Les carnets de voyages sont choses communes dans la littérature, et certains grands auteurs, comme Victor Hugo et ses Escapades Amoureuses dans l'ouest de la France ou le bien connu Américain à Paris d'Edward Hopper, ont sû donner une certaine noblesse à ce genre bien particulier. En BD, ce dernier à s'est également développé, puisque nombreux sont les artistes qui, voyageant pour des projets ou des raisons personnelles, profitent de l'occasion pour croquer l'ambiance d'une citée. C'est exactement l'exercice auquel s'est prêté Emmanuel Lemaire avec Rotterdam - Un Séjour à Fleur d'Eeau.

Jeune auteur de bande-dessinée, Emmanuel Lemaire a choisi de rejoindre sa copine, partie vivre par nécessité économique à Rotterdam, pour réaliser une mission dans une raffinerie. N'ayant pas besoin d'aller au bureau, et ne devant que rendre ses pages à temps par mail, il va ainsi pouvoir partir à la découverte de la ville, de sa culture et de ses habitants et en profiter pour dessiner et témoigner des paysages et des formes de la cité hollandaise. D'entrée, l'aspect décousu et authentique de l'album est posé et fait plonger - en quelques pages - le lecteur dans l'architecture de la ville et ses particularités. Emmanuel Lemaire semble fasciné par cette organisation, ses constructions typiques, et va réussir à en retranscrire la dimension moderne et presque futuriste de la ville.
Passées ses premières pages qui déroulent très vite les raisons de la présence du couple à Rotterdam, le dessinateur va essayer d'introduire une galerie de personnages attachants, intéressants, et qui annonce une sorte de fil rouge narratif qui traversera l'album. Une bonne idée, qui ne sera finalement que très peu exploitée pour laisser un peu plus de place aux divagations du signataire de ces pages. Ils ne seront finalement qu'une représentation de la diversité incroyable dont fait preuve le pays. Cette scène de présentations révèle aussi un point intéressant de la construction de l'album : le point de vue proposé est avant tout personnel et biaisé.

Si cela pourrait apparaître comme un défaut, il se révèle être la force de l'œuvre : l'auteur est un temps narrateur, puis personnage, et parfois, au sein de quelques planches, les deux. La découverte de la ville et de sa culture en devient d'autant plus intéressante et ludique, malgré l'impression de lire quelque chose de dessiné à l'instinct, qui persiste tout le long de cette centaine de pages. Tout ce qui passe par la tête de son auteur, des plus petites différences de langage ou d'habitudes (les hollandais travaillent le jour de la fête du travail, par exemple) jusqu'aux réflexions plus globales sur l'évolution du monde, Emmanuel Lemaire ne se prive d'aucun sujet et se laisse porter par son quotidien et ce qui l'inspire.
Une grosse source d'inspiration semble être l'architecture hollandaise, cette construction d'îles et ses bâtiments aux lignes horizontales sans aucune côtes ou pentes. La moitié de l'ouvrage s'intéresse à ce sujet, avec des dessins proches de croquis d'architectes ou du travail d'Eddie Campbell, avec un trait noir, fin et précis. Et par son style, Lemaire parvient par moment à capturer totalement l'ambiance d'une pièce et le caractère d'un personnage en quelques dessins. Parfois, il abandonne même totalement la narration classique et l'incontournable gaufrier, pour une narration plus libre, fluide et instinctive. En cela, le carnet de voyage devient un magnifique cahier de croquis, qui se lit également sans suivre les idées ou histoires développées derrière. On regrettera juste un manque d'expérimentations graphiques, par moments - le style s'y prêtait pourtant - et une utilisation sobre des couleurs aurait également pu faire ressortir certaines particularités de la ville.

Emmanuel Lemaire partage son expérience hollandaise avec ce carnet de voyage personnel, prenant et dépaysant. L'auteur/dessinateur possède un talent fou pour saisir l'essence d'une architecture ou d'une pièce et semble autant s'amuser en découvrant Rotterdam qu'en croquant ses particularités. Un Séjour à Fleur d'Eau séduisant, qui aurait peut-être gagner en linéarité par moments, mais qui demeure en l'état une belle petite BD, dans laquelle les rues de Rotter' n'ont jamais été aussi attirantes.








