Derniere partie de mon article sur la BD et les arts plastiques avec, cette fois, le Manga !
Je rappelle que vous pouvez retrouver mes deux articles précédents ici :
Le Comics et les arts plastiques : http://www.9emeart.fr/communaute/blog-post/news/comics/la-bd-et-les-arts-plastiques-1-934
La BD Franco-belge et les arts plastiques : http://www.9emeart.fr/communaute/blog-post/news/franco-belge/la-bd-et-les-arts-plastiques-2-950
Paul McCarthy - Bambi (Atsushi Kaneko)
Paul McCarthy est un plasticien controversé qui aime aborder des univers où le malaise et la crasse font mouche. Il aime présenter des œuvres très référencées, soit par le monde automobile, soit par la sphère télévisuelle, soit, encore, par les déviances de sa chère patrie : les USA ! Kaneko possède lui aussi ce don pour le craspec et les exagérations en tout genre. Peuplant ces mangas de freaks, de monstres humains mais aussi de moteurs et d'armes à feu. Car c'est bien ce qui passionne les deux artistes : Esthétiser l'inesthétique, glorifier l'inexcusable, béatifier l'inabordable. D'un point de vue pictural, les auteurs se rejoignent également. Usant d'une caricature physique et morale de la société et de ses acteurs, nous y retrouverons des personnages aux têtes gonflées, aux yeux exorbités, aux défauts prépondérants, aux bouches boursouflées...Comme une mise en avant des défauts de la société... Leurs univers respectifs sont riches de références, sont populaires, voire même populistes, tant ils tentent de mettre en exergue les points négatifs qui les obnubilent ! Nous retrouvons donc, dans les deux œuvres, un espèce de paradoxe moral tout simplement génial !



Beatrice Milhazes - Paradise Kiss (Ai Yazawa)
On pourrait se demander quel est l'intérêt artistique pour Milhaez de peindre de gros motifs floraux formant de kitchs kaléidoscopes criards... Mais si on analyse son travail à travers celui de Yazawa, on y décèle une signification, une intention. Dans Paradise Kiss, les patchworks de motifs sont là dans le but de transcender les décors habituels, préférant plonger les protagonistes dans une atmosphère empreinte de beauté et de douceur, une envie d'esthétiser le monde qui nous entoure. Se rapprochant en ce sens de l'onirisme d'un Klimt, les deux artistes usent de fleurs et de graphismes pour fuir la réalité et nous parler du ressenti humain (les émotions, les saisons, le climat, la nature...) au travers d'un prisme pictural très précis et très nuancé. D'un point de vue plastique, ces grandes étendues « bariolées » trouvent leur force et leur équilibre dans leur diversité, faisant se rencontrer formes organiques et formes géométriques, formes naturelles et formes calculées... Finalement, le message est simple et complexe à la fois, dénaturalisant les émotions du quotidien pour mieux parler des événements de l'existence...


Mariko Mori - Spaceship EE (Takano Aya)
Il est assez simple ici de rapprocher les deux artistes car il s'agit de deux plasticiennes japonaises très marquées par leur culture moderne. Takano Aya est illustratrice et publie des mangas underground très éloignés des canons habituels de ce média, Mariko Mori est une artiste pratiquant la sculpture et l'installation dans tous ce qu'elles ont de sensible et de subtil. Influencées toutes deux par les formes futuristes mais organiques, rejoigant en cela des artistes comme Giger ou Anish Kapoor, on retrouve ici un monde plastique très innovant. Un besoin fondamental de briser les structures rigides et industrielles habituelles de la technologie habite sans doute ces deux esthètes. Usant de formes naturelles à la topologie variée en guise d'éléments de science-fiction plutôt que de l’esthétique droite, complexe et non-organique habituelle. C'est une réelle approche innovante, sans doute très asiatique, que nous livrent ces œuvres aussi douces que jolies, aussi envoûtantes que technologiques, aussi sensibles qu'industrielles...


Wangechi Mutu - Samourai Bambou (Taiyo Matsumoto)
Dessiner un visage, c'est avant tout l'interpréter ! C'est capter son caractère, reproduire sa matière, représenter la complexité de ses formes et de ses volumes. Mutu et Matsumoto sont deux artistes matièristes assez rares dans ce sens qu'il préfèrent évoquer la matière plutôt que de l'utiliser telle quelle... Lorsque nous observons les portraits des deux dessinateurs, nous y voyons de la peau dans tout ce qu'elle a de sensible, avec ses défauts et ses imperfections, elle est illustrée par un travail nuancé des couleurs (ou des gris) ainsi que par un besoin de texturer les différentes parties du visage. D'un point de vue plastique, les artistes optent pour une approche sensible et expressionniste, préférant réinterpréter un visage en le déformant plutôt que de le retranscrire dans sa précision. On se retrouve alors avec des faces très marquées, des « gueules » semblant réalisées en collages, non équilibrées et, finalement, assez laides...Mais d'une force incroyable ! Nous y captons un regard, nous y ressentons une émotions, nous nous y voyons nous même à travers ces défauts qui nous frappent dans le miroir chaque matin...

Raymond Pettibon - Paradis [et autres] (Abe Shin Ichi)
L'importance du trait en dessin n'est plus à prouver ! Hergé nous a régalé de sa ligne claire et Franquin nous à fait vibrer au rythme de sa spontanéïté, c'est sans doute ces références qui permettent à Raymond Pettibon, artiste contemporain, de nous livrer des œuvres à la sensibilité graphique rare. En parallèle à cela, Shin Ichi est un mangaka au trait exceptionnel, loin des canons graphiques nippons, il dessine le monde rural dans tout ce qu'il a de subtil et texturé. Les deux artistes usent d'un trait fort, très noir et très marqué, d'une accumulation de lignes variées, parfois grossières, parfois d'une finesse impressionnante, afin de nous narrer des histoires à travers le dessin. Dans leurs œuvres, ce ne sont pas tant les sujets qui racontent que la façon dont ils sont représentés, dans toute leur finesse et leur sensibilité. Qu'il s'agisse d'un être humain, d'un tronc d'arbre ou d'une chevelure, chaque aspect est sensibilisé, nuancé, magnifié. Mais malgré cette maîtrise du dessin, il n'en reste pas moins expérimental, acceptant ces défauts (bel et bien présents) comme faisant partie de l’œuvre : ici une morphologie fantasmée, là un visage émaciée, ici une symétrie ratée, là une pose déséquilibrée...C'est aussi ça le génie de ces deux artistes...


Richard Phillips – MaiWai (Mochizuki Minetaro)
Ce qui frappe dans ces deux œuvres, c'est leur capacité à nous entraîner dans un monde plaisant au visuel glamour et lisse. Car c'est bien ce qui caractérise ces deux artistes : la simplicité, la simplicité du trait, la simplicité des nuances, la simplicité des représentations. Abordant un univers où rien ne choque, rien ne dépasse, rien n'est « laid », ces deux dessinateurs n'en oublient pas pour autant de faire preuve d'audace et de spontanéité. En témoigne les excentriques pirates de Mochizuki (masques, écussons, lunettes de soleil...cape!?), ainsi que les poses évocatrices de Phillips. On retrouve également chez les deux Messieurs un travail étonnant sur l'ombre et la lumière, très nuancées, amenées par de subtils dégradés (de teintes ou de gris), magnifiées par des atmosphères ensoleillées et d'une incroyable clarté. Ces mondes fascinant que nous offrent les deux artistes, nous y plongeons sans réticence tant cette approche plastique est enivrante et accueillante, faisant fis des aspérités du monde réel, amenant l’excentricité de façon subtile et dosée, et surtout, travaillant leur univers avec talent !

Raqib Shaw - XXXHolic (Clamp)
Dans le domaine des arts plastiques, la saturation est quelque chose que l'on préfère éviter tant elle est complexe à aborder. Nous trouvons ici, grâce à ses artistes épatants, une approche innovante et réussie de la saturation. Saturation de l'espace, saturation des couleurs, saturation des sujets... Faisant se côtoyer des motifs complexes, des éléments figuratifs, des formes abstraites et des êtres vivants, on y découvre une véritable approche esthétique du surplus. Les environnement ne s'encombrent pas de réalisme, ni même de perspectives, ils sont là dans le seul but d'évoquer certaines choses, de placer leurs protagonistes dans un univers empreint d'onirisme, de faste et de luxure. On y retrouve aussi un sentiment de mystère et d'exotisme (qui concorde parfaitement avec Holic), empreint de folklore et de mythologie (Hindous chez Shaw, Asiatiques et orientales chez Clamp), sans jamais tomber dans la superstition. Tout cela permet une fabuleuse approche culturelle sous forme de patchwork, saturés, certes, mais parfaitement maîtrisés !


Trenton Doyle Hancock – Akira (Katsuhiro Otomo)
La puissance à l'état brut, l'instabilité de la force et de la colère, la mouvance constante des structures physiques qui nous entourent, voilà bien les sujets de prédilections des deux artistes colossaux que sont Otomo et Hancock. Se caractérisant par le besoin d'accumuler les éléments représentatifs au sein d'une seule et même image, il ne s'agit plus ici d'évoquer ou même de représenter, il s'agit ici de montrer ! Montrer dans toute sa réalité, dans toute sa complexité, dans toute son étendue, démontrer (ou démonter?) les structures rigides de notre environnement urbain, les exploser (de manière littérale chez Otomo), formaliser la matière organique dans toutes ses nuances, dans ses aspects, dans ses changements, dans ses mouvements, dans sa plasticité protéiforme et mouvante. Possédants tout deux un sens incroyable du réalisme et de la précision, leurs dessins sont des fresques colossales de scènes d'apocalypse empreintes d'un soucis de détails foudroyants. Tout est vivant chez eux, un bâtiments, un meuble, un véhicule, une personne (évidemment) voire même un être non-défini.

Lucio Fontana – Bleach (Tite Kubo)
Deux notions importantes ressortent ici : L'incision et la verticalité. L'incision tout d’abord dans cette capacité qu'ont les deux artistes à taillader leurs œuvres de traits d'une finesse et d'une précision folle ! Chaque ligne est à sa place, chaque trait est important, chaque espace est calculé, l'alternance du plein et du vide ne se fait plus dans un rythme mais bien de deux façon opposées : Quelques notes fulgurantes chez Fontana, un tempo effréné chez Kubo. Nous retrouvons également chez Fontana cette capacité à ne pas s'encombrer du figuratif, cette envie de raconter dans l'abstraction, d'épurer le discours un maximum, Tite Kubo, en lien direct avec ce parti pris, pousse le figuratif dans ses derniers retranchements, frôlant très souvent l'abstraction totale. En résumé, afin d'aborder le tranchant de manière visuelle, les deux artistes font le choix d'instaurer un discours évocateur sur la violence, la douleur et la lacération de manière abstraite à l'aide d'un trait plus qu'acéré...


Jackson Pollock – Berserk (Kentaro Miura)
Entrons de plein pied dans un monde violent, sans concession, peuplé de sang, de giclées, de traînées, d'éclaboussures et de bestialité ! Nous sommes dans les années 50, un artiste torturé du nom de Pollock décide, afin de représenter son malaise, de déverser de la couleur sur une toile, de façon brute et non-contrôlée, presque bestiale...Un génie de l’expressionnisme est né ! Lorsque l'on parle de bestialité et de violence, le nom de Miura vient directement, tant ce dessinateur est parvenu à nous immerger dans ses batailles épiques et sanglantes à travers ses « fresques » éprouvantes de dynamisme. Les deux artistes, complètement expressionnistes, optent pour des formats paysages saturés, grouillant de matières brutes, d'évocations sanglantes et d'une violence visuelle imparable. A l'instar du guerrier en plein combat, l’œil du spectateur ne se repose jamais, sans cesse relancé vers un autre espace, une autre traînée, un autre trait, une autre scène, un autre détail. Car ce qui peuple ces œuvres, au final, c'est bien l'anarchie, le désordre, le chaos et l'épique !


Paul Signac – L'homme qui marche [et autres] (Jiro Taniguchi)
Comment ne pas faire le lien antre ces deux artistes atmosphériques tant leur sensibilité pour représenter les paysages lumineux du quotidien tient du pur génie ! D'un côté, Signac, tête de proue du mouvement pointilliste (bien que son style à lui soit le divisionnisme), génie de la lumière et des nuances colorées, de l'autre côté, Taniguchi, mangaka colossal, maître de l'évocation sensible de son japon natal. Nous retrouvons chez les deux artistes cette passion pour le quotidien, pour la promenade, pour les paysages simples, pour les atmosphères lumineuses, pour l'évocation d'une époque révolue où la nature possédait encore tous ses droits. D'un point de vue plastique, nous retrouvons ce travail « pointilliste » chez les deux artistes, travaillant par petites touches, ne brossant jamais de grandes surfaces, évitant les tons trop saturés (peu de noirs et de blancs, chez Taniguchi, uniquement des nuances de gris, très rare dans un manga!), détaillant leurs sujets (représentation de chaque feuille de chaque arbre), observant finement les jeux d'ombres et de lumières du soleil à travers les feuillages, détaillant les nuances et les textures. Bref, ces deux génies du réaliste impressionniste n'ont pas fini de vous faire voyager...


Egon Schiele – Afro Samurai (Takashi Okazaki)
Il est évident que les deux dessinateurs ont une fascination pour les personnages torturés et décharnés, en témoigne leurs œuvres empreintes de douleur, de torsions et d'imperfections humaines. Le lien entre eux se poursuit dans leur façon de représenter l'Homme dans des poses torturées, tordues, presque irréalistes, dessinant de grands et maigres membres, des corps anguleux, le tout avec un trait rêche et saccadé, comme si rien n'était ni lisse, ni doux, ni souple. Tout ici est affaire d'imperfection, dans les habits, dans les traits du visages, dans les chevelures, rien ne semble beaux ni même harmonieux. Caractérisées par ce qu'on appelle un dessin biscornu, leurs œuvres respectives sont empreintes d'un certain malaise, d'une représentation biaisée du corps humain et surtout, d'une sensualité acerbe. L'étude des matières y est aussi primordiale, texturant énormément les tissus, nuançant les arrières-plans, privilégiant les musculatures apparentes. Deux artistes atypiques mais au trait d'une beauté incroyable.


Blame ! (Tsutomu Nihei) – H.R. Giger
Bienvenue dans un monde futuriste, organique et éprouvant ! Bienvenue dans les univers respectifs de deux maîtres du design cyberpunk et du graphisme rude. On ne présente plus Giger, artiste suisse de renommée mondiale ayant œuvré dans divers domaine comme le cinéma avec Alien ou la sculpture avec la Biomécanique. On présente par contre Nihei, Mangaka trop méconnu de par chez nous, ayant occasionnellement travaillé sur Wolverine ou MGS mais ayant surtout une série de manga incontournable : Blame ! Nous retrouvons chez ces deux artistes la représentation d'un avenir pessimiste, gouverné par la machine, peuplé de superstructures inorganiques et inhospitalières, empreint d'une noirceur et d'un nihilisme peu commun. D'un point de vue plastique, plusieurs éléments les rapprochent également : La prépondérances des formes organiques matricielles (Fœtus, phallus, globes oculaires...), des teintes sombres, réalistes et ternes, l'accumulation d'éléments graphiques issus du monde industriel (tuyaux, plate formes, câbles en tout genres...) et saturation de l'espace. Une approche inédite et magistrale d'atmosphères lourdes, poisseuses et glauques, d'ambiances technologiques désabusées et nihilistes !






