Les sagas de Fantasy, ça ne manque pas du côté du franco-belge. A ce titre, lorsque Delcourt nous avait présenté Les Maîtres Inquisiteurs à l'occasion du Festival d'Angoulême, nous étions sans doute parmi les plus prudents. Mais le premier tome de cette série, intitulé Obeyron, nous prouve une nouvelle fois qu'il est bon d'avoir tort.
Non pas que nous nous soyons trompés sur toute la ligne. On commencera donc par évoquer les défauts de ce premier album. Le plus criant : son imaginaire, assez peu inspiré, au moins visuellement. Si le travail de Pierre-Denis Goux est dans l'ensemble plutôt solide, les tenues, architectures et paysages proposés n'ont rien de très singulier, et se limitent même parfois à de simples plagiats du Seigneur des Anneaux ou de Game of Thrones. Les références sont saines, mais le résultat contre-productif : notre imaginaire sera emprisonné dans ces images fortes, qu'on ne peut dissocier des deux grandes sagas. Sorti de l'univers des Maîtres Inquisiteurs par trop de proximité avec l'esthétique de grands classiques, le lecteur aura ainsi du mal à prendre ses marques, d'autant plus que les dessins de Pierre-Denis Goux ne seront pas toujours réalisés avec la même application, notamment à la fin de cette aventure, conçue pour faire le lien avec les tomes suivants.
Mais pour en revenir à ce que ce premier tome fait de mieux, sachez que vous plongerez, malgré une ambiance visuelle banale, dans un univers plutôt chouette. Derrière les images un rien communes, on trouvera en effet une géo-politique intriguante, faites d'empires, de mages et de leur bras armé, les Maîtres Inquisiteurs, des sortes de Jedi chargés d'enquêter sur les tensions et les crimes de leur monde. La représentation faite des Elfes, et l'utilisation des Nains, des Géants et autres bestioles typiques de la Fantasy est d'ailleurs aussi subtile que prometteuse. Et c'est dans cette atmosphère mélangeant les différentes approches possibles sur le genre que nous découvrons Obeyron : premier Inquisiteur couvert par cette série prévue en six albums.
Droit à en être terrifiant, Obeyron est sans doute le plus dévoué de ses pairs, mais aussi le plus violent. Il emprisonne, tue, émascule et démembre selon les crimes dont il est témoin, et ne fait vraiment pas dans la dentelle. Comme tous les Maîtres Inquisiteurs, c'est un mage guerrier (autre archétype récurrent de la Fantasy) qui est doté d'un pouvoir unique, que nous dissimulerons pour préserver quelques rebondissements. Mais plus qu'un simple combattant dopé aux pouvoirs magiques, Obeyron est un personnage charismatique, qui va chercher à se venger dans une intrigue qui fait une utilisation habile des flashbacks et des capacités de son protagoniste, pour une lecture plus rafraîchissante que nous le pensions.
Olivier Peru livre ici un scénario plutôt classique, mais terriblement accrocheur, la bonne vieille revanche du héros revenu d'entre les morts, qui ne reculera devant rien ni personne pour accomplir sa quête. Soyons clairs, des personnages comme Obeyron, les fans de Fantasy en connaissent des tas, mais notre Maître Inquisiteur sera pour eux une figure immédiatement reconnaissable, et terriblement attachante. Le genre de héros simples à appréhender et à apprécier. Surtout quand ils sont plus complexes et développés que prévu, et ça sera le cas de ce pauvre Obeyron, tourmenté par la mort de ses compagnons d'armes et l'étendue de ses pouvoirs.
Du reste, l'album, long d'une cinquantaine de pages, se révèle plutôt bavard, exceptionnellement, dans un sens positif. Les planches sont parfois très chargées en phylactères, mais les dialogues sont assez fluides et pertinents pour faire avancer l'histoire et nous en apprendre plus sur l'univers des Maîtres Inquisiteurs. Ce premier tome est donc loquace, mais pas gratuitement : il renforce les relations entre les personnages et établit de nombreux enjeux, pour le personnage d'Obeyron comme pour le futur de la série, qu'on espère aussi solide mais surtout plus original que ce premier album.
Vous l'aurez compris, ce premier tome remplit plutôt bien ses objectifs, introduisant avec un certain talent un univers de Fantasy plus efficace qu'il n'est original. A défaut, le récit est prenant, le personnage principal attachant, et quelques trouvailles nous obligeront à jeter un œil aux futurs tomes des Maîtres Inquisiteurs, qui s'intéresseront à quatre nouveaux héros avant de les regrouper dans un bon gros crossover des familles. Reste à savoir si cette série à plusieurs mains gagnera en qualité au cours du processus.