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par Luxia - le 10/11/2013
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par Luxia - le 10/11/2013

[VF] La Stratégie Ender - O.S.Card

Pour quelqu’un comme moi qui lit de la SF depuis... qu’elle sait lire (ou presque), ne jamais avoir ouvert un des livres du Cycle d’Ender, c’est quand même assez... impardonnable. Et je ne pouvais décidément (ni décemment) pas aller voir l’adaptation cinéma sans avoir lu l’œuvre originale avant, je ne fonctionne pas dans ce sens.

Donc, aussitôt pensé, aussitôt réparé, j’ai entamé La Stratégie Ender dans le train. Et soyons franche, je n’ai pas réussi à le lâcher tant que je ne l’ai pas eu fini. (D’ailleurs, j’ai failli louper ma gare.) Voilà ce que j’en ai pensé... et ma première critique par la même occasion.

 

Œuvre

Titre : La Stratégie Ender (Ender's Game)

Cycle : Le Cycle d’Ender (Ender's Game, ou Ender Saga) - Tome 1 (mais peut très bien se lire comme un volume indépendant)

Auteur : Orson Scott Card

Première publication : 1985

 

Synopsis personnel

Terre, quelque part dans le futur.

L’humanité craint le retour des Doryphores, une race extraterrestre insectoïde et communautaire qui a déjà tenté par deux fois de l’envahir et de l’exterminer. Supérieurs en nombres, en armement, en technologie... les Doryphores se sont avérés être des ennemis redoutables.

Pour se préparer à la menace, la Force Internationale (F.I.) forme depuis plusieurs dizaines d’années les enfants les plus prometteurs de leur génération, dans l’espoir d’en faire leur arme ultime. Ender – de son vrai nom Andrew Wiggin – est l’un de ces enfants surdoués, "commandé" à sa famille pour être le sauveur de l’humanité, ses deux ainés ayant tous deux été extrêmement prometteurs mais le premier trop violent et la seconde trop douce pour être celui qui sauverait l’humanité.

À l’âge de 5 ans, le colonel Graff vient le chercher, pour l’envoyer à l’École de Guerre, institution orbitale qui forme les enfants au commandement militaire (combat en apesanteur, tactique, stratégie, mathématique, physique...). Pour Ender, c’est le début d’une course à la suprématie, où il doit être le meilleur pour être à l’abri, et où les adultes ne cesseront de lui opposer des défis de plus en plus durs pour le forcer, encore et encore, à dépasser ses limites afin qu’il devienne celui qu’il devra être pour sauver la Terre.

 

Un extrait pour se mettre dans le bain ?

Il entendit la porte s’ouvrir doucement, puis se refermer. Il comprit immédiatement que c’étaient ses instructions pour une bataille. Il ouvrit les yeux, s’attendant à trouver le noir du début de la matinée, avant 0600. Mais la lumière était allumée. Il était nu et, lorsqu’il bougea, il s’aperçut que son lit était trempé. Ses yeux étaient gonflés et douloureux, parce qu’il avait pleuré. Il regarda la montre de son bureau. 1820, indiquait-elle. C’est le même jour. J’ai déjà eu une bataille aujourd’hui, j’ai eu deux batailles aujourd’hui… Ces salauds savent ce que j’ai enduré et ils me font cela !

WILLIAM BEE, ARMÉE DU GRIFFON,

TALO MOMOE, ARMÉE DU TIGRE,

1900

Il s’assit sur le bord du lit. Le morceau de papier tremblait entre ses doigts. Je ne peux pas, se dit-il. Puis, à voix haute :

— Je ne peux pas.

Il se leva, péniblement, et chercha sa combinaison de combat. Puis il se souvint : il l’avait mise dans le nettoyeur pendant qu’il prenait sa douche.

Le morceau de papier à la main, il sortit de sa chambre. Le dîner était déjà passé et il y avait quelques élèves dans le couloir, mais personne ne lui parla, les enfants se contentant de le regarder, peut-être à cause de la stupéfaction causée par ce qui s’était passé dans la salle des douches, à midi, peut-être à cause de l’expression terrifiante, impressionnante, de son visage. Presque tous les garçons étaient au dortoir.

— Salut, Ender. Y a entraînement ce soir ?

Ender donna le morceau de papier à Hot Soup.

— Quels fils de pute ! fit-il. Deux en même temps ?

— Deux armées ! cria Crazy Tom.

— Ils vont se bousculer, estima Bean.

— Il faut que je me lave, dit Ender. Faites-les se préparer, rassemblez-les, je vous rejoindrai à la porte.

 

Impression générale

C’est à dire, les impressions plus ou moins immédiates que j’ai pendant ma lecture, ou lorsque je referme le livre après sa dernière page, sans chercher à rentrer dans l’analyse.

Et ici, la plus prépondérante était - est toujours - une forme de malaise bien ancré. Et la destruction des dernières vagues pensées que je pouvais avoir sur l’innocence (ou pas) des enfants, aussi...

Remettons dans le contexte : La Stratégie Ender ne relate rien d’autre que... la transformation pure et simple d’un enfant (aussi surdoué soit-il, Ender n’a que cinq ans au début du livre et douze à la fin) en arme de guerre, l’effacement de sa psyché originelle et sa réécriture en une machine à réfléchir et agir et détruire. Et le fait que l’histoire soit racontée du point de vue d’Ender, Ender qui sombre dans l’épuisement et la dépression, qui se hait de plus en plus à mesure qu’avance son "éducation", ne fait que renforcer ce sentiment de malaise. Plus clairement, j’ai passé ma lecture à me demander : Mais comment peuvent-ils faire cela à un enfant ? Est-ce que l’enjeu en vaut vraiment la peine ? Est-ce que quelque chose pourrait jamais en vouloir la peine ?

 

Ce que j’ai aimé

La description mentale des personnages, Ender en tête. La Stratégie Ender reposer principalement sur son évolution, et fait la part belle à la psychologie de groupe ou à la psychologie enfantine, à la hiérarchie, à la relation au jeu, et le rendu final est... dérangeant, comme vu plus haut. Ainsi, la relation d’Ender avec ses frères et sœurs est fondatrice pour ce qu’il deviendra (ne pas devenir comme son frère, jamais, et garder l’amour et l’approbation de sa sœur). De même, j’ai beaucoup apprécié la description des interactions avec les enfants de l’École (on peut à peine parler de relation, tant Ender se trouve isolé), notamment avec Alaï et Bean, merveilleux seconds. Et si une saga a été consacrée à Bean (et se trouve de ce fait sur ma pile de lecture), j’aurai réellement apprécié de mieux connaitre Alaï...

Les combats en apesanteur ! Ou plutôt, cette explication (dont je ne suis absolument pas armé pour juger la véracité ou pas) sur la manière de se repérer en apesanteur, sur le fait que justement il n’y a pas de repères, pas de haut, pas de bas... si ce n’est la direction de l’ennemi. J’avoue que sur le coup, lors de la première explication d'Ender, je me suis trouvé très bête. Ah mais oui, mais c’est bien sûr !

Les débuts de chapitres, qui présentent les points de vue des adultes, des militaires en charge d’Ender et de son entraînement, et amènent de précieuses indications sur ce qu’est la situation réelle à l’extérieur de l’École...

Les quelques chapitres centrés sur Peter et Valentine, les frères et sœurs d’Ender, qui apportent un éclairage différent sur ce que peut être la FI... ou sur ce qu’elle sera si l’humanité est définitivement sauvée de la menace des Doryphores : une armée planétaire ? Une armée privée à l’usage de l’Amérique ? À l’usage de celui qui pourra la diriger ? Si les adultes amènent le point de vue militaire, les deux adolescents apportent un éclairage plus politique ou sociétal qui sera loin d’être anodin...

La multiplication des axes de lectures possibles. Il y en a trop pour les citer, et je pense que la majeure partie dépendra de la maturité et de la sensibilité des lecteurs. J’y reviens brièvement dans la conclusion.

 

Ce que je n’ai pas (ou moins) aimé

... Attendez, je cherche.

Bon, en fait, il y a bien une chose. La fin trop rapide, mais c’est difficile de développer sans spoiler l’intégralité du livre. Mais... le changement de rythme est trop rapide, trop brutal, on perd cet intérêt sur les pensées d’Ender, à l’exception d’un bref passage, pour revenir à des intérêts plus généraux qui s’ils sont loin d’être inintéressants ou anodin, n’ont pas pour moi la même résonnance que ne l’avait les neuf premiers dixièmes du récit. Bref, je n’ai pas été passionnée par la fin.

 

Donc, au final, quel verdict ?

La Stratégie Ender est un livre dérangeant, sans doute parce qu’il s’attaque directement à l’enfance et à la notion d’innocence qu’on veut actuellement y lier, et qui se trouve ici battue en brèche. Les enfants de l’École ne sont plus des enfants, ce sont des Soldats, une âme de soldat, de tueur, dans un corps d’enfant, et cette dichotomie poursuit le lecteur tout au long de la lecture. Et comme Ender, on se surprend à parfois pousser un soupir de soulagement, lorsque l’un d’eux s’avère être encore "un être humain" derrière le soldat. (Alaï, Alaï, je ne sais pas pourquoi, mais tu es devenu mon enfant-soldat préféré).

Mais... il est indubitablement à lire. Ne serait-ce que parce qu’il fait réfléchir, et qu’il fait réfléchir sur des choses différentes suivant l’âge et la maturité du lecteur. Parcours initiatique pour les plus jeunes, réflexion sur l’aspect militariste (peut-on sacrifier un groupe pour le bien commun ? pourquoi ou comment peut-on choisir d’anéantir une espèce ?) ou politique (la société présentée n’a pas grand-chose d’une démocratie, manipulation des masses, utilisation des armées à des fins nationalistes) pour les plus âgés... Chacun peut y trouver son compte, et ce qui fait à mon sens la force des grandes œuvres de SF.

Donc oui, trois fois oui, La Stratégie Ender fait partie des grandes œuvres du genre, et mérite largement que l’on s’y attarde.

 

Mais encore ?

Vu qu’il faut bien parler des choses qui fâchent, parlons-en rapidement histoire d’évacuer le sujet.

On peut penser ce qu’on veut d’Orson Scott Card et de ses engagements politiques/religieux/militants (mormon, homophobe notoire, etc). Personnellement, ce n’est pas une personne avec qui je partage beaucoup de points de points communs. Et j’admets que la réputation de l’auteur m’a longtemps fait hésiter à lire ses écrits, par crainte d’y retrouver certains de ces aspects.

Mais honnêtement ? Je n’aurai pas dû attendre aussi longtemps. Que ce soit dans ce livre ou dans Une Planète nommée Trahison, le seul autre livre de Card que j’ai lu à ce jour, aucun de ces thèmes ne m’a semblé particulièrement mis en avant (ou alors je suis vraiment aveugle, ce qui est aussi plausible). Plutôt à l’opposé pour Trahison, d’ailleurs, je n’aurais pas été au courant des engagements de l’auteur, je n’aurai jamais pu les deviner.

Card est un grand auteur, assez versé dans la psychologie, et de nombreux romans sont considérés comme des monuments. Tant que ses positions personnelles ne se ressentent pas trop dans ses œuvres, je continuerais à le lire, et à rattraper un retard que je n’aurai pas dû prendre en premier lieu.

Après tout, on lit une œuvre pour elle-même, pas pour son auteur... Pour moi du moins ! :p

 

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