Après des échanges de déclarations, rétropédalages et communiqués de crises [tous nos articles sur le sujet ici], on apprend dans un article de Lucie Servin, hier dans L’Humanité (source), que les pouvoirs publics représentés par la mairie d’Angoulême, le département, la région, le CNL et la Drac viennent de changer la donne en obtenant que « ce soit l’Association pour le Développement de la bande dessinée à Angoulême (ADBDA), une structure de médiation fondée en 2017 par le ministère de la Culture, qui s’occupera de piloter un nouvel appel à projets qui répondra aux critères de transparence et d’équité exigés par tous. »
L’article dévoile que Franck Bondoux ne pourra plus répondre à l’appel à projets via sa société 9eArt+ ou une autre. Depuis le 13 novembre, Franck Bondoux avait annoncé sa mise en retrait de l’événement, mais restait à la tête des sociétés qui opéraient le festival.
L’ADBDA va proposer une refonte de ses statuts et proposer un mode de fonctionnement qui donnera « plus de place aux syndicats d’auteurs » et autrices. Et « un seul siège au FIBD » : comprendre ici l’Association FIBD dont la présidente, Delphine Groux, serait serait exclue des décisions pour le futur repreneur.
Dans le même temps, René Pilato, Député NFP de Charente à interpellé Rachida Dati sur l’avenir du FIBD (source) en soulignant que « Malgré le retour en arrière annoncé ce matin, cette décision a déclenché une juste réaction de la part des acteurs de la culture et met en péril la prochaine édition. »
« Nous n’irons pas au Festival d’Angoulême 2026 organisé par 9e Art + »
C’est le titre de la tribune signée par 285 autrices [reproduite en intégralité en fin d’article] qui appellent à la poursuite du girlcott (équivalent féminin du boycott) pour l’édition 2026, toujours pilotée par 9eArt+.
« Nous saluons l’espoir d’une nouvelle gouvernance pour les éditions à partir de 2028, nous avons de nombreuses idées, des volontés, des désirs pour ce festival. Et nous n’irons pas au FIBD 2026 organisé par 9e Art + »
Dans ce communiqué elles rappellent que l’appel au boycott ne concerne pas seulement la gouvernance du festival, mais à « prendre une position forte contre les violences sexuelles et sexistes au festival » qui ont été révélées dans l’enquête de Lucie Servin sur les coulisses du festival de la BD d’Angoulême en janvier dernier, qui révélait une agression sexuelle et parlait de management toxique dans l’équipe organisatrice, 9eArt+ [lire notre édito pour en savoir plus ici]. « Nous insistons, nous, les femmes et avec nous toutes les minorités de genre, sommes le moteur de cette mobilisation. Parce que nous jugeons que le festival d’Angoulême n’est toujours pas à la hauteur, que ce soit sur les questions de violences sexistes, sexuelles, racistes, validistes et LGBTphobes. »
Avec ces 285 signataires, d’autres auteurices et maisons d’éditions maintiennent leur boycott de l’édition 2026, et avec cet appel nombreux.ses vont les suivre.
📣 Tribune du 16 novembre
« Nous n’irons pas au Festival d’Angoulême 2026 organisé par 9e Art + »
Depuis plusieurs jours, le milieu de la bande dessinée est en ébullition, en lien avec la crise qui secoue le festival d’Angoulême.
Ce festival, incontournable pour nous toustes et vital pour le milieu de la bande dessinée, nous l’aimions, mais les conditions d’accueil et de travail s’y sont dégradées en vingt ans. Historiquement, nous, les femmes et les minorités de genre, avons été invisibilisées. Au fil du temps, nous avons conquis notre place et ensemble, nous comptons faire entendre notre voix. Désormais, sans nous, aucun album, aucun prix, aucun marché, aucun festival.
Le 8 novembre dernier, le renouvellement officiel de la société 9 Art + de Frank Bondoux à la tête de l’organisation du FIBD a provoqué un tollé attendu.
En janvier 2025, l’histoire de Chloé durant l’édition précédente du FIBD a fait grossir une colère déjà difficile à contenir. Plutôt que de la protéger et de l’aider, son employeur, 9e Art +, l’a licenciée pour faute grave, après qu’elle a porté plainte pour viol contre un collaborateur du festival. Suite à ce licenciement, elle s’est retrouvée isolée et sans revenus.
Nous, acteur·ices de la bande dessinée, déjà mobilisé·es bien avant cette reconduction officielle, avons lancé un Girlcott1 contre l’édition 2026 du festival. L’autrice Anouck Ricard, Grand Prix 2025, a d’ailleurs été la première autrice à lancer le boycott, suite à l’appel de l’inter-orga et de sa pétition en avril, et à prendre une position forte contre les violences sexuelles et sexistes au festival.
Chloé n’est pas un cas unique. Son histoire en porte des centaines d’autres, recouvertes de silence, d’omerta. Cette absence d’humanité et ce silence envoient un message clair et inadmissible aux victimes. Et nous ne le tolérons pas.
Alors même que la question est connue, documentée, dénoncée, il existe une continuité de violences sexistes et sexuelles dans nos métiers. Depuis une décennie, le Collectif des créatrices de BD contre le sexisme n’a cessé d’alerter sur ces questions, rejoint depuis 2022 par MeTooBD. Le mauvais traitement ne s’applique jamais qu’aux femmes, il induit une attitude globale de relations construites sur des rapports de force.
Ces faits sont ignorés depuis trop longtemps par un festival dont le regard se porte plus sur la valeur des marchés et les intérêts financiers que sur la création. Mais aussi par un milieu dans une société patriarcale où les hommes blancs cisgenres hétérosexuels bénéficient de privilèges.
Nous insistons, nous, les femmes et avec nous toutes les minorités de genre, sommes le moteur de cette mobilisation. Parce que nous jugeons que le festival d’Angoulême n’est toujours pas à la hauteur, que ce soit sur les questions de violences sexistes, sexuelles, racistes, validistes et LGBTphobes.
L’humain n’a plus sa place dans ce festival, seuls le profit et la renommée internationale priment. La verticalité du pouvoir de 9e Art + et la volonté de starification des auteur·ices mis en compétition sont des violences symptomatiques du libéralisme. Eh bien non, nous ne sommes pas des silhouettes qui signent des dédicaces derrière les paillettes sponsorisées.
Nous voulons une réforme qui vise à repenser cet événement pour promouvoir la diversité de la création, défendre un traitement plus éthique des individus qui y participent d’une manière ou d’une autre et que la BD soit considérée comme un bien culturel, accessible à tous et toutes et non comme un pur produit commercial. Tout est lié.
Ce Girlcott historique nous a montré que les acteur·ices de la bande dessinée peuvent faire bloc. Nous tenons à le rappeler : ne nous méprisez pas, ne nous rabaissez pas, ne nous exploitez pas.
Nous avons durement conquis notre place dans ce festival, nous tenons à cet événement et nous sommes déterminé·es. C’est un rappel : nous sommes en mesure de renverser les rapports de force.
Nous exigeons un événement sans violences.
Nous exigeons des mesures justes et immédiates, construites avec nous.
Nous refusons d’être sacrifié·es au nom de l’image, de la rentabilité ou du mythe de la vocation.
Nous agissons pour que les violences systémiques et les VHSS cessent.
Nous saluons l’espoir d’une nouvelle gouvernance pour les éditions à partir de 2028, nous avons de nombreuses idées, des volontés, des désirs pour ce festival.
Et nous n’irons pas au FIBD 2026 organisé par 9e Art +.
Chloé, on te croit !
Illustration principale : Session d’ouverture des États Généraux de la Bande Dessinée au théâtre d’Angoulême le 30 janvier 2015, lors du Festival d’Angoulême 2015 / photo de Selbymay en CC sur Wikimedia







