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Édito
par Thomas Mourier - le 23/04/2022
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par Thomas Mourier - le 23/04/2022

Fêtons la victoire de l’absurde : les 5 albums qui passent au crash-test de l’humour tout terrain

L’humour en bande dessinée est un registre délicat, il est à la fois le plus universel et le plus personnel. L’album le plus facile à lire en même temps que le plus complexe à conseiller, car toutes les formes d’humour ne se valent pas selon les individus.

Apprécier l’absurde ou le nonsens par exemple demande une culture particulière et au contraire un dessin de presse arrive souvent à toucher un public plus vaste même non lecteur, malgré ses références implicites et les mécaniques d’humour assez sophistiquées à l’œuvre. 

Si on prend l’analogie culinaire, chacun ses goûts. Qu’ils soient développés au fil des expérimentations ou des voyages ou déterminés par notre milieu d’origine : nous ne sommes peut-être pas égaux au début pour apprécier les saveurs, heureusement le palais s’éduque, les goûts changent et nos appétits évoluent au fil du temps & au hasard des bonnes rencontres. 

En voici 5 pour goûter à plusieurs recettes, piquantes et surprenantes : 
🍱 Le mode d’emploi de tout de Yacine Belhousse & Ben Renaut, Delcourt, Coll. Pataquès
🌶 Un homme d’intérieur de Pochep, Exemplaire  
🍿 Dessins d’humeur de Johan de Moor, Casterman
🍖 Au-dessus l’odyssée de Jason, Atrabile
🧀 Les praticiens de l’infernal T3 de Pierre La Police, Cornelius

Le mode d’emploi de tout de Yacine Belhousse & Ben Renaut, Delcourt, Coll. Pataquès

Véritable pièce d’orfèvrerie quant aux mécaniques de l’humour et de la connerie, ce livre inclassable reprend les codes d’un manuel technique pour nous embarquer dans un comique de répétition subtile qui installe ses personnages pour nous faire regretter que le livre soit trop court. 

On a tous, ou presque, acheté des meubles en kit avec leurs modes d’emploi où un tas de pictogrammes se superposent à des cases où des silhouettes illustrent les actions à effectuer, les positions de montage à trouver ou les situations à éviter. Des personnages souvent ridicules sur certains mouvements trop évidents et d’autres vraiment pas assez précis, pour des étapes compliquées, idem pour ces pictos aussi complexes que le Code de la route où il faut sans cesse revenir au mode d’emploi du mode d’emploi : et c’est sur cette base austère que s’amusent joyeusement Yacine Belhousse & Ben Renaut en proposant des situations loufoques, des décalages réussis et des runnings gags géniaux. Le tout porté par un dessin à la hauteur de la situation, assez froid pour passer pour un manuel, mais avec quelques pointes très personnelles en particulier dans les expressions (ou non-expressions) très bien trouvées. 

On trouve un mode d’emploi pour tout : les toilettes, des escaliers ou même son foie, l’art ou une balle de 9mm et puis le respect pour sa culture (quand on est un Yakuza) ou la prison (quand on est le gang des vipères sauvages). Chaque planche est un gaufrier de 6 cases où le monde d’emploi présente des mises en situation avec un attirail de picto qui viennent sous-titrer ou souligner le gag. L’absurde est partout, et s’il faut quelques pages pour apprivoiser le livre, on est vite conquis par l’esprit couillon et les runnings gags qui s’enchaînent, où les Yakuzas font irruption partout, les détenus, le tigre… Pas mal de clins d’œil à la pop culture (et à l’une des meilleures émissions de YouTube, L’Histoire racontée par des Chaussettes du même Yacine avec Dedo) bref c’est ultra-drôle, référencé et 1000e degré. 

Après la lecture de ce livre, vous allez vous demander pourquoi vous ne l’aviez pas lu avant, pourquoi il n’existe pas un autre livre comme ça, et comment le rédacteur de cette chronique va faire pour aller travailler alors qu’il pourrait en relire certaines encore une fois…

Un homme d’intérieur de Pochep, Exemplaire  

On parlait juste au-dessus de références à la pop culture, et cela tombe bien Pochep est passé maître dans l’art de mettre en scène les clins d’œil à la bande dessinée dans son propre univers. Et c’est l’un des sujets de cet album, Un homme d’intérieur qui est un véritable questionnaire de Proust en bande dessinée (même si on préfère Duras dit-il) où le dessinateur revient sur son parcours, son rapport à la bande dessinée et ses obsessions. 

Ici les muses de l’humour convoquées sont celles de l’autodérision et de l’humour méta. L’auteur s’amuse avec les formes : gags, histoires courtes, parodies, pastiches, illustrations, dialogues avec le lecteur… Impossible de ne pas sourire devant les poupées « Amazing French Writers », de ne pas ricaner devant les caricatures des dessinateurs de son atelier (que vous reconnaitrez presque tous), de se marrer devant les aventures de Cuticula, princesse rebelle & son amour des figurines, sur les sessions de dessins au rythme de K.Maro ou des séries de badminton entre un Pierre Niney manga et Dragon Ball. 

Bon, je ne vais pas tout vous raconter non plus, achetez le bouquin ! D’autant plus que ce livre est proposé chez Exemplaire, la maison d’édition fondée par Lisa Mandel qui propose aux auteurs d’être leurs propres éditeurs avec des accompagnements (éditoriaux ou techniques) en options en plus d’une campagne de crowdfunding pour le financement. Ce livre est l’un des derniers sortis et d’autres sont en cours de financement si vous voulez jeter un œil

Si vous suiviez depuis Pochep Vieille Peau, Dress Code et New York 1979 où son style s’est vraiment affirmé, avec une approche graphique pleine d’inventions, où les caricatures côtoient les dessins plus léchés, dans un découpage assez libre.  Avec Un homme d’intérieur, il confirme son gros talent pour ce mélange d’humour & d’intime mêlé à une collection de références & d’incursions pop bien dosées. 

Dessins d’humeur de Johan de Moor, Casterman  

Dessinateur de presse un « métier disparu » au même titre que « rémouleur ambulant » ou « vannier » selon Johan de Moor en introduction de ce livre… Il faut dire que certains dessinateurs de bande dessinée ont aussi un talent rare pour le dessin d’humour — ou le dessin d’humeur ici — et nous proposent un regard neuf sur le quotidien. Que ce soit cette campagne présidentielle sans filtre ou la manière de présenter les infos dans un flux continu, la figure de dessinateur de presse n’est pas un luxe pour avoir un temps suspendu dans un monde où tout va très vite. Un angle différent ou une respiration. 

Une respiration, c’est vraiment le mot pour décrire ces dessins d’humour, détournements ou courtes bandes dessinées qui composent ce gros livre. Il n’y a pas vraiment de thèmes si ce n’est une forte envie de parler du présent en convoquant des imaginaires du passé, à la manière d’un peintre qui travaille ses humanités pour nous parler de notre époque avec la bonne distance. Un dessin proche de la ligne claire, qui va chercher des influences dans le cartoon ou les affichistes.

On retrouve des dessins politiques, des gags à charge contre la société de consommation ou les médias, des traits d’esprit plus philosophiques sur l’époque. Des détournements de photos et des collages, et un recours presque systématique aux références BD ou aux artistes. Les dessins de cette sélection 2022 couvrent plusieurs années, vont des années Trump à la crise du COVID en passant par l’attentat à Charlie Hebdo et sont ponctués par l’omniprésence des réseaux sociaux.

Un album assez atypique sur les tables des librairies, à lire pour découvrir un humour assez fin et à l’épreuve des modes. 

Au-dessus l’odyssée de Jason, Atrabile

Après son expérience de marcheur vers Compostelle, Jason revient à l’humour absurde et référencé dans un gros livre qui compile 17 histoires réalisées ces dernières années en plein confinement. Des nouvelles très inspirées par la littérature et la pop culture où le dessinateur s’amuse à glisser autant de références qu’il y a de cases, pas sûr de toutes les découvrir même après plusieurs lectures. 

Si comme moi, vous étiez déjà fan du style animalier de Jason et de ses noirs & blancs vous allez découvrir un dessinateur qui s’amuse à dessiner le personnage de Crumb, Marge des Simpsons ou Calvin sans Hobbes… dans une pièce aux dialogues & mises en scène dignes d’un Beckett. Vous allez découvrir des histoires en couleurs façon Sin City, des métamorphoses de Van Gogh, David Bowie, Athos ou Spoc dans leurs formes animales. 

Le dessin et le texte aussi, Au-dessus l’odyssée est un album hommage à la littérature, plein de références avouées à Dostoïevski, Perec, Ionesco, Beckett sans oublier les publications d’ E.C comics et les pulps SF. Jason réalise un album ludique où ces références prennent vie, vous y retrouverez aussi des jeux littéraires omniprésents, visibles ou non  : textes manquants dans un hommage à Cortazar et Perec (dans Perec, détective privé), échanges de personnages (dans femme, homme, oiseau ), ou encore Crime et châtiment résumé façon webdocumentaire…

Amoureux des livres, d’humour absurde ou d’expériences littéraires tentez votre chance, pour les lecteurs de Jason sautez dessus évidemment ! 

Les praticiens de l’infernal T3 de Pierre La Police, Cornelius 

L’un des grands maîtres de l’humour absurde revient avec sa série pleine de rebondissements (à juste titre) et de vacheries (ça va cogner). Pierre La Police propose une nouvelle aventure de Fongor Fonzym et des frères Thémistecle, Chris et  Félicien, des « héros » qui ont déjà 30 ans d’aventures décalées. Ce sont des super-héros à leur manière, dotés de pouvoirs et de capacités étonnantes on fait appel à eux pour résoudre des mystères. Comme si Blake & Mortimer étaient revenus de la zone négative ou avaient croisé David Cronenberg, ces personnages rappellent les grands héros classiques sur bien des aspects même s’ils appartiennent à un monde plus étrange.  

Chaque planche est une case unique, une illustration qui pourrait presque se suffire à elle-même soutenue par un cartouche avec un texte qui la relie aux autres. Chaque illustration est une vignette Panini d’un univers absurde, une image esthétique, minimaliste qui présente un instantané dans l’existence de ces personnages grotesques. La beauté de la laideur. Planches sans bulles, les textes qui les accompagnent pour être les pensées du narrateur et s’amusent à commenter autant que raconter et jettent un doute sur le récit. Entre le texte et l’image, la tension rajoute une couche de nonsens, de burlesque et de folie à l’ensemble déjà bien barré.

Derrière les multiples couches de parodies, de pas de côté et d’absurdité, cette série n’est pas une collection de gags, mais bien une suite d’histoires qui se tiennent (à prendre avec les préconisations adaptées) où les héros évoluent. Les enquêtes s’enchaînent pour ces 

Les Pieds freaks Nickelés qui nous étonnent encore. Attaquez par le premier volume, même si chaque tome pourrait presque être lu de manière indépendante, vous passeriez à côté de la construction de cet univers unique. 


Image principale © Pierre La Police / Cornélius 2022

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