Jim Starlin est un scénariste bien occupé. Pour Marvel, il a créé Thanos. Pour DC, il a mené le second Robin, Jason Todd, à la mort. Un auteur culte de la fin des années 1980 et du début des années 1990, que certains connaissent peut-être aussi pour sa mini-série The Cult, consacrée au Chevalier Noir, que Urban Comics nous propose de découvrir ce mois-ci en français.
Parue en 1988, en quatre numéros, cette mini-série est, il faut bien le noter, le parfait reflet de son époque. Deux ans après le passage de Frank Miller sur le personnage, auquel il offre deux de ses meilleurs histoires, The Dark Knight Returns puis Year One, Starlin se penche sur Batman avec toute la noirceur qui caractérise l'époque. Jusqu'à l'overdose, d'ailleurs, puisque nous assisterons, dans cet album, aux premiers exemples d'un Batman brutal et militarisé que DC semble recycler dans ses parutions les plus récentes, à la recherche de ses gloires passées.
Mais si Le Culte peut facilement être qualifié d'exercice de style Millerien très influencé par son époque, il ne faut pas le jeter aux oubliettes pour autant. Derrière ses aspects parfois très caricaturaux dans le traitement de la fameuse noirceur de cette période, Le Culte cache en effet une exploration assez intéressante du personnage de Batman / Bruce Wayne. On le comprend d'ailleurs assez vite, puisque l'album s'ouvre sur une sorte de cauchemar assez joliment illustré par Bernie Wrightson, lui aussi très influencé par Frank Miller, ses découpages et l'anatomie si particulière de ses personnages.

Le Culte est en effet, le temps d'un Batman brisé par un nouvel adversaire, le Diacre Blackfire, une réflexion assez intéressante sur la manipulation de masse, les déviances de la religion ou encore l'endoctrinement. Des sujets qui deviennent encore plus passionnants une fois rapportés à l'univers de Batman, qui se passe ici de personnages trop loufoques ou de vilains colorés. Mieux , Starlin, en sous-texte, fait le lien entre les propos du Diacre et ceux des associations et théoriciens ayant conduit à l'adoption du fameux Comics Code (un outil d'autocensure) en 1954, pour un parallèle assez osé mais toujours plein de sens, à l'heure où j'écris ces lignes.
Par ailleurs, le style de Starlin se veut bien moins mutique que celui d'un Miller, et le Batman du Culte est ainsi relativement bavard. Ses monologues intérieurs et ses dialogues sont étonnament très développés, ce qui permet à l'auteur d'explorer toute la psyché de son personnage, ici au fond du trou, et au lecteur de profiter d'un Bruce Wayne finalement assez original.
Dommage que cette originalité soit souvent gommée par des hommages au style de Frank Miller, qui fusent à toute vitesse dans cet album. La composition, hélas bien plus rigide que celle du créateur de Sin City, les couleurs (d'ailleurs pas forcément mises en valeur par le choix du papier), les dialogues et la violence explicite rappellent directement un Miller qui aurait été dépossédé d'une partie de sa science, ce qui rend la lecture aussi nostalgique que pénible, surtout lorsqu'on atteint de vrais sommets de folie, qu'on vous laissera découvrir, mais qui pourraient, soyez prévenus, vous sortir de l'intrigue.

D'une manière assez ironique, l'approche prise par Starlin sur un Batman post-Frank Miller, violent mais vidé d'une partie de sa substance, nous rappelle les tentatives récentes de DC sur le personnage. Si vous voulez comprendre d'où vient la nostalgie de l'éditeur pour cette époque si complexe de son histoire, Le Culte est un parfait outil, qui ne manque d'ailleurs pas d'intérêt. Malgré leur imitation permanente du style de Miller, Starlin et Wrightson offrent en effet quelques pistes de réflexion intéressantes et de petits moments de bravoure, qui sauront satisfaire les aficionados du personnage.








