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Critiques
par Thomas Mourier - le 10/07/2025
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par Thomas Mourier - le 10/07/2025

« Dans toutes mes activités, il y a une logique d’écriture. » interview de Yaneck Chareyre autour de 100 ans de Bande Dessinée

Après avoir signé le scénario d’un album, London Venus, avec Mathieu Bertrand, Yaneck Chareyre s’est lancé dans l’écriture d’un beau livre sur la bande dessinée chez Larousse pour prolonger son travail de critique de bande dessinée qu’il pratique depuis une quinzaine d’années.

Nos livres respectifs se sont trouvés côte à côte dans la section des ouvrages recommandés au Centre Pompidou lors de l’expo La BD à tous les étages et j’ai eu envie d’interroger Yaneck Chareyre sur ce livre, sur les coulisses de sa fabrication et son rapport à la bande dessinée. Il a débuté en tant que blogueur sur Skyblog avant de se lancer sur wordpress puis YouTube 10 ans plus tard.

Co-fondateur du média social Gnapp qu’il co-anime le temps d’une année, propose un podcast Le Bruit des Bulles en 2022 ; il rédige ensuite pour Zoo le mag avant de finalement s’installer chez Comixtrip.fr en parallèle de son activité dans la communication. Depuis 2022, il anime le Prix Comics ACBD de la Critique et a signé deux ouvrages, London Venus en 2022, et cet ouvrage 100 ans de Bande Dessinée en 2023.

Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire ce livre ? Quel a été l’élément qui t’a amené à sauter le pas en 2023 ? 

Yaneck Chareyre : Je n’ai pas sauté le pas, on l’a fait pour moi ! En octobre 2022, j’ai été contacté par une éditrice de chez Larousse. Je pensais qu’elle souhaitait que je parle d’un des livres du catalogue : en réalité, c’était une proposition pour faire un livre. J’ai évidemment sauté sur l’occasion, car je n’aurais jamais démarché des éditeurs de mon plein gré. La proposition m’était offerte et je ne l’aurai jamais refusée. 

Ça a été une expérience très intense qui a demandé beaucoup de travail, mais je ne regrette rien. Ce genre de livre est souvent le fruit d’une équipe, mais là j’étais seul et j’ai passé 6 mois intensifs. 

Avais-tu quelqu’un pour t’accompagner dans ce projet ? 

Y.C. : Oui, bien sûr. Avec Larousse, on a défini le concept du livre en octobre dernier. C’est un livre qui entre dans une collection bien précise :  les Beaux Livres de Larousse. Ils avaient publié un livre sur le manga en 2022, donc je voulais connaître leurs envies. 

Puis, j’ai proposé mes lignes directrices et dès lors qu’on a convenu d’un accord, j’ai travaillé sur une liste de thèmes et de livres pour composer un sommaire. Début décembre, je leur envoyais des articles types pour qu’ils voient le rendu final. Je suis parti 2 semaines en vacances et je n’ai plus vu le jour pendant 6 mois ! 

Dans cet album, tu optes pour des angles thématiques croisés à un chapitrage couvrant les périodes de temps. Pourquoi ce choix de double entrée ? 

Y.C. : 100 ans de Bande Dessinée c’était le passage obligé, c’était la commande. De mon côté, j’ai réfléchi au moyen de ranger les événements. L’évolution du monde de la BD était un thème que je trouvais très intéressant. Je consomme de tout : des mangas, des comics, du franco-belge, je lis de toutes les époques, mais ça ne fait pas de moi un spécialiste pour autant. Je ne pourrai pas parler de sujets très précis et détaillés, mais j’aime avoir une perception globale du 9e art. Ce livre a été une bonne occasion de le faire ! 

©Yaneck Chareyre / Larousse

J’ai d’abord essayé d’identifier des périodes clés, puis j’ai tenté de restituer les grands mouvements du monde de la BD. L’éditrice souhaitait une approche thématique pour avoir une lecture facilitante parce qu’une fois qu’on a un sujet, n’importe quel lecteur peut établir son choix d’articles à lire. Le côté temporel nécessaire pour répondre à la commande m’a permis de placer des articles à certains moments. Lorsque je place la BD d’Antiquités dans la période « 45-60 », je le fais pour parler d’Alix. C’est des choix qu’on doit faire. Les 20 dernières années ont apporté tellement de nouvelles thématiques que ça a été facile de ranger certains articles. 

Ça a été 1 mois de travail pour avoir un ensemble qui soit le plus cohérent possible et, d’après les retours, cette approche thématique est plutôt appréciée. 

Ne trouves-tu pas cela frustrant que ce « voyage dans le temps », pour couvrir l’évolution du monde de la BD, aille aussi vite ? 

Y.C. : Oui, c’est peut-être un peu frustrant, mais il ne faut pas oublier que c’est d’abord un livre qui s’adresse au grand public. L’éditeur était très clair et souhaitait que ce soit un livre qui ne s’adresse pas uniquement aux spécialistes, mais à tout le monde. Aujourd’hui, il est commandé par des grandes surfaces comme Carrefour ou Auchan. Il a même été mis à disposition des visiteurs, à la librairie du Musée Beaubourg, pendant l’exposition « La BD à tous les étages ». Il y a une approche marketing autour de ce livre, parce que ça répond à un cahier des charges et pas à l’idée créatrice d’un auteur. 

à la librairie du Musée Beaubourg, pendant l’exposition « La BD à tous les étages »

On voulait que chacun puisse « picorer » dans ces 100 années de BD. Je voulais que le bouquin se compose en 3 grands mouvements : on l’ouvre et on débute la lecture par les livres qui rendent nostalgiques, quel que soit l’âge du lecteur, ensuite les découvertes de nouveaux titres où j’ai essayé de créer des passerelles entre les différents genres et enfin, les frustrations. Les frustrations c’est tout ce que je n’ai pas mis dans le bouquin. 

Si on pense aux 10 dernières années, c’est plus de 5000 sorties par an qui sont réalisées, il y a entre 300 et 400 références dans le bouquin, donc évidemment il y a un manque. Pourtant, ce manque-là me plait bien, car il permet de créer de la discussion, de créer des rencontres. Lorsque je rencontre les lecteurs en dédicace, j’aime collecter leurs retours et connaître leurs avis sur mes choix. 

Tu parles peu de dessins dans cet album, est-ce une volonté spécifique de ta part ? 

Y.C. : Ce n’est pas une volonté, mais je sais que c’est ma faille. Je suis un littéraire, fondamentalement, et lorsque j’écris des critiques je suis bien plus généreux avec le scénariste, avec qui je vais décomposer le scénario et les histoires, qu’avec le dessinateur. Je n’ai pas une culture du graphisme très poussée et je crois qu’on est beaucoup dans ce cas là en France. Les cours de dessin qu’on poursuit à l’école ne nous apprennent pas grand-chose et on manque de mots. 

©Yaneck Chareyre / Larousse

J’essaye de me nourrir de cette culture depuis 15 ans, mais je reste, malgré tout, moins bon avec les dessinateurs. Cependant, dans les critiques, j’ai essayé d’être attentif, de fusionner dessins et histoire et de parler des deux, qu’il y ait 1 ou 2 artistes impliqués.  

La conception graphique, la couverture correspondent à une esthétique de la BD un peu old school. Pourquoi ce choix ? 

Y.C. : Ce n’est pas mon choix, c’est celui de l’éditeur, mais j’ai pu faire un constat. Au fil du temps, de nombreux professionnels de la BD ont pu me dire que la couverture était moche, quand, au contraire, tous les noob de la BD la trouvaient très impactante. Ça tombe bien parce que c’est à eux qu’on les vend. 

La couverture plaît à ceux qui vont acheter le livre, donc chapeau au graphiste qui a réussi à atteindre la cible qu’on vise. Ça correspond, effectivement, à une esthétique un peu plus ancienne, avec des trames qui rappellent beaucoup les comic books des années 60. Notamment avec cette présence du point de couleur qui était un problème d’impression à l’époque, et qui crée ce côté un peu vieillot. 

Mon seul regret sur cette couverture, c’est qu’elle ne rend pas compte de mon attachement à la proximité de la culture manga et comics franco-belge. J’étais un peu frustré, mais en réalité, c’est un souci qu’on rencontre souvent le problème des droits iconographiques.

Pour la couverture, les éditeurs américains et japonais ont refusé de nous céder les droits de couverture d’albums. L’éditrice s’est donc retrouvée coincée et contrainte de ne mettre que de la franco-belge. Elle a essayé de faire de l’international pour ouvrir davantage le bouquin, mais tout en ayant cette limite-là. 

Cette contrainte on la également vécu dans l’écriture lorsque, par exemple, j’ai voulu illustrer un article sur les scénaristes en évoquant Batman : Arkham Asylum de Grant Morrison et Dave McKean. Je l’ai envoyé à mon éditrice qui me l’a renvoyé, car on ne possédait pas les droits d’iconographie de la couverture. 

©Yaneck Chareyre / Larousse

J’ai alors choisi de contourner l’obstacle que j’avais volontairement mis de côté, en écrivant un article sur Goscinny. Je l’ai envoyé à mon éditrice qui me l’a renvoyé à nouveau, car les Éditions Albert René refusaient de nous céder les droits d’iconographie, parce que d’après eux : « l’article ne situe pas Goscinny et Uderzo a place égale ». J’ai dû réécrire l’article en prenant bien soin de parler autant de Goscinny que d’Uderzo. 

Quand on écrit une critique sur le web ou quand on écrit un livre sans recherche iconographique, on peut faire ce qu’on veut. Mais dès lors qu’on souhaite bénéficier de l’impact des créations graphiques des artistes, on est soumis au droit moral des artistes. Ce qui est légitime, mais qui reste particulièrement frustrant pour les auteurs qui écrivent sur la BD.

Vas-tu continuer de faire de la bande dessinée, ou veux-tu te spécialiser dans les bouquins sur la BD ?

Y.C. : Depuis quelques années, je suis convaincu que je m’installerai dans la « maison BD ». J’y entrerai quoiqu’il arrive, que ce soit en cassant une fenêtre, en passant par le soupirail ou le grenier, j’y entrerai et je m’y installerai. Le monde de la BD, c’est mon monde depuis que j’ai lu ma première BD à 3 ans. J’ai cherché des moyens d’y entrer. 

J’ai commencé par la chronique et l’écriture scénaristique très tôt, avec cette idée de professionnaliser mon écriture. Il existe plusieurs façons de le faire : dans mon boulot je suis chargé de communication pour un groupe d’intérim et de recrutement. Mes activités secondaires, c’est de la scénarisation, de l’écriture de livres et à côté je suis aussi maître de jeu de rôle. Dans toutes mes activités, il y a une logique d’écriture. 

Depuis un an, j’ai intégré la rédaction du site Comixtrip.fr, pour lequel je coordonne l’éditorial autour de la BD anglo-saxonne, le comic-book. C’est malheureusement bénévole, mais j’ai fait le choix de rejoindre une équipe dont les valeurs sont conformes aux miennes. De toute façon, il est extrêmement difficile de gagner de l’argent à travers la critique BD. Ce n’est pas là que les moyens économiques se trouvent.

Mais j’ai pris goût à l’écriture de livres SUR la bande dessinée. Depuis janvier, je mène un travail d’enquête de fond. Je termine ce recueil d’informations pendant l’été puis, à l’automne, je vais démarcher les éditeurs pour voir qui serait intéressé par mon sujet. Je me donne jusqu’à l’été 2026 pour écrire le livre. Et si aucun éditeur ne souhaite le faire sortir, je sais que j’ai une histoire pertinente et intéressante, alors il sera toujours temps de tester le financement participatif.

Je suis en tous cas à un moment charnière. Celui qui ne rapporte pas assez pour vivre, mais prend trop de temps pour être un simple passe-temps. Est-ce le moment de prendre des risques ? Cela sera ma question de fin 2025…

Vous pouvez retrouver ces articles ici, en complément de son livre et on espère lire la suite très bientôt. Vous pouvez également découvrir la dernière sélection d’été de l’ACBD ici. 

100 ans de Bande Dessinée de Yaneck Chareyre, Larousse 


Tous les extraits sont ©Yaneck Chareyre / Larousse

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