Si son Long John Silver, écrit par Xavier Dorison, puisait dans L’Île au Trésor de Robert Louis Stevenson pour réécrire la fin du pirate Long John Silver, c’est vers un autre maître de la littérature populaire que Mathieu Lauffray est allé piocher ses inspirations. L’univers et l’intrigue de Raven est librement inspirée de la nouvelle Vulméa, le pirate noir de Robert E. Howard et qui se situe dans l’imaginaire de Conan, son personnage fétiche.
Le dessinateur en gardera le ton sombre & l’atmosphère étouffante de ces îles qui semblent maudites, il troque la grande aventure du récit de pirate contre celle de la survie en territoire hostile de la dark fantasy. Même les personnages auront graphiquement un côté un peu plus sauvage et brute. Si dans Raven, on trouve les classiques du genre : chasse au trésor, trahison, abordages, îles secrètes… on trouve aussi des intrigues politiques, des tribus cannibales et quelques malédictions.
En quête de liberté ?
Un oiseau de mauvaise augure… ce personnage de Raven est un marin qui aurait pu s’appeler malchance tant il attire les ennuis. Mais plus qu’une malédiction, il a une faculté rare pour se mettre tout le monde à dos et s’en tire là où d’autres n’ont pas cette chance. Raven, c’est un peu le négatif de Thorgal ou de Rahan : si, comme eux, c’est un habile guerrier, négociateur et malin qui semble pouvoir se sortir de toutes les situations, il apparaît au contraire égoïste, calculateur et malhonnête. Même si, derrière ce portrait en creux du héros, brille une étincelle d’humanité. Si j’évoque Thorgal c’est aussi parce que le personnage de Darksee rappelle celui de Kriss de Valnor, et leur couple infernal, quand Thorgal -sans mémoire- se faisait appeler Shaïgan-sans-merci.
Dans Raven, Mathieu Lauffray creuse son mythe du héros solitaire, cherche les failles dans la liberté ultime de la figure du pirate soumise à aucune autorité qui se confronte à ses propres limites. Suivant ses désirs, ne reculant pas devant la violence ou la méchanceté, cette indépendance semble avoir un prix.
En miroir, Darksee se bat pour son émancipation, avec férocité, pour conquérir de haute lutte ce que d’autres ont d’office et en fait une capitaine redoutable. Deux héros profondément solitaires qui vont devoir cohabiter, leur rencontre sera celle de deux aimants qui ne se présentent pas la bonne face.
Huis clos maritime
Après un premier volume qui posait les bases de l’univers et des personnages, ce deuxième volume (sur 3) installe son intrigue sur une île, un lieu symbolique, qui est au cœur de cette série. En place des océans immenses, on s’enfonce dans l’île où les décors changent comme une scène de théâtre, chaque personnage a son acte tragique en attendant le grand final avec la mer pour toile de fond.
Isolée, habitée, volcanique et pleine de trésors, ce bout de terre perdu dans l’océan est à la fois paradis et enfer. Est-ce que l’or a plus de prix que la vie ? Assurément pour les brigands qui débarquent sur cette île du Morne au Diable, poussés par Darksee qui compte bien faire le coup de sa carrière. Sur place, un Raven sorti de l’enfer vert les attend déterminé à faire profiter de sa prétendue malchance à tout le monde.
Il y a de grandes chances que l’histoire soit dictée par les envies graphiques du dessinateur tant on sent le plaisir de ces paysages exotiques et merveilleux. Pas mal de doubles pages complétées par un découpage dynamique fait d’inserts et de cases en cascades pour donner du rythme dans ces décors intenses. Mathieu Lauffray est un dessinateur de grand talent qui s’applique à nous proposer des planches très immersives, avec cette approche très picturale et hors-format qui le distingue dans le registre de l’aventure.
Très curieux de voir si, après le 3e volet annoncé de cette trilogie, les personnages ne reprendront pas du service ; car ce casse du siècle version boucaniers est une bonne introduction à l’exploration de la psyché de deux personnages intrigants dont on aimerait creuser un peu plus le passé.
Raven de Mathieu Lauffray, Dargaud
Sortie du T2 le 8 octobre 2021
Illustrations © Mathieu Lauffray / Dargaud
