qu’à souligner ses dérives tragiques. 

Un carnet bonus, en fin d’album, apporte d’ailleurs des éléments de compréhension bienvenus sur le contexte historique, certains éléments centraux du récit (plantes, métiers, …) ainsi que les biographies des figures historiques.

Sages femmes et femmes sages

En se demandant comment l’intolérance et la psychose peuvent s’emparer de toute une ville, voire de tout un pays sous l’impulsion de ses dirigeants politiques ou religieux, le récit tisse évidemment des liens avec notre époque. A commencer par le droit à l’avortement, un droit qui 400 plus tard n’est toujours pas assuré, comme le montre le recul récent de plusieurs États américains sur la question. Plus globalement, les questions liées à la place des femmes dans la société sont abordées d’un bout à l’autre de l’œuvre de Benjamin Laurent et Claire Martin : leur émancipation face à la domination masculine, la peur et la violence que cela inspire à certains hommes. Et surtout, l’entraide, la sororité qui leur permet de s’en sortir, ou au moins d’essayer. 

© Benjamin Laurent / Claire Martin / Jungle

En développant ces thèmes, les auteur.ice.s nous rappellent que les procès en sorcellerie de Cologne ont sans aucun doute des équivalents modernes, et qu’il est fondamental de se souvenir des drames du passé pour ne pas qu’ils se reproduisent. Les événements de 1630 à Cologne pourraient malheureusement se dérouler de nos jours, au sein de certaines nations ultraconservatrices qui maintiennent des lois empêchant les femmes de disposer librement de leur corps.

L’album est construit de manière à ce que l’on suive en parallèle la chasse aux sorcières et le quotidien d’une sage-femme à l’époque, lui apportant densité et dynamisme. Les deux sujets finissant évidemment par se recouper pour mettre en avant l’oppression des femmes de manière générale. Les personnages ne sont pas particulièrement complexes, mais ont le mérite de ne pas être manichéens. Ils gardent ainsi une certaine cohérence avec le contexte dans lequel ils évoluent. Influencés par la religion et par les mœurs de leur époque, mais aussi par les évènements auxquels ils sont confrontés, ils doutent, font face à leurs contradictions, et, pour certains, changent.

Le trait épais et les couleurs pétantes et lumineuses de Claire Martin donnent à l’album un côté dynamique, presque pop, qui tranche avec les thèmes sombres. Elle évite ainsi l’ambiance morne qu’on pourrait imaginer dans une ville sujette à la pauvreté, à la famine et aux exécutions arbitraires. Un moyen, peut-être, de dire que malgré tout, la vie continue, et qu’il faut garder espoir et tenter de se battre pour améliorer le sort des générations futures.

L’herbe du diable est un album maîtrisé qui nous éclaire sur des événements historiques importants, tout en nous rappelant que les problématiques de l’époque ont des échos dans notre monde actuel. Et que les combats, bien que sous différentes formes, restent les mêmes.

L’herbe du diable, Benjamin Laurent et Claire Martin, Jungle.


Illustrations : © Benjamin Laurent / Claire Martin / Jungle

© Benjamin Laurent / Claire Martin / Jungle
© Benjamin Laurent / Claire Martin / Jungle
© Benjamin Laurent / Claire Martin / Jungle
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