La carrière de Cosey est faite de ruptures créatives, après avoir installé son héros Jonathan sur les montagnes himalayennes pendant 10 ans, il propose un diptyque singulier A la recherche de Peter Pan qui va lui ouvrir une nouvelle voie. En alternant entre les aventures de son héros voyageur et des one-shots aux tonalités très différentes, le dessinateur revisite à la fois ses thématiques fétiches tout en explorant de nouvelles pistes graphiques et narratives.
En 2013, il propose une première conclusion à la série Jonathan avec Celle qui fut puis se lance dans un rêve de jeunesse, revisiter Ub Iwerks & Walt Disney avec une aventure de Mickey Puis il réalise le premier album de Minnie avant de revenir à Jonathan avec une nouvelle idée pour conclure de manière définitive la série. Ce sera La Piste de Yéshé qui boucle avec le premier tome, dernier album en date avant Yiyun cette année.
À l’occasion de la parution de ce nouveau livre, je vous propose une rencontre autour de ce nouvel album, mais également de son travail pour explorer les thématiques qui ont traversé ses livres depuis le lancement de Jonathan dans Le Journal de Tintin en 1975 jusqu’à Yiyun cet automne. C’était l’occasion de parler de l’importance de la couleur pour lui, de ses expérimentations, de ses méthodes de travail ou encore ses conseils aux jeunes artistes.
« On a fait un tour complet là ! » conclut Cosey après cet entretien grand format, je vous laisse le découvrir en suivant le fil de la discussion ou en choisissant une thématique avec ce menu rapide.
✍️ De la Suisse à Taïwan : coulisses & méthode de travail
🎨 Du Papier découpé au thangka : dessin, couleurs & esquisses
📚 De Peter Pan à Minnie et le secret de Tante Miranda : thématiques, recherches & réflexions sur le médium
💡 De la documentation à la lecture : clin d’oeil, anecdotes & conseils aux jeunes artistes

✍️De la Suisse à Taïwan : Yiyun, coulisses & méthode de travail
Avec ce nouveau livre, vous mixez la Suisse et Taïwan, avec d’un côté le patrimoine local, les traditions et un regard sur l’actualité avec la guerre sino-taïwanaise, les passeurs, comment sont venues les idées pour cet album ?

Cosey : C’est vraiment ma façon de travailler : récolter des infos sans vraiment savoir où je vais, sans avoir de thème au départ.
C’est suite à un voyage à Taïwan, j’ai ramené plein de documents et puis j’ai laissé reposer. Je n’avais aucun thème, c’était un voyage pour accompagner une expo sur la BD suisse. Et quelques années après, je regarde les photos, quelques éléments et je commence à regrouper tout ça.
Je complète ma documentation en lisant un maximum jusqu’à ce que ça prenne forme, avec un thème qui apparaît peu à peu. Donc pas du tout au début, mais à force d’avoir regroupé des choses que j’ai envie de raconter. Le thème apparaît lentement.
Et il y a déjà des scènes ?
Cosey : Oui, il y a des scènes. Ça peut être des images, que j’ai ramenées le plus souvent, parfois que j’ai trouvées dans un bouquin, un journal, sur Google…. Et puis des idées, parfois un dialogue qui peut venir de n’importe où.
L’histoire prend forme petit à petit, comme ça, comme un puzzle. Après ça, je passe à l’écriture du scénario. Donc là, ça devient plus maîtrisé, plus cohérent.

Est-ce qu’il y a une place à l’improvisation ou tout est fixé ?
Cosey : Si tout le temps ! Surtout dans la recherche, au début ce n’est même pas de l’improvisation, c’est une recherche tous azimuts.
Ensuite l’improvisation est souhaitée, pourtant elle ne vient pas si facilement. Mais elle peut apparaître jusqu’à la toute dernière minute : au moment de dessiner, je réalise tout à coup que je pourrais transformer quelque chose par rapport au scénario de base. Ça peut être un dialogue ou le changement d’une scène, ça reste ouvert le plus longtemps possible.
Et à quel moment ça se fige ? C’est après la relecture par des relecteurs, relectrices ou vos éditeurs ?
Cosey : Il y a parfois un relecteur ou une relectrice, mais en principe c’est figé quand ça a été dessiné. Mais il y a des exceptions, tout à coup je peux découvrir une erreur qu’il faut corriger ou une bonne idée qui vient tout chambouler. Ça, c’est embêtant, mais si elle est bonne, ça vaut le coup.
Ça arrive parce que les personnages vous échappent à ce moment-là ?

Cosey : C’est bien ça, ils commencent à être consistants, ils ne se laissent plus faire, ce n’est plus des marionnettes. Ça, c’est le but ultime dans une fiction, de sentir ses personnages qui nous échappent.
Est-ce que vous faites l’album dans l’ordre chronologique, ou vous commencez par certaines scènes ?
Cosey : Je le fais chronologiquement, j’ai de la peine à rompre la chronologie au moment de dessiner. Dans l’écriture du scénario, c’est constamment des recherches où tout peut être transformé.
Je sais que certains dessinateurs vont par exemple faire toutes les scènes qui se passent dans cet endroit, même s’il y en a une au tout début et une à la fin ; ils vont les faire en même temps parce que c’est le même décor. Moi non, je lis mon histoire en la dessinant, j’ai envie de la suivre chronologiquement.
Et ils sont dessinés chez vous, dans votre atelier où ça peut être fait en voyage ?
Cosey : Non je ne suis pas capable de faire ça. Les esquisses, oui, et la doc, bien entendu, l’écriture de scénario aussi. Mais le dessin, c’est maîtrisé, précis, j’ai besoin d’être tranquille dans mon atelier.

Après 11 volumes de Jonathan, A la recherche de Peter Pan montrait le Valais, et après le dernier album de Jonathan, dans Yiyun c’est le Pays-d’Enhaut. A la recherche de Peter Pan, c’est aussi l’album où arrive la préface avec photos d’archives, texte de présentation, mais aussi le carnet de croquis : un dispositif similaire ici avec la préface de Maou, le carnet et la présentation de l’art du papier découpé. Comment sont arrivées ces idées ? Cette rencontre avec Maou ?
Cosey : Je cherche toujours un maximum de documentation et surtout de sources différentes.
Et puis je connaissais le travail de Maou, elle avait fait une BD sur son stage de vendeuse chez Ikea, qui était très drôle. J’aimais beaucoup le graphisme. Et j’ai vu son expo, sur son album Fleur de prunier où elle raconte son adoption par un couple de Français —elle est d’origine chinoise— en fait, elle a échappé à cette politique de l’enfant unique qui consistait à des massacres de millions de bébés et de fœtus. Sans savoir pourquoi elle y a échappé, mais c’est comme ça. À vingt-six ans, elle est partie se documenter sur ses origines.
Donc, j’ai vu cette expo et je l’ai contactée en me disant je vais enrichir un peu mes sources et ça a été plus qu’une source d’information. Je lui ai demandé de faire une introduction, et en discutant on s’est dit : « Mais pourquoi ne pas la faire en BD ? On est dans la BD tous les deux. » Et voilà les 8 pages de Maou.
Pour la documentation en introduction, c’est à chaque fois que c’est possible. Par exemple pour Jonathan ça aurait été un peu bizarre de changer la maquette et le style —elle existait depuis 1978— en revanche, on a profité des intégrales pour avoir aussi ces dossiers et introductions.

En parlant de disciplines artistiques présentées, dans ce livre, il est beaucoup question de bande dessinée, les personnages qui vous ont marqués sont l’objet d’un découpage de Urs sur la queue du Marsu, il lit aussi bien du Pratt que Chris Ware.
Cosey : C’est la même chose, je parle de ce que j’aime. Et je trouve génial quand je lis une bande dessinée de voir d’autres BD citées. J’aime bien faire des citations, communiquer ce que j’aime.
Et on découvre parmi ces albums, une fausse bande dessinée : Miss Wu.
Cosey : Tout à fait, hommage à Milton Caniff, mais aussi à Lady X dans Buck Danny, à Pin-up de Berthet… C’est surtout Milton Caniff qui est marquant, il a été un maître pour Pratt, pour Jijé, pour moi.

Est-ce une envie de « vrai-faux » comme le texte qui introduit Jonathan dans le 1er album ?
Cosey : Non, c’était pour avoir la liberté de mon scénario : je ne pouvais pas prendre Dragon Lady de Caniff pour lui faire faire ce qu’elle n’a pas fait. On ne voit pas grand-chose de ma Miss Wu, mais je suis libre de l’exploiter, c’est aussi simple que ça.
L’idée est de donner au lecteur l’impression qu’il est dans un monde réel. Si les personnages lisent des bandes dessinées, ils sont un peu comme nous, lecteur ou lectrice, sur le même plan.
Dans pas mal de vos livres, vous mettez en avant des disciplines artistiques, là il s’agit des papiers découpés, mais on se souvient des tableaux dans L’Espace bleu entre les nuages, des Tankha dans Kate ou même de la fabrication du fromage dans le Privilège du serpent. C’est une manière de mieux les comprendre ?
Cosey : Ou la Running Fence de Christo transposée dans l’Himalaya. Ça sert à parler de ce que j’aime.

Je ne sais pas pourquoi j’ai associé les papiers découpés à cette histoire chinoise. Sauf que pour moi, les papiers découpés, c’est très proche de la bande dessinée : c’est un dessin d’idéogrammes, pas du dessin réaliste totalement figuratif, c’est des silhouettes. C’est proche de l’essence de la bande dessinée : des dessins qui racontent avant d’être des dessins.
J’avais peur de me répéter, j’avais fait A la recherche de Peter Pan dans les Alpes valaisannes et j’avais envie d’avoir ces scènes d’ados qui skient en hiver en les transposant dans ce Pays-d’en-Haut. Et en parlant des découpages, ça me permettait d’avoir un personnage qui crée des images parce que j’aime bien parler de ce que je connais. Je ne peux pas parler de la vie d’un banquier ou d’un chimiste parce que je ne connais pas ces deux domaines alors que celui qui découpe, un peu comme l’auteur de bande dessinée, oui.
C’est aussi pour ça qu’on a souvent la figure de l’écrivain dans vos histoires…

Cosey : Bien sûr, je parle toujours de ce que je connais, de ce que j’aime. Mais c’est aussi, au fond, une façon de se diversifier en passant au papier découpé parce qu’il y a plusieurs personnages d’écrivains —même dans Mickey ou Minnie— ou encore de personnages qui dessinent.
Dans vos bandes dessinées, il y a beaucoup de carnets de dessins, ce dispositif permet d’introduire de la véracité, du réel ?
Cosey : Oui ça crée un lien avec le réel. Mais ces carnets de croquis sont souvent des étapes intermédiaires de travail. Comme des bonus parce que ce n’est pas vraiment de la documentation. La documentation, c’est plutôt des photos que je ramène et des notes que j’ai prises.
Dans vos albums, il est beaucoup question de secrets, avec des secrets de famille souvent…
Cosey : En ce moment c’est très à la mode, les secrets de famille, mais ici, c’est un secret on pourrait dire politique. C’est une famille qui a essayé d’échapper à cette politique de l’enfant unique, à ce système qui a massacré tous les deuxièmes enfants, surtout les filles. Le secret est plus une façon d’y échapper, une clandestinité.


🎨Du Papier découpé au thangka : dessin, couleurs & esquisses
Je voudrais parler de la couverture de Yiyun aussi avec ces masses de noir découpées dans les bleus, qui fait écho aux papiers découpés, mais aussi aux peintures chinoises, comment vous l’avez conçue ?
Cosey : C’est approprié à cette histoire. Ces papiers noirs, on les retrouve dans les planches et à la fin il y a la petite dinosaure Erika Chititi qui explique que l’album sur lequel Urs prétendait travailler vous l’avez, lecteur, lectrice, entre les mains. C’est une mise en abîme, mais comme on utilise ce terme à toutes les sauces, je ne suis pas sûr de vouloir le dire.

Avec les dinosaures, il y a une dimension ludique avec une invitation à même sauter un passage pour y revenir plus tard, comment est venue cette idée ?
Cosey : L’inspiration, j’avais envie de développer cette espèce de divagation et je trouvais drôle de pousser le texte —alors que dans une bande dessinée il faut éviter d’avoir trop de texte— et d’aller à fond dans ce qu’on ne fait pas. Mais en prévenant le lecteur. Ça devient amusant, mais c’est aussi pour montrer que je suis conscient que je fais quelque chose qu’il ne faudrait pas faire, idéalement, dans un album.
Il y a aussi l’allusion aux extraterrestres venus réclamer ce qu’on voit sur l’emballage de leur paquet de café. J’avais envie de m’autoriser ces trucs, si je m’amuse peut-être que les lecteurs s’amuseront aussi peut-être.
Pour cet album, c’est combien de temps de travail ? Et quels sont vos outils ?
Cosey : C’est bien deux ans, largement, mais je fais tout : scénario, dessin, couleur, documentation…
Pour la technique, c’est vraiment basique : crayons / gomme puis pinceau / encre de Chine. Et les gouaches sur les bleus. La vieille technique des bleus. Pour le papier, il fait 35 sur 46 cm, c’est à peu près 1,5 fois une page.
Est-ce que pour les gouaches, il y a un contrôle particulier pour le rendu ?

Cosey : Oui, oui, je demande des épreuves. On fait des corrections si nécessaire.
Mais pour le rendu, non, le but, c’est qu’on ne voit pas le travail : il ne doit pas y avoir de matière. Mais le choix des couleurs, leur harmonie, c’est super important.
On a vu beaucoup de vos aquarelles dans les carnets, dans les recherches, dans les beaux livres chez Daniel Maghen, pourquoi la gouache pour les albums ?
Cosey : Pour les albums, les couleurs doivent être maîtrisées. Il y a plusieurs images dans une page, il faut donc maîtriser complètement.
Dans les croquis, c’est le plaisir de l’esquisse, où je me laisse aller. Je pose des couleurs à l’aquarelle, comme ça de manière un peu aléatoire, ça déborde, ce sont des intentions.
La gouache permet d’être plus précise et surtout elle permet des corrections. L’aquarelle, c’est très difficile à corriger. Ça se voit, c’est pas beau. Si vous commencez à trifouiller l’aquarelle, ça doit être jeté alors que la gouache couvre, c’est des couches. Si la première couche ne vous convient pas, vous en mettez une deuxième, on ne voit plus la première.
L’aquarelle, c’est translucide, donc la deuxième couche ne va pas couvrir, elle va s’additionner, on verra encore celle qui est en dessous. C’est une technique que je trouve trop contraignante pour faire une page entière alors que pour des esquisses, c’est parfait.
Mais il y a de grands aquarellistes : Juillard, par exemple, faisait ses planches directement en couleur aquarellées sur les planches noir & blanc.

Avant la couleur, vous travaillez déjà les masses de noirs au dessin, mais vous pensez déjà la couleur ?
Cosey : Bien sûr, l’idée est là, mais l’un n’empêche pas l’autre. Les noirs et blancs doivent être équilibrés —ou déséquilibrés— mais ils doivent être décidés. Il y a des choix à faire.
Avec Calypso, vous avez testé le noir et blanc sans la couleur, est-ce que ça vous a apporté quelque chose de nouveau dans votre manière d’aborder la planche ?
Cosey : Ah oui, il y a beaucoup plus de noir maintenant dans mes planches couleur qu’avant.
On parlait de couvertures, et j’ai lu que vous disiez que vous aviez eu du mal à imposer la couverture d’A la recherche de Peter Pan ; pour vous qu’est-ce qui fait une bonne couverture ? Qu’est-ce qui vous poussait à penser que c’était la bonne couverture ?
Cosey : Oui, l’éditeur n’en voulait pas. Mais c’est le plaisir, je reste lecteur de mon propre travail. Ça me plaisait de l’imaginer comme ça et je ne pouvais pas croire que j’étais une exception : si j’aime quelque chose, personne d’autre ne va l’aimer, ce n’est pas possible. Voilà ce qui me donne éventuellement cette assurance de dire “c’est vraiment ça qu’il faut faire”, c’est mon plaisir.

Et celle de Yiyun, elle est venue tout de suite ou il y a eu beaucoup d’itérations ?
Cosey : C’est vrai que c’était problématique : il y avait les Alpes avec la neige et plein de choses, mais je l’ai trouvé assez vite.
Parfois c’est pénible on tourne en rond longtemps, mais là j’ai fait des petites variantes, mais l’idée de base, je l’ai trouvée assez vite en feuilletant mes pages.
Comme celle du Bouddha d’Azur qui vient aussi d’une case redessinée.
Cosey : Oui, réinterprétée dans un style de thangka. Avec l’idée d’un faire un mandala : un dessin symbolique traditionnel tibétain. Et je trouvais que la gamine qui bouffe une photo, c’était frappant. Ça m’a paru une bonne idée.
Elle est très iconique, comme celle du Voyage en Italie, avec le poisson…
Cosey : Je cherche à m’étonner moi-même et ça donne des choses comme ça. On n’y arrive pas toujours.

La couleur est importante pour vous, dans un beau livre A l’heure où les Dieux dorment encore, vous parliez de cette importance. Pour Jonathan vous l’avez délégué puis reprise, ça vous manquait ?
Cosey : Oui ça me manquait, j’adore faire les couleurs et c’est beaucoup plus facile que le dessin. Pour moi, chaque dessin est un problème à résoudre. Alors que pour la couleur, je sais assez vite ce que je veux et je sais comment y arriver.
C’est un grand plaisir, c’est sensuel —ce n’est pas du toucher, c’est sensuel des yeux— je pourrais être coloriste, mais c’est trop mal payé. Je le dis en rigolant, mais c’est vrai, je pourrais faire des couleurs pour les autres.
Est-ce que la couleur a une portée narrative ?
Cosey : Oui, surtout à l’intelligibilité de l’histoire. Les gammes de couleurs différentes quand on change de scène, ça aide à comprendre.
Elle doit toujours être au service du dessin qui, lui-même, est au service de l’histoire. En théorie, il n’y a rien de gratuit. La couleur n’est pas là pour être belle —après, on fait en sorte qu’elle soit belle— sa fonction première est de soutenir le dessin.
Le dessin doit soutenir le scénario avant d’être réussi ou pas. On peut avoir un dessin qui est moyen, voire mauvais, qui soutient bien un scénario ; alors qu’un dessin époustouflant pas forcément.

Pour les personnages, pour trouver leurs physiques, leurs caractéristiques, vous vous inspirez de personnes connues ? Parce qu’on peut en reconnaître quelques-unes.
Cosey : J’essaye de sortir des schémas, parce qu’on tombe vite dedans en imaginant un personnage. Donc pour éviter les stéréotypes, je m’inspire de gens que je connais ou éventuellement de tels acteurs, actrices sans avoir le but d’en faire un portrait.
C’est pour avoir une source, le lecteur n’est pas censé reconnaître l’acteur —si c’est un copain toute la planète ne peut pas le connaître— mais le but n’est pas qu’on les reconnaisse. Juste avoir une inspiration pour un personnage qui a un physique intéressant.
Ce sont des tentatives d’élargir la palette du dessin. Je fais tout ce qui est possible, j’utilise un peu tout, pour trouver quelque chose qui me plaise puis au lecteur si possible.
Vous faites aussi le lettrage à la main, dans ce livre comme tous les autres, la typographie, les onomatopées, les enseignes ou décors racontent quelque chose, tout cela est réfléchi au moment du story board ?
Cosey : C’est tout mon plaisir, ça m’amuse plus que de dessiner un personnage qui court. J’adore ça, mais on ne peut pas faire un album entier avec ça.
Je cherche des prétextes pour dessiner ce que j’ai envie de dessiner. C’est une façon de travailler aussi.


📚De Peter Pan à Minnie et le secret de Tante Miranda : thématiques, recherches & réflexions sur le médium
On parlait des bandes dessinées dans Yiyun, mais les clins d’œils à la BD sont nombreux, de Tintin au Tibet dans Kate, Mickey, Dingo dans Greyshore Island, le Yeti ou Donald dans le Bouddha d’Azur, dans la « salle du trésor » dans Une maison de Frank L. Wright et bien sûr dans le dernier tome de Jonathan, à la fin. C’est un plaisir de dessin ou une envie de transmission ?

Cosey : Je vois que vous avez bien tout relu [rires] C’est que j’adore ça —j’aime bien inviter Donald dans le Bouddha d’Azur par exemple— parce que ça fait partie de la vie. Ce serait bizarre qu’il y ait pas de personnages de bande dessinée, parce qu’il y en a dans notre vie.
Il y a même un clin d’œil à A la recherche de Peter Pan dans Yiyun.
Cosey : Oui, je m’auto-cite, c’est grave, mais je me soigne [rires] J’adore dessiner ce genre de scène.
Vous proposez aussi des bandes-son pour pas mal de vos livres, cela ne s’y prêtait pas pour Yiyun ?
Cosey : C’est typique de Jonathan, je continue à le faire, mais via l’histoire elle-même : les personnages écoutent de la musique. Tandis que dans Jonathan c’était une playlist en quatrième de couverture.
Et c’était la playlist que vous écoutez pendant la réalisation de l’album ou elle était conçue après ?

Cosey : C’était plutôt au moment d’écrire le scénario. Avec des musiques que j’écoutais un peu en boucle —mais c’était qu’une partie, parce qu’un scénario ça peut être 4 mois, voire 6 mois de travail, je ne me contente pas de 3-4 musiques pour 4 mois. J’écoute beaucoup de musique.
Je voudrais qu’on parle du dessin comme écriture, de la narration qui raconte déjà avant le texte. Vous procédez beaucoup par suggestion, par évocation ?
Cosey : Ah oui, j’aime bien ça, j’adore jouer avec. Et oui, parce que sinon c’est un pléonasme. Ça fait partie de la magie de la bande dessinée : les textes racontent quelque chose, le dessin en montre une autre, ça crée une magie pour le lecteur.
Dans Saigon Hanoi, vous aviez exploité la dimension narrative du dessin en regard du texte puis dans Zeke raconte des histoires, avec ce dispositif de diapos, on y voit vos réflexions sur la bande dessinée, vous y avez beaucoup réfléchi tout au long de votre carrière ?
Cosey : Oui, ça me passionne. Quand on lit une bande dessinée, on est plongé dans un monde, un univers et on y croit. Moi j’y crois. Alors qu’en fait ce sont des dessins très simplifiés.

On voit bien que c’est du dessin, mais quand c’est réussi, ça a un pouvoir d’évocation qui est beaucoup plus fort qu’une peinture —la plus belle soit-elle. Je prends toujours le même exemple, mais un autoportrait de Rembrandt, c’est époustouflant de talent, c’est incroyable, mais, pas un instant vous croyez que vous avez un homme en face de vous. Voyez que c’est un dessin. Alors que quand vous regardez le visage de Tintin, vous ne voyez pas un dessin, vous voyez Tintin. C’est l’essence de la bande dessinée : des dessins qui suggèrent plutôt que de décrire.
Dans Zeke raconte des histoires, il y a cette idée de mal interpréter ou d’interpréter les dessins d’une mauvaise façon…
Cosey : Je suis fasciné par ça. Parfois, je travaille sur une planche, le dessin au crayon est fait et un dialogue ne me plait pas vraiment. Je le change, mais pas dans le sens de l’améliorer un peu mieux : je change carrément, je fais presque le contraire de ce que j’avais prévu. Et je trouve que c’est comme si j’avais changé le dessin, ça change complètement.
Le même dessin, avec deux textes différents, on pourrait croire que ce n’est pas le même dessin. J’ai joué avec ça pour Zeke. C’était drôle, parce que dans Zeke il y a je ne sais pas combien de pages qui sont de la photocopie. J’ai repris le même dessin, j’aime bien faire ça, je trouve que ça fonctionne.
Mon but était de montrer que la même image peut raconter deux trucs très différents et qu’ils sont tellement différents qu’on a l’impression qu’elle a été dessinée autrement : par exemple, que le personnage a changé d’expression, mais si vous les mettez l’un sous l’autre, c’est la même image. C’est une photocopie. Je prétends que si le contexte a changé, on dirait que le personnage a une autre expression.

Dans Saigon Hanoi, on voit des images très dures de la guerre du Vietnam en parallèle d’une conversation aimable, qui les sort de leur solitude…
Cosey : Et surtout avec un gars qui est quand même traumatisé, c’est un vétéran. J’en ai rencontré au Vietnam, c’est ce qui m’a poussé à faire l’album.
Je suis allé visiter le Vietnam il y a 20 ans et j’ai rencontré ces vétérans qui venaient en pèlerinage sur les lieux où ils sont battus— où ils rencontraient des anciens combattants vietnamiens qu’ils avaient combattus— c’était très impressionnant. C’étaient tous des gens complètement traumatisés.
J’ai pu discuter avec l’un d’eux qui m’a vraiment donné des infos intéressantes sur ce qu’ils ont vécu, ce sont des gens qui ont été brisés du côté vietnamien comme américain.
Quand vous faites une pause dans la série Jonathan pour proposer plusieurs one-shots et diptyques, on a l’impression d’un cycle informel sur la parentalité. De la fin sur l’annonce de la futur naissance d’A la recherche de Peter Pan, à toute l’intrigue du Voyage en Italie puis les versions où les enfants ont grandi dans Orchidea, Joyeux Noël, May ! Zélie Nord – Sud : on a des réflexions sur la parentalité qui ne seront plus forcément là dans les albums suivants qui reviennent aux histoires d’amour, d’amitié.

Cosey : J’essaye de travailler des éléments qu’on ne trouve pas partout, qu’on trouve peu en bande dessinée. Notamment de la famille. Alors maintenant, ça a complètement changé, mais il y a 20 ans, les personnages n’avaient pas de famille.
De même que dans Calypso, c’est une histoire d’amour, une fois de plus, mais c’est des plus de 60 ans. J’essaye d’aborder des sujets un peu différents.
Et ce sont des sujets qui viennent en associant des idées ?
Cosey : Oui, c’est ça, je prends des notes : il y a des choses qui s’oublient dans un carnet et d’autres qui ressortent.
Il y a beaucoup d’histoires d’amour, des histoires d’amitié très fortes aussi, mais le plus souvent autour de l’amour, c’était un thème que vous aviez eu envie de creuser sous différents angles ?
Cosey : Oui, ça m’intéresse, vous je ne sais pas, mais moi ça m’intéresse [rires] évidemment, j’ai essayé de varier. C’est un sujet qui non seulement m’intéresse, mais comme tout le monde que je connais un peu donc je peux en parler de manière plus à l’aise que d’un complot intergalactique ou financier — que j’aime bien lire— mais j’ai rien à dire d’original là-dessus.


💡 De la documentation à la lecture : clin d’œil, anecdotes & conseils aux jeunes artistes
Après tous ces one-shots vous êtes revenu à Jonathan, nourri d’autres expériences, d’autres idées, mais vous aviez continué à faire des voyages en Asie avec l’idée de réunir de la documentation ?

Cosey : Toujours, je n’arrive pas à voyager « gratuitement ». C’est terrible, je suis très intéressé, je pense tout de suite à mon travail. Mais sans avoir de scénario, contrairement à la plupart des auteurs qui font des repérages et qui savent ce qu’ils aimeraient trouver. Au contraire, je ne sais pas, je cherche ce qui pourrait m’intéresser.
Et pour Jonathan, qu’est-ce qui vous a décidé à terminer la série ? Même si déjà avec le précédent vous aviez déjà terminé.
Cosey : Oui, j’avais prévu de m’arrêter avec Celle qui fut, le 16e, mais j’étais moyennement content de cette fin. Mais j’avais décidé d’arrêter cette série parce que ces séries où on en est au 50e album, ça m’agace en tant que lecteur. Et j’avais l’impression d’avoir dit tout ce que j’avais à dire à propos de Jonathan.
Puis j’ai refait un voyage et surtout j’ai trouvé l’idée de la fin en relisant le tout premier dans lequel j’avais ce texte qui dit « Jonathan tel que je l’ai connu » et je me suis dit que c’était comme ça qu’il faut finir. Revenir à ce tout premier texte. Et j’ai développé cette histoire sur la base de ces deux dernières pages où Jonathan revient vers moi.
On parlait de choses cachées, de références, là il y a un condensé dans ces deux planches. Il y a pas mal d’objets qu’on retrouve dans votre bureau ?

Cosey : Oui, je me suis amusé à faire ces pages, il y a même un dessin réalisé par Jonathan en Birmanie, dans l’album Elle ou dix mille lucioles.
Je n’ai pas tellement d’objet dans mon bureau, c’est assez simple. Ce n’est pas un musée, il y en a quelques-uns, mais parfois ils disparaissent, ils sont dans une caisse à la suite d’une expo… Je ne suis pas un collectionneur, ni d’album, ni d’objet.
Et même sans accumuler, vous lisez beaucoup ? Des sorties récentes ?
Cosey : Oui j’en lis, de la bande dessinée, de la littérature. Et je reçois pas mal d’albums parce que je suis membre du jury du Prix Victor Rossel en Belgique, des fois c’est presque trop, je n’arrive pas à tout lire. Mais c’est l’avantage de la bande dessinée, on peut se faire très vite une idée en feuilletant. On sent l’histoire même sans lire les textes.
Là vous êtes dans ce jury, vous avez démarré votre carrière auprès d’un auteur, Derib, quels sont vos conseils pour les jeunes artistes ?
Cosey : Chercher à se faire plaisir. Ne pas penser à ce que veut le public aujourd’hui, c’est absurde : le public ne sait pas ce qu’il voudra demain. Mais il sait ce qu’il a aimé.

Il faut faire l’album qu’on a envie de lire, sans tenir compte du marketing ni des « les gens veulent ça », être sincère. C’est ma façon de travailler.
Une anecdote, dans vos premiers albums, on découvre une signature avec un petit personnage avec un cor des Alpes ou la mention « Maison fondée en 1950 », cette coquetterie à disparue, parce qu’avec Derib vous n’êtes plus les seuls auteurs suisses ?
Cosey : C’était mon humour de l’époque [rires], mais oui, il n’y avait que Derib et moi et c’était un sujet de plaisanterie, la bande dessinée suisse. Heureusement j’ai arrêté.
Ça aurait pu se prolonger comme les signatures de Franquin ?
Cosey : Oui, mais ça devient trop répétitif. Il faut se renouveler et c’est ça qui est le plus ennuyeux, on a vite fait le tour. Franquin l’a fait de manière géniale, mais c’était dans son esprit, ce n’est pas vraiment le mien.
À l’époque c’était rigolo, Derib et moi on était vraiment les Suisses, les deux petits Suisses à Bruxelles. Assez vite on a été primés et Dany disait « c’est le péril suisse, [rires] ils nous piquent tous nos prix ». Maintenant il y en a plein, et des bons !

Qu’est-ce qu’on pourra voir le mois prochain à la Galerie Daniel Maghen, est-ce qu’il y a une sélection particulière ?
Cosey : Un mélange de nouveautés avec Yiyun et puis des planches plus classiques. Des planches principalement, mais aussi des esquisses, des crayonnés tels qu’on les trouve au début de Yiyun.
Si vous voulez rencontrer l’auteur et voir ses planches originales, dessins et esquisses, rendez-vous à la Galerie Daniel Maghen en novembre (date et informations à venir), d’ici là, n’hésitez pas à partager avec nous votre avis sur le dernier album ou sur votre livre préféré de Cosey en commentaire.
Yiyun de Cosey, Le Lombard

Toutes les images sont ©Cosey / Le Lombard















