Paru en 2022, le projet The Midnight Order avait toutefois débuté dès 2018 avec la série Midnight Tales, elle aussi chapeautée par Mathieu Bablet, et dont 4 volumes sont parus entre 2018 et 2019. Ces 4 albums regroupent des nouvelles, déjà réalisées par des artistes différents, et mettant en scène des personnages que l’on retrouve dans The Midnight Order. Toutefois ne vous y trompez pas : aucun besoin d’avoir lu les premiers pour apprécier le second, The Midnight Order étant conçu comme une one-shot indépendant avec des histoires inédites. Bien sûr, avoir tout lu ne fera que renforcer l’immersion.
Si l’on associe souvent Mathieu Bablet à ses one-shots de science-fiction, ce n’est toutefois pas la première fois qu’il s’attaque à un récit orienté fantasy : en 2013 et 2014, avant même Midnight Tales, il avait déjà réalisé les 2 tomes d’Adrastée, un récit inspiré de la mythologie grecque. L’auteur décrit ces Midnight Tales et Midnight Order comme des projets collectifs et donc récréatifs, qu’il prend plaisir à réaliser entre ses albums de science-fiction, par nature beaucoup plus longs et solitaires.
Hybridation
Projet collectif, The Midnight Order est composé de chapitres tous réalisés par des équipes différentes, Mathieu Bablet étant le seul à chapeauter l’intégralité de l’album. Il s’occupe parfois du dessin et du scénario, mais laisse souvent sa place pour l’un, pour l’autre, ou pour les deux. Les différents chapitres peuvent être pris comme des récits courts indépendants, avec une conclusion plus ou moins satisfaisante, mais prennent tout leur sens grâce à la trame narrative qui se développe à travers tout l’album.
La trame globale est prenante d’un bout à l’autre de l’album, les personnages attachants et l’univers développé plutôt original. On regrette simplement que la conclusion n’atteigne jamais l’apothéose attendue, et que le propos final ne manque un peu de profondeur. Mais ne boudons pas notre plaisir : The Midnight Order nous offre un excellent moment de lecture.
En plus des chapitres et interludes en bande dessinée, l’ouvrage est ponctué d’ajouts qui sortent du champ de la BD : plusieurs articles viennent ainsi approfondir des thèmes abordés succinctement dans le cadre du récit (l’histoire et les croyances des aborigènes d’Australie, l’histoire de la chasse aux sorcières, …). L’intégration de ces articles dans l’ouvrage casse légèrement l’immersion en nous ramenant à notre réalité, mais pris à part, ils sont passionnants.
Des extraits de dossiers, pour le coup complètement intégrés à l’histoire, viennent enrichir l’univers en fournissant des détails sur certaines créatures ou rituels. L’un des chapitres prend même la forme d’une nouvelle, totalement intégrée au récit global, et lui permettant de s’étaler sur de nombreuses années (là où les autres chapitres – en BD – se déroulent plutôt sur une courte période de temps). Si l’album est majoritairement composé de bande dessinée, il n’hésite donc pas à intégrer d’autres formes de narration, lui donnant un côté un peu fourre tout, mais aussi foisonnant de détails et d’inventivité.
Sororité
Les styles visuels des différents chapitres sont assez variés, et les goûts étant ce qu’ils sont, certains plairont moins que d’autres en fonction des lecteurs. Les changements de styles sont toutefois plutôt bien gérés, et adaptés aux passages qu’ils illustrent. Le style de Mathieu Bablet, qui illustre lui-même les interludes et certains chapitres, lie le tout et lui apporte une cohérence graphique.
Surtout, ces changements permettent une vraie diversité, les artistes n’ayant pas été choisis pour faire du dessin aseptisé ou pour imiter le trait de Mathieu Bablet : ils.elles ont tous.te.s un style bien affirmé et l’album qui est résulte est d’une grande richesse visuelle.
Enfin, quel plaisir de découvrir cet univers composé en majorité de personnages féminins ! Des femmes toutes très différentes, fortes ou faibles, en maîtrise ou instables, bienveillantes ou malveillantes, paresseuses ou hyperactives, drôles ou mornes, manipulatrices ou naïves, … Bref, des êtres humains dans toute leur diversité, là où les personnages féminins dans la fiction se résument encore souvent (de moins en moins, heureusement) aux sempiternels clichés de la demoiselle en détresse, de la femme fatale ou de la meuf badass sur-virilisée. Et des personnages qui, au-delà de leurs différences, savent aussi s’entraider face aux oppressions, en fournissant un bel exemple de sororité.
Une volonté assumée par Mathieu Bablet de mettre en avant des personnages féminins forts et diversifiés, mais aussi de laisser la place à des autrices, qui sont “mieux placées pour avoir un oeil féministe sur tel ou tel sujet« , comme il nous l’expliquait déjà ici en 2018, à l’époque de Midnight Tales.
The Midnight Order est un album à part, une anthologie d’une grande richesse visuelle et narrative. Une œuvre dont la forme hybride a des limites et qui aurait pu pousser plus loin en termes de propos, mais qui vaut le coup ne serait-ce que pour son originalité, et offre un excellent moment de lecture.
The Midnight order de Mathieu Bablet, Daphné Collignon , Claire Fauvel , Thomas Rouzière , Allanva , Quentin Rigaud , Titouan Beaulin , Prince Rours , Sumi , Isabelle Bauthian , Claire Barbe, Rue de Sèvres / Label 619
© The Midnight order / Mathieu Bablet / 619 Label
